Alain Vallée nous a quittés trop vite. Mais il nous reste quelque chose de lui de précieux car, au-delà du souvenir, les patients qu’il a contribué à aider, les personnes qui ont eu le bonheur de recevoir son enseignement gardent dans leur vie d’aujourd’hui quelque chose d’Alain.
J’ai rencontré Alain en 1984 alors que je terminais mon internat. Il avait pris un peu de temps pour préparer certains d’entre nous à ce que l’on appelait à l’époque l’assistanat des hôpitaux psychiatriques. J’ai gardé de ces premières rencontres le souvenir d’un jeune clinicien rigoureux qui avait déjà une certaine aura et le goût de la transmission. A cette époque, il fréquentait les cercles psychanalytiques, était réputé comme un psychanalyste lacanien intelligent et ouvert, et avait le plus grand respect pour l’enseignement de Piera Aulagnier.
Alain Vallée était curieux à tout ce qui pouvait être utile aux patients. Découvrant l’hypnose, grâce à François Roustang et Julien Betbèze, il a eu la chance de bénéficier de l’enseignement de Jacques Antoine Malarewicz et de Michel Kerouac, à une époque où celle-ci n’avait pas bonne presse dans les milieux psychanalytiques. Il a perçu que l’hypnose permettait d’affiner le sens clinique dans des situations difficiles. Cela a orienté différemment sa pratique et il s’est rapproché du courant systémique, en particulier l’approche centrée solution. C’est sans doute sa rencontre avec Steve de Shazer qui a été déterminante, transformant radicalement l’approche thérapeutique avec une simplicité déconcertante. Mais comme chacun sait, «simple n’est pas facile». L’amour du détail, l’observation des petites différences, l’accompagnement respectueux du patient, la centration sur les ressources et les compétences qui sont au centre de l’éthique des thérapies brèves d’inspiration solutionniste se sont révélés rejoindre ses préoccupations dans la relation soignant-soigné.
Alain Vallée exerçait comme psychiatre en milieu hospitalier, il était expert auprès des tribunaux et a été à l’initiative de nombreuses innovations pour améliorer les prises en charge. Par la suite, il opère un tournant radical dans sa pratique en s’installant en ville comme psychiatre, psychothérapeute libéral au tournant de la quarantaine. Je me rappelle avec émotion les supervisions avec J.A. Malarewicz et celles que nous faisions en direct avec quelques confrères, à l’aide d’une glace sans tain dans son bureau aménagé à cet effet. Alain a toujours aimé partager et transmettre.
En 1994, avec un groupe de psychiatres, médecins et psychologues nantais, Alain créera l’ARePTA qui deviendra plus tard « Institut Milton Erickson de Nantes ». Il en sera le président-fondateur. Cette association rejoindra la CFHTB. Ce qui en était au coeur, c’était le partage et une grande créativité entre des professionnels pas toujours d’accord, mais qui au fil du temps ont pu construire une sorte d’état d’esprit, une éthique, une manière d’accompagner dans la thérapie. Alain en était l’aiguillon. L’idée centrale était celle d’être ouvert à toute pratique contributive au bien-être des patients et de converger vers la reconnaissance des compétences et de la capacité d’autonomisation du patient. Cela nous a permis de nous ouvrir à de nombreuses approches comme l’EMDR, la thérapie stratégique et plus récemment la thérapie narrative, et de contribuer à répandre ses approches auprès des professionnels de santé.
Alain a déployé beaucoup d’énergie pour développer tous ces projets. Il n’a jamais voulu, même s’il est resté longtemps président de l’ARePTA, se transformer en maître à penser et est resté jusqu’à la fin avide des apports des uns et des autres. Notre collaboration lors des différentes formations et forums était étroite, et les partages écrits et oraux, d’une grande richesse, ont permis de construire un enseignement vivant, donnant toute sa place au lien entre hypnose et thérapies brèves. Jusqu’au bout, il est resté un apprenant. Des philosophes comme Wittgenstein mais surtout Spinoza ou Prajnanpad l’ont beaucoup influencé tant dans sa pratique que dans sa vie personnelle et ont contribué à construire cette « hypnose de l’acceptation » qu’Alain aimait transmettre.
