© Maya Vincent
Abréviations utilisées :
Th. : celui qui se fait appeler thérapeute
P. : celle qui se fait appeler patiente
ACS : approche centrée solution
TS : thérapie stratégique (Palo Alto)
TN : thérapie narrative
P. : « Docteur... donnez-moi quelque chose pour arrêter de penser… pour arrêter le noeud dans mon ventre... » Depuis quelque temps, je comprends les sensations comme des informations sur un déséquilibre dans le rapport que nous avons avec nous-mêmes, avec les autres, avec le monde. Pour rétablir l’équilibre, une action (mouvement volontaire lié à une intention) ou le plus souvent une réaction (mouvement involontaire) s’impose ; avec plus ou moins de succès. Le corps est ainsi en permanence traversé par des sensations dont une partie franchira le filtre thalamique pour arriver à notre conscience. En écrivant cet article, je n’ai pas besoin d’avoir des informations sur ma fesse droite... mais au bout de quelques minutes pourtant une sensation émerge (plus ou moins consciente) et permet un mouvement de réajustement (plus ou moins conscient) m’évitant une escarre. Un peu plus tard, une sensation corporelle dans mon ventre (déclenchée par la baisse d’insuline ?) amène ma main à ouvrir ce tiroir et à y prendre du chocolat... En prenant ce chocolat j’imite ce que faisait ma mère, qui est venue aussi valider par le passé ce type de comportement : « Prends un bout de chocolat mon fils, cela va te faire du bien. » Le but de ces mouvements serait donc de ramener de l’équilibre dans ce corps. Mais ce mouvement trouvera sa finalité par une validation relationnelle. Ainsi, je peux pleinement savourer ce bout de chocolat qui me reconnecte Les relations humaines déclenchent parfois des déséquilibres, donc des sensations dans le corps ou dans la tête qu’on appellera « pensées », puis un comportement visant à un retour à l’équilibre de façon plus ou moins heureuse.Ce comportement sera pleinement achevé quand il recevra une validation relationnelle. Madame F. décrit un harcèlement de son patron et donc un vécu de maltraitance.
Mais ce qui semble la bouleverser le plus dans cette situation est l’inaction de ses collègues. Ainsi, nous retrouvons les deux problématiques humaines que sont la maltraitance et l’abandon (1). La sensation de maltraitance ne suffira souvent pas à faire crise, sauf si elle survient sur un vécu d’abandon. Ici, le vécu d’absence de soutien de ses collègues. Ce déséquilibre dans la relation aux autres déclenche des sensations à l’étage « inférieur » (noeuds...) qui, en saturant le filtre thalamique, engendrent des sensations à l’étage « supérieur » (« je suis nulle... je suis seule... »). avec cette capacité à me faire du bien, capacité transmise par ma mère. Une action est finie quand elle est reconnue par un tiers. Les apprentissages, les ressources sont des réactivations dans le présent des relations sécures (1).
Des procédures comportementales sélectionnées par l’évolution pour rétablir l’équilibre face au stress vont s’engager :
- la plus archaïque : le « mode survie » avec le figement (avec le risque d’apparition du syndrome dissociatif qui se surajoute en cas de stress vital) ;
- puis, avec les mammifères : le mode « danger » avec la fuite ou le combat ;
- puis, avec l’homme : le mode « engagement relationnel » quand il reste dans sa fenêtre de tolérance, avec des capacités d’adaptation plus subtiles. Par exemple, si on imagine qu’un groupe d’individus s’approche de moi avec une attitude menaçante. Je peux tenter dans un premier temps d’engager une discussion, de désamorcer les choses. Si cela dépasse ma fenêtre de tolérance et que je rentre en « mode danger », je peux choisir le combat ou la fuite. S’il m’encercle et que je passe en « mode survie », je vais me recroqueviller et me figer en attendant que cela passe.
Aucune de ces tactiques n’est en soi bonne ou mauvaise. Plus le stress est grand plus on sort de notre zone de tolérance et plus on passera de l’action à des réactions réflexes. Pour en revenir à notre histoire, restant sur l’hypothèse de procédures de mouvement visant un retour à l’équilibre du corps, il est possible d’imaginer qu’un acte de démission abrupte (fuite) ou qu’un mouvement du bras venant écraser le plat de la main sur la joue du patron (combat), puissent, en dehors de considérations éthiques, réduire le vécu de stress. Mais cette dame a trois enfants et elle décrit son mari au chômage comme déprimé, ce qui amplifie son sentiment d’abandon. Quoi qu’elle fasse elle ne peut recevoir de validation de son action de cet homme perdu dans son malheur. Dans ce qu’elle vit comme un affrontement, elle dit : « Je ne peux rien faire, je me résigne... » Elle décrit bien cette sensation de contrainte, « la relation contre la liberté » (1) propre au vécu de maltraitance. Un double lien se crée très vite : « Si j’agis j’ai tort, si je ne fais rien j’ai tort et c’est impossible de parler de la situation. » Une issue, abandonner, fuir la relation (abandon) et se réfugier à l’intérieur de soi pour ne plus subir la maltraitance, amenant une focalisation vers le corps qui devient le nouvel espace d’expression relationnel. Elle se retrouve alors de nouveau confrontée au caractère incontrôlable (maltraitant) des sensations, au niveau :
- du corps : noeuds, battements de coeurs, tremblements, sueurs ;
- de la tête : pensées (« je suis incompétente, abandonnable... ») ou images (son patron lui criant dessus...). Les émotions, les sensations, les pensées ne sont ni bonnes ni mauvaises (même si elles peuvent être plus ou moins agréables) : elles sont « parfaites », comme dirait Spinoza dans la bouche d’Alain Vallée, elles ne peuvent être autrement. La part de nos pensées intentionnelles est réduite, la plupart étant associatives, sans que nous ayons de contrôle dessus (3). Les pensées sont « amorales » et seuls nos actes nous engagent et revêtent un caractère moral. Parmi le flux des pensées, certaines vont nous plaire (être conformes à nos valeurs), d’autres non. Mais comme il est impossible de ne pas penser à un éléphant bleu, plus on lutte contre la sensation, la pensée, plus elle perdure, nous amenant à nous dissocier de ce corps qui devient l’ennemi. On rentre alors dans le monde des tentatives de solutions inefficaces (TS). Plus Madame F. va lutter ou fuir ses sensations et ses pensées, et plus elles vont s’incruster. Pour vivre, nous avons besoin de ce corps et de ses sensations qui nous diront : « manger », « dormir », « câlin », « j’aime », « je n’aime pas »... Ainsi cette dame ne sait plus si elle a faim, envie de dormir ou de faire cela... Privée de ces informations, elle erre dans un monde où elle ne peut se fier qu’à des consignes, des devoirs, des normes... le monde des robots. Les sensations ne sont plus des signaux qui la guident mais des ennemies qui l’assiègent. Perdue et abandonnée elle peut revenir dans la relation par la plainte (1). Cette plainte peut finir par susciter le rejet de l’entourage, validant le caractère maltraitant et abandonnique du monde. Elle est donc renvoyée vers ceux qui sont censés faire avec la plainte qui déborde l’entourage et qu’on appelle « soignants », avec cette demande : « Je ne veux plus penser, je ne veux plus ressentir... » Demande parfois bien accueillie par la médecine « moderne », qui a quelques moyens pour anesthésier ce corps. Lourdement traitée, elle devient de plus en plus intolérante à la moindre émotion, à la moindre pensée vécue comme négative. Cette utopie d’un monde sans mal - traitance, sans abandon, lui fait parfois miroiter la mort comme cet univers sans nuages qu’elle désire.
Dans le premier temps de la séance, nous évoquons un peu cela et de comment font les humains pour faire face aux difficultés depuis « toujours ». Quand il semble utile de passer par le monde des problèmes, j’essaye de valider la difficulté sans la nourrir et de rester assez général pour que la problématique apparaisse « banalement universelle », donc source de lien.