Cet enseignement, il a eu l’occasion de le prodiguer dans de nombreux instituts et universités participant à de nombreux DU (douleur, hypnose...) et aussi lors des forums où ses interventions étaient fort appréciées. Ouvert aux autres et à la différence, il aimait le partage et la confrontation des idées. Il ne manquait jamais un forum de la CFHTB ni l’occasion d’une découverte de la pratique d’un nouvel expert que nous cherchions à inviter dans notre association.
Mais derrière l’enseignant, il y avait l’homme pour qui le « devenir sage » était l’enjeu fondamental de l’existence. Il était un repère pour beaucoup d’entre nous. Plein d’humour, il savait stimuler par de douces provocations les personnes en formation à se décaler de leurs positions et à faire de réelles nouvelles expériences. Toujours présent, studieux et attentif à intégrer de nouveaux apports dans sa pratique, il a grandi dans son métier de thérapeute en parallèle de son métier d’homme. Il pensait profondément que toute croissance existentielle implique de ne pas s’enfermer dans la position du « Sachant ».
C’est peut-être l’art de la navigation qui l’a amené à être ce capitaine serein à la barre du bateau ARePTA. Il n’a pas lâché, attendant le moment opportun pour confier à d’autres la conduite du navire. Jusqu’au bout (cet été encore), Alain aura navigué d’île en île sur cet océan qui le faisait rêver et que nous aimons tant. Il s’est éclipsé, entouré ces derniers mois des siens qui l’ont accompagné dans la maladie qu’il a acceptée avec une dignité exceptionnelle. Nos pensées vont vers sa famille et ses proches.
Alain était un vrai ami, respectueux, ouvert et très attentif à ses proches. J’ai pu observer sa délicatesse si souvent. Il essayait de rejoindre par sa manière de vivre ce qu’il pensait juste. C’est là une tâche très difficile et je peux dire qu’il l’a pleinement réussie.
Alain aimait beaucoup la question miracle que l’on pourrait résumer avec cette formule : Abracadabra ! Delphine Horvilleur (1) nous rappelle qu’en araméen cela se traduit littéralement par « il a fait comme il a dit ». Le verbe crée le changement ! Abracadabra, Alain, dans sa vie.
1. Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts, Grasset, 2021.
J’ai rencontré Alain en 1984 alors que je terminais mon internat. Il avait pris un peu de temps pour préparer certains d’entre nous à ce que l’on appelait à l’époque l’assistanat des hôpitaux psychiatriques. J’ai gardé de ces premières rencontres le souvenir d’un jeune clinicien rigoureux qui avait déjà une certaine aura et le goût de la transmission. A cette époque, il fréquentait les cercles psychanalytiques, était réputé comme un psychanalyste lacanien intelligent et ouvert, et avait le plus grand respect pour l’enseignement de Piera Aulagnier.
Alain Vallée était curieux à tout ce qui pouvait être utile aux patients. Découvrant l’hypnose, grâce à François Roustang et Julien Betbèze, il a eu la chance de bénéficier de l’enseignement de Jacques Antoine Malarewicz et de Michel Kerouac, à une époque où celle-ci n’avait pas bonne presse dans les milieux psychanalytiques. Il a perçu que l’hypnose permettait d’affiner le sens clinique dans des situations difficiles. Cela a orienté différemment sa pratique et il s’est rapproché du courant systémique, en particulier l’approche centrée solution. C’est sans doute sa rencontre avec Steve de Shazer qui a été déterminante, transformant radicalement l’approche thérapeutique avec une simplicité déconcertante. Mais comme chacun sait, «simple n’est pas facile». L’amour du détail, l’observation des petites différences, l’accompagnement respectueux du patient, la centration sur les ressources et les compétences qui sont au centre de l’éthique des thérapies brèves d’inspiration solutionniste se sont révélés rejoindre ses préoccupations dans la relation soignant-soigné.
Alain Vallée exerçait comme psychiatre en milieu hospitalier, il était expert auprès des tribunaux et a été à l’initiative de nombreuses innovations pour améliorer les prises en charge. Par la suite, il opère un tournant radical dans sa pratique en s’installant en ville comme psychiatre, psychothérapeute libéral au tournant de la quarantaine. Je me rappelle avec émotion les supervisions avec J.A. Malarewicz et celles que nous faisions en direct avec quelques confrères, à l’aide d’une glace sans tain dans son bureau aménagé à cet effet. Alain a toujours aimé partager et transmettre.