- Th. : « Ce n’est pas facile (validation) en ce moment (recadrage temporel) face à cette situation… Est-ce la situation qui est anormale ou votre façon d’y réagir ? (confusion et recadrage). » Cet échange semble provoquer une sensation de compréhension importante et un vif intérêt. Les théories explicatives ne semblent intéressantes pour les « patients » que si elles provoquent ce genre de ressenti et restent au service de recadrages utiles pour la personne. Ainsi nous percevons ensemble l’intention relationnelle derrière la plainte qu’il devient possible de valider pleinement. Ce mouvement recevant une validation relationnelle peut enfin s’achever au lieu de se répéter indéfiniment comme on le voit dans les processus de plainte. Pour arriver à quelque chose qu’on ne formule pas mais qui serait : « Si je comprends bien ce que vous dites, c’est que vous cherchez du soutien et que vous en avez marre d’utiliser la plainte pour cela ? »
Puis je continue à explorer le champ relationnel et je recherche les soutiens actuels (tiers sécure). En effet, on ne pourra travailler sur le changement que si on part d’une relation sécure. Elle me dit être seule face à cela. Je lui propose donc de continuer l’échange en posant le dos de sa main dans le creux de la mienne (2). Cette métaphore du soutien par la modification corporelle qu’elle amène entraîne de nouvelles pensées had oc. La mémoire est liée à l’état émotionnel ; de la rencontre dans le présent du soutien émergent d’autres souvenirs de soutien. Ainsi elle évoque la possibilité de s’autoriser à accepter l’aide de sa soeur. Nous sommes déjà au moins trois... De cet endroit qu’on appelle alliance, nous pouvons explorer le changement, la capacité à choisir d’autres types de relations dans lesquelles on se sent plus libre (« autonomie relationnelle ») (1). A partir de ce point, peu importe la technique utilisée, car comme les études le montrent, la réussite d’une thérapie repose sur l’alliance, la motivation et l’entourage ; et très peu sur la méthode employée.
Sachant que l’hypnose et les thérapies brèves sont axées sur la relation (avec le thérapeute et l’environ - nement) et le travail sur l’objectif (motivation). En bref, le contenant, l’alliance avant tout ; et de cette relation émergera le travail sur le changement, le contenu, la liberté. Maintenant cette dame peut entendre/ressentir le propos sur les tentatives de solutions inefficaces :
- Th. : « Si je comprends bien, de façon assez logique vous luttez contre ce que vous ressentez. Mais plus vous luttez plus c’est pire, même si en ce moment c’est la seule chose que vous pouvez faire pour éviter de vous noyer ? »
Le blocage des tentatives de solutions par une peur plus grande, à savoir la peur de la lutte venant supplanter la peur des sensations (8), ne suffit pas, car pour elle seule cette lutte empêche la noyade. Cependant le système est mis en crise par cette « image » aversive et elle est maintenant prête à se saisir de la première branche pour faire différemment (motivation au changement). L’être humain n’est pas fait pour arrêter, il nous faut donc maintenant aider à réapprendre une autre façon de faire et créer une image positive vers laquelle aller. Suivant les thérapies cette image peut prendre le nom d’objectif, de solution, d’espérance... Dans ce passage, c’est la capacité du thérapeute à « tenir » la relation qui importe car c’est le moment où émergent les angoisses d’abandon.
- Th. : « Etes-vous d’accord pour essayer autre chose ?
- P. : Oui
- Th. : Comment cela se passe à l’intérieur de vous maintenant... si vous faites comme un scanner de la tête au pied ?
- P. : … Rien... » Plusieurs pistes s’offrent ici :
- demander à quel endroit elle ressent le plus le « rien » ; le rien comme le vide restant des sensations ;
- recadrer le rien comme du calme : « Si je comprends bien actuellement le problème n’est pas présent ? Est-ce que ce serait déjà intéressant pour vous qu’il y ait plus de moment comme cela... ou de pouvoir prolonger un tel moment ? (ACS). » Mais je préfère rester centré sur le problème, pour l’instant, par crainte (doute sur l’alliance) qu’un passage trop rapide dans le monde des solutions provoque un sentiment de disqualification du vécu douloureux.
- Th. : « Là, maintenant… le problème est-il… plus dans le passé (geste de la main vers l’arrière) ou dans le futur ? (geste vers l’avant). Si le problème est dans le passé, donc plutôt traumatique, le tissage du lien est à poursuivre : avec moi et avec des tiers sécures (ce qui revient au même...). Si le problème est dans le futur comme dans le monde de la phobie, il sera peut-être plus possible de travailler sur le changement.
- P. : C’est les deux… mais c’est plus dans le passé… (une émotion).
- Th. : Cela fait quoi à l’intérieur ?
- P. : Ça serre...
- Th. : C’est en lien avec une image ?
- P. : Oui.
- Th. : Qu’est-ce qui vous terrorise encore ici et maintenant par rapport à cette image du passé ? (10). Je n’ai pas besoin de connaître l’image (sauf si cela sert l’alliance) qui sera de toute façon en lien avec la maltraitance et l’abandon. Cette façon de faire, si elle est adaptée, permet de limiter deux écueils : la curiosité malsaine et la construction de problème.
- P. : Je me sens nulle et lâche...
- Th. : Qu’est-ce que vous préférerez vous dire à la place pour maintenant et pour le futur ?
- P. : … Cette question ne peut, à ce stade, amener de réponse mais vient amorcer un travail de recherche (12).
- Th. : Pouvez-vous poser votre main sur la sensation et porter votre attention ? Je lui propose d’observer et d’accueillir les sensations (hypnose d’acceptation) (4).
- Th. : C’est bien normal de ressentir des sensations face à des images désagréables du passé ou du futur... le corps sait ce vers quoi il veut aller... ou non… on a le droit de ressentir... S’autoriser à ressentir… Ressentir c’est être en vie... Ce qui se passe à l’intérieur de nous mérite du respect… juste observer, sans jugement… » Accepter n’est pas se résigner mais accueillir des sensations adaptées face à des images désagréables. Cette personne vient en consultation car elle se sent maltraitée et abandonnée dans la relation avec son supérieur, puis avec son corps, puis avec son monde. Le glissement identitaire se fait vite :
- cet homme a eu un comportement maltraitant et je n’ai pas ressenti de soutien dans ce moment ;
- cet homme est violent et mes collègues m’abandonnent ;
- mon corps me maltraite et je ne peux pas compter sur lui (il m’abandonne) ;
- les hommes sont violents ou non fiables (le monde est maltraitant et abandonnique). J’insiste donc, dans cette conversation hypnotique, sur un langage de liberté : s’autoriser à ressentir, à faire... ou ne pas faire. Pouvoir être dans cette relation sans attente particulière de la part du thérapeute, cette indifférence au changement qu’évoque François Roustang (9). Sans la...
Pour lire la suite de l’article et commander ce Hors-Série n°15 de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves
Th. : celui qui se fait appeler thérapeute
P. : celle qui se fait appeler patiente
ACS : approche centrée solution
TS : thérapie stratégique (Palo Alto)
TN : thérapie narrative
P. : « Docteur... donnez-moi quelque chose pour arrêter de penser… pour arrêter le noeud dans mon ventre... » Depuis quelque temps, je comprends les sensations comme des informations sur un déséquilibre dans le rapport que nous avons avec nous-mêmes, avec les autres, avec le monde. Pour rétablir l’équilibre, une action (mouvement volontaire lié à une intention) ou le plus souvent une réaction (mouvement involontaire) s’impose ; avec plus ou moins de succès. Le corps est ainsi en permanence traversé par des sensations dont une partie franchira le filtre thalamique pour arriver à notre conscience. En écrivant cet article, je n’ai pas besoin d’avoir des informations sur ma fesse droite... mais au bout de quelques minutes pourtant une sensation émerge (plus ou moins consciente) et permet un mouvement de réajustement (plus ou moins conscient) m’évitant une escarre. Un peu plus tard, une sensation corporelle dans mon ventre (déclenchée par la baisse d’insuline ?) amène ma main à ouvrir ce tiroir et à y prendre du chocolat... En prenant ce chocolat j’imite ce que faisait ma mère, qui est venue aussi valider par le passé ce type de comportement : « Prends un bout de chocolat mon fils, cela va te faire du bien. » Le but de ces mouvements serait donc de ramener de l’équilibre dans ce corps. Mais ce mouvement trouvera sa finalité par une validation relationnelle. Ainsi, je peux pleinement savourer ce bout de chocolat qui me reconnecte Les relations humaines déclenchent parfois des déséquilibres, donc des sensations dans le corps ou dans la tête qu’on appellera « pensées », puis un comportement visant à un retour à l’équilibre de façon plus ou moins heureuse.Ce comportement sera pleinement achevé quand il recevra une validation relationnelle. Madame F. décrit un harcèlement de son patron et donc un vécu de maltraitance.