En 1994, avec un groupe de psychiatres, médecins et psychologues nantais, Alain créera l’ARePTA qui deviendra plus tard « Institut Milton Erickson de Nantes ». Il en sera le président-fondateur. Cette association rejoindra la CFHTB. Ce qui en était au coeur, c’était le partage et une grande créativité entre des professionnels pas toujours d’accord, mais qui au fil du temps ont pu construire une sorte d’état d’esprit, une éthique, une manière d’accompagner dans la thérapie. Alain en était l’aiguillon. L’idée centrale était celle d’être ouvert à toute pratique contributive au bien-être des patients et de converger vers la reconnaissance des compétences et de la capacité d’autonomisation du patient. Cela nous a permis de nous ouvrir à de nombreuses approches comme l’EMDR, la thérapie stratégique et plus récemment la thérapie narrative, et de contribuer à répandre ses approches auprès des professionnels de santé.
Alain a déployé beaucoup d’énergie pour développer tous ces projets. Il n’a jamais voulu, même s’il est resté longtemps président de l’ARePTA, se transformer en maître à penser et est resté jusqu’à la fin avide des apports des uns et des autres. Notre collaboration lors des différentes formations et forums était étroite, et les partages écrits et oraux, d’une grande richesse, ont permis de construire un enseignement vivant, donnant toute sa place au lien entre hypnose et thérapies brèves. Jusqu’au bout, il est resté un apprenant. Des philosophes comme Wittgenstein mais surtout Spinoza ou Prajnanpad l’ont beaucoup influencé tant dans sa pratique que dans sa vie personnelle et ont contribué à construire cette « hypnose de l’acceptation » qu’Alain aimait transmettre.
Cet enseignement, il a eu l’occasion de le prodiguer dans de nombreux instituts et universités participant à de nombreux DU (douleur, hypnose...) et aussi lors des forums où ses interventions étaient fort appréciées. Ouvert aux autres et à la différence, il aimait le partage et la confrontation des idées. Il ne manquait jamais un forum de la CFHTB ni l’occasion d’une découverte de la pratique d’un nouvel expert que nous cherchions à inviter dans notre association.
Mais derrière l’enseignant, il y avait l’homme pour qui le « devenir sage » était l’enjeu fondamental de l’existence. Il était un repère pour beaucoup d’entre nous. Plein d’humour, il savait stimuler par de douces provocations les personnes en formation à se décaler de leurs positions et à faire de réelles nouvelles expériences. Toujours présent, studieux et attentif à intégrer de nouveaux apports dans sa pratique, il a grandi dans son métier de thérapeute en parallèle de son métier d’homme. Il pensait profondément que toute croissance existentielle implique de ne pas s’enfermer dans la position du « Sachant ».
C’est peut-être l’art de la navigation qui l’a amené à être ce capitaine serein à la barre du bateau ARePTA. Il n’a pas lâché, attendant le moment opportun pour confier à d’autres la conduite du navire. Jusqu’au bout (cet été encore), Alain aura navigué d’île en île sur cet océan qui le faisait rêver et que nous aimons tant. Il s’est éclipsé, entouré ces derniers mois des siens qui l’ont accompagné dans la maladie qu’il a acceptée avec une dignité exceptionnelle. Nos pensées vont vers sa famille et ses proches.
Alain était un vrai ami, respectueux, ouvert et très attentif à ses proches. J’ai pu observer sa délicatesse si souvent. Il essayait de rejoindre par sa manière de vivre ce qu’il pensait juste. C’est là une tâche très difficile et je peux dire qu’il l’a pleinement réussie.
Alain aimait beaucoup la question miracle que l’on pourrait résumer avec cette formule : Abracadabra ! Delphine Horvilleur (1) nous rappelle qu’en araméen cela se traduit littéralement par « il a fait comme il a dit ». Le verbe crée le changement ! Abracadabra, Alain, dans sa vie.
1. Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts, Grasset, 2021.
Dr Wilfrid MARTINEAU
Chef du pôle Psychiatrie et Santé mentale du CHU de Nantes. Formation à l’hypnose, EMDR, TOS, thérapie narrative et thérapie stratégique. Expérience de l’urgence et des situations de crise et du psychotraumatisme. Exercice actuel en psychiatrie de secteur (CMP et unités d’hospitalisation). Formateur au sein de l’ARePTAInstitut Milton Erickson de Nantes. Coordonnateur du DU Hypnose et Communication thérapeutique de la Faculté de médecine de Nantes.