Mais ce qui semble la bouleverser le plus dans cette situation est l’inaction de ses collègues. Ainsi, nous retrouvons les deux problématiques humaines que sont la maltraitance et l’abandon (1). La sensation de maltraitance ne suffira souvent pas à faire crise, sauf si elle survient sur un vécu d’abandon. Ici, le vécu d’absence de soutien de ses collègues. Ce déséquilibre dans la relation aux autres déclenche des sensations à l’étage « inférieur » (noeuds...) qui, en saturant le filtre thalamique, engendrent des sensations à l’étage « supérieur » (« je suis nulle... je suis seule... »). avec cette capacité à me faire du bien, capacité transmise par ma mère. Une action est finie quand elle est reconnue par un tiers. Les apprentissages, les ressources sont des réactivations dans le présent des relations sécures (1).
Des procédures comportementales sélectionnées par l’évolution pour rétablir l’équilibre face au stress vont s’engager :
- la plus archaïque : le « mode survie » avec le figement (avec le risque d’apparition du syndrome dissociatif qui se surajoute en cas de stress vital) ;
- puis, avec les mammifères : le mode « danger » avec la fuite ou le combat ;
- puis, avec l’homme : le mode « engagement relationnel » quand il reste dans sa fenêtre de tolérance, avec des capacités d’adaptation plus subtiles. Par exemple, si on imagine qu’un groupe d’individus s’approche de moi avec une attitude menaçante. Je peux tenter dans un premier temps d’engager une discussion, de désamorcer les choses. Si cela dépasse ma fenêtre de tolérance et que je rentre en « mode danger », je peux choisir le combat ou la fuite. S’il m’encercle et que je passe en « mode survie », je vais me recroqueviller et me figer en attendant que cela passe.
Aucune de ces tactiques n’est en soi bonne ou mauvaise. Plus le stress est grand plus on sort de notre zone de tolérance et plus on passera de l’action à des réactions réflexes. Pour en revenir à notre histoire, restant sur l’hypothèse de procédures de mouvement visant un retour à l’équilibre du corps, il est possible d’imaginer qu’un acte de démission abrupte (fuite) ou qu’un mouvement du bras venant écraser le plat de la main sur la joue du patron (combat), puissent, en dehors de considérations éthiques, réduire le vécu de stress. Mais cette dame a trois enfants et elle décrit son mari au chômage comme déprimé, ce qui amplifie son sentiment d’abandon. Quoi qu’elle fasse elle ne peut recevoir de validation de son action de cet homme perdu dans son malheur. Dans ce qu’elle vit comme un affrontement, elle dit : « Je ne peux rien faire, je me résigne... » Elle décrit bien cette sensation de contrainte, « la relation contre la liberté » (1) propre au vécu de maltraitance. Un double lien se crée très vite : « Si j’agis j’ai tort, si je ne fais rien j’ai tort et c’est impossible de parler de la situation. » Une issue, abandonner, fuir la relation (abandon) et se réfugier à l’intérieur de soi pour ne plus subir la maltraitance, amenant une focalisation vers le corps qui devient le nouvel espace d’expression relationnel. Elle se retrouve alors de nouveau confrontée au caractère incontrôlable (maltraitant) des sensations, au niveau :
- du corps : noeuds, battements de coeurs, tremblements, sueurs ;
- de la tête : pensées (« je suis incompétente, abandonnable... ») ou images (son patron lui criant dessus...). Les émotions, les sensations, les pensées ne sont ni bonnes ni mauvaises (même si elles peuvent être plus ou moins agréables) : elles sont « parfaites », comme dirait Spinoza dans la bouche d’Alain Vallée, elles ne peuvent être autrement. La part de nos pensées intentionnelles est réduite, la plupart étant associatives, sans que nous ayons de contrôle dessus (3). Les pensées sont « amorales » et seuls nos actes nous engagent et revêtent un caractère moral. Parmi le flux des pensées, certaines vont nous plaire (être conformes à nos valeurs), d’autres non. Mais comme il est impossible de ne pas penser à un éléphant bleu, plus on lutte contre la sensation, la pensée, plus elle perdure, nous amenant à nous dissocier de ce corps qui devient l’ennemi. On rentre alors dans le monde des tentatives de solutions inefficaces (TS). Plus Madame F. va lutter ou fuir ses sensations et ses pensées, et plus elles vont s’incruster. Pour vivre, nous avons besoin de ce corps et de ses sensations qui nous diront : « manger », « dormir », « câlin », « j’aime », « je n’aime pas »... Ainsi cette dame ne sait plus si elle a faim, envie de dormir ou de faire cela... Privée de ces informations, elle erre dans un monde où elle ne peut se fier qu’à des consignes, des devoirs, des normes... le monde des robots. Les sensations ne sont plus des signaux qui la guident mais des ennemies qui l’assiègent. Perdue et abandonnée elle peut revenir dans la relation par la plainte (1). Cette plainte peut finir par susciter le rejet de l’entourage, validant le caractère maltraitant et abandonnique du monde. Elle est donc renvoyée vers ceux qui sont censés faire avec la plainte qui déborde l’entourage et qu’on appelle « soignants », avec cette demande : « Je ne veux plus penser, je ne veux plus ressentir... » Demande parfois bien accueillie par la médecine « moderne », qui a quelques moyens pour anesthésier ce corps. Lourdement traitée, elle devient de plus en plus intolérante à la moindre émotion, à la moindre pensée vécue comme négative. Cette utopie d’un monde sans mal - traitance, sans abandon, lui fait parfois miroiter la mort comme cet univers sans nuages qu’elle désire.
Dans le premier temps de la séance, nous évoquons un peu cela et de comment font les humains pour faire face aux difficultés depuis « toujours ». Quand il semble utile de passer par le monde des problèmes, j’essaye de valider la difficulté sans la nourrir et de rester assez général pour que la problématique apparaisse « banalement universelle », donc source de lien.
- Th. : « Ce n’est pas facile (validation) en ce moment (recadrage temporel) face à cette situation… Est-ce la situation qui est anormale ou votre façon d’y réagir ? (confusion et recadrage). » Cet échange semble provoquer une sensation de compréhension importante et un vif intérêt. Les théories explicatives ne semblent intéressantes pour les « patients » que si elles provoquent ce genre de ressenti et restent au service de recadrages utiles pour la personne. Ainsi nous percevons ensemble l’intention relationnelle derrière la plainte qu’il devient possible de valider pleinement. Ce mouvement recevant une validation relationnelle peut enfin s’achever au lieu de se répéter indéfiniment comme on le voit dans les processus de plainte. Pour arriver à quelque chose qu’on ne formule pas mais qui serait : « Si je comprends bien ce que vous dites, c’est que vous cherchez du soutien et que vous en avez marre d’utiliser la plainte pour cela ? »
Puis je continue à explorer le champ relationnel et je recherche les soutiens actuels (tiers sécure). En effet, on ne pourra travailler sur le changement que si on part d’une relation sécure. Elle me dit être seule face à cela. Je lui propose donc de continuer l’échange en posant le dos de sa main dans le creux de la mienne (2). Cette métaphore du soutien par la modification corporelle qu’elle amène entraîne de nouvelles pensées had oc. La mémoire est liée à l’état émotionnel ; de la rencontre dans le présent du soutien émergent d’autres souvenirs de soutien. Ainsi elle évoque la possibilité de s’autoriser à accepter l’aide de sa soeur. Nous sommes déjà au moins trois... De cet endroit qu’on appelle alliance, nous pouvons explorer le changement, la capacité à choisir d’autres types de relations dans lesquelles on se sent plus libre (« autonomie relationnelle ») (1). A partir de ce point, peu importe la technique utilisée, car comme les études le montrent, la réussite d’une thérapie repose sur l’alliance, la motivation et l’entourage ; et très peu sur la méthode employée.
Sachant que l’hypnose et les thérapies brèves sont axées sur la relation (avec le thérapeute et l’environ - nement) et le travail sur l’objectif (motivation). En bref, le contenant, l’alliance avant tout ; et de cette relation émergera le travail sur le changement, le contenu, la liberté. Maintenant cette dame peut entendre/ressentir le propos sur les tentatives de solutions inefficaces :
- Th. : « Si je comprends bien, de façon assez logique vous luttez contre ce que vous ressentez. Mais plus vous luttez plus c’est pire, même si en ce moment c’est la seule chose que vous pouvez faire pour éviter de vous noyer ? »
Le blocage des tentatives de solutions par une peur plus grande, à savoir la peur de la lutte venant supplanter la peur des sensations (8), ne suffit pas, car pour elle seule cette lutte empêche la noyade. Cependant le système est mis en crise par cette « image » aversive et elle est maintenant prête à se saisir de la première branche pour faire différemment (motivation au changement). L’être humain n’est pas fait pour arrêter, il nous faut donc maintenant aider à réapprendre une autre façon de faire et créer une image positive vers laquelle aller. Suivant les thérapies cette image peut prendre le nom d’objectif, de solution, d’espérance... Dans ce passage, c’est la capacité du thérapeute à « tenir » la relation qui importe car c’est le moment où émergent les angoisses d’abandon.
- Th. : « Etes-vous d’accord pour essayer autre chose ?
- P. : Oui
- Th. : Comment cela se passe à l’intérieur de vous maintenant... si vous faites comme un scanner de la tête au pied ?
- P. : … Rien... » Plusieurs pistes s’offrent ici :
- demander à quel endroit elle ressent le plus le « rien » ; le rien comme le vide restant des sensations ;
- recadrer le rien comme du calme : « Si je comprends bien actuellement le problème n’est pas présent ? Est-ce que ce serait déjà intéressant pour vous qu’il y ait plus de moment comme cela... ou de pouvoir prolonger un tel moment ? (ACS). » Mais je préfère rester centré sur le problème, pour l’instant, par crainte (doute sur l’alliance) qu’un passage trop rapide dans le monde des solutions provoque un sentiment de disqualification du vécu douloureux.
- Th. : « Là, maintenant… le problème est-il… plus dans le passé (geste de la main vers l’arrière) ou dans le futur ? (geste vers l’avant). Si le problème est dans le passé, donc plutôt traumatique, le tissage du lien est à poursuivre : avec moi et avec des tiers sécures (ce qui revient au même...). Si le problème est dans le futur comme dans le monde de la phobie, il sera peut-être plus possible de travailler sur le changement.
- P. : C’est les deux… mais c’est plus dans le passé… (une émotion).
- Th. : Cela fait quoi à l’intérieur ?
- P. : Ça serre...
- Th. : C’est en lien avec une image ?
- P. : Oui.
- Th. : Qu’est-ce qui vous terrorise encore ici et maintenant par rapport à cette image du passé ? (10). Je n’ai pas besoin de connaître l’image (sauf si cela sert l’alliance) qui sera de toute façon en lien avec la maltraitance et l’abandon. Cette façon de faire, si elle est adaptée, permet de limiter deux écueils : la curiosité malsaine et la construction de problème.
- P. : Je me sens nulle et lâche...
- Th. : Qu’est-ce que vous préférerez vous dire à la place pour maintenant et pour le futur ?
- P. : … Cette question ne peut, à ce stade, amener de réponse mais vient amorcer un travail de recherche (12).
- Th. : Pouvez-vous poser votre main sur la sensation et porter votre attention ? Je lui propose d’observer et d’accueillir les sensations (hypnose d’acceptation) (4).
- Th. : C’est bien normal de ressentir des sensations face à des images désagréables du passé ou du futur... le corps sait ce vers quoi il veut aller... ou non… on a le droit de ressentir... S’autoriser à ressentir… Ressentir c’est être en vie... Ce qui se passe à l’intérieur de nous mérite du respect… juste observer, sans jugement… » Accepter n’est pas se résigner mais accueillir des sensations adaptées face à des images désagréables. Cette personne vient en consultation car elle se sent maltraitée et abandonnée dans la relation avec son supérieur, puis avec son corps, puis avec son monde. Le glissement identitaire se fait vite :
- cet homme a eu un comportement maltraitant et je n’ai pas ressenti de soutien dans ce moment ;
- cet homme est violent et mes collègues m’abandonnent ;
- mon corps me maltraite et je ne peux pas compter sur lui (il m’abandonne) ;
- les hommes sont violents ou non fiables (le monde est maltraitant et abandonnique). J’insiste donc, dans cette conversation hypnotique, sur un langage de liberté : s’autoriser à ressentir, à faire... ou ne pas faire. Pouvoir être dans cette relation sans attente particulière de la part du thérapeute, cette indifférence au changement qu’évoque François Roustang (9). Sans la...
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EMMANUEL MALPHETTES
Psychiatre au CHU de Nantes, responsable d’une unité de psychiatrie et de la consultation de post-urgence, assure des consultations axées sur le psychotraumatisme. Formateur au DU d’Hypnose, au DIU de prise en charge de la douleur et au sein de l’ARePTA-Institut Milton Erickson de Nantes. Enseignant pour les internes en DES de Psychiatrie, à l’IFSI, à l’Ecole de sages-femmes et à la Faculté de psychologie.
Commandez le Hors-Série Peurs et Phobies n°15 de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves
Cet ouvrage de 228 pages permet de comprendre les contextes relationnels favorisant les peurs et les phobies. « Le thérapeute, souligne Julien Betbèze, rédacteur en chef, est invité à découvrir une clinique fine qui passe par la différenciation entre trauma et situation angoissante, entre angoisse d’anticipation sans trauma et angoisse d’anticipation post-traumatique. » Vera Likaj, coordinatrice de l’ouvrage, a pensé ce numéro dans une approche plurielle et collaborative : des outils différents, des sensibilités uniques dans des cliniques parfois bien singulières revisitant la peur avec des lunettes culturelles chaque fois nouvelles.
« J’invite le lecteur, nous dit-elle, à parcourir les articles avec l’œil de l’anthropologue, curieux et discret, s’émerveillant des différences qui viennent nourrir toutes nos rencontres thérapeutiques. »
Retrouvez les abstracts de la revue sur ce lien
Au sommaire :
- Editorial : Peurs et phobies. L’hypnose comme levier de changement. Julien Betbèze
- Editorial : Et l’insouciance dans tout ça ? Vera Likaj
- Peurs traumatiques, peurs anticipatoires. Eric Bardot
- Peurs et risques psychosociaux au travail. Maxime Bellego
- Phobies. Et autres peurs ancrées. Jean-Marc Benhaiem
- Angoisse et hypnose en gériatrie. Jérôme Bocquet
- La peur de soi dans le processus de guérison. Pascale Chami
- La contrainte comme levier de changement ? Olivier Cottencin
- Croyances et anxiété. Yves Doutrelugne
- Faire corps avec la peur. La clinique de l’étrange. Nathalie Lampole
- Du lâche au héros. Revenir doucement à soi-même. Vera Likaj
- La peur de la peur. Retrouver des sensations qui nous guident. Emmanuel Malphettes
- Thérapie brève des phobies. Courtes réflexions. Dominique Megglé
- Peurs à l’école. Emmanuelle Piquet
- L’hypnose, un outil de gestion des phobies. Que nous apprend la recherche ? Audrey Vanhaudenhuyse et Marie-Elisabeth Faymonville
- Addictions et anxiété. David Vergriete
Tous les Hors-Séries de la Revue sont commandables sur le site www.hypnose-therapie-breve.org
« J’invite le lecteur, nous dit-elle, à parcourir les articles avec l’œil de l’anthropologue, curieux et discret, s’émerveillant des différences qui viennent nourrir toutes nos rencontres thérapeutiques. »
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Au sommaire :
- Editorial : Peurs et phobies. L’hypnose comme levier de changement. Julien Betbèze
- Editorial : Et l’insouciance dans tout ça ? Vera Likaj
- Peurs traumatiques, peurs anticipatoires. Eric Bardot
- Peurs et risques psychosociaux au travail. Maxime Bellego
- Phobies. Et autres peurs ancrées. Jean-Marc Benhaiem
- Angoisse et hypnose en gériatrie. Jérôme Bocquet
- La peur de soi dans le processus de guérison. Pascale Chami
- La contrainte comme levier de changement ? Olivier Cottencin
- Croyances et anxiété. Yves Doutrelugne
- Faire corps avec la peur. La clinique de l’étrange. Nathalie Lampole
- Du lâche au héros. Revenir doucement à soi-même. Vera Likaj
- La peur de la peur. Retrouver des sensations qui nous guident. Emmanuel Malphettes
- Thérapie brève des phobies. Courtes réflexions. Dominique Megglé
- Peurs à l’école. Emmanuelle Piquet
- L’hypnose, un outil de gestion des phobies. Que nous apprend la recherche ? Audrey Vanhaudenhuyse et Marie-Elisabeth Faymonville
- Addictions et anxiété. David Vergriete
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