Par Jason P. AUSTIN, Ph.D.
Mon expérience m’a amené à travailler avec de nombreux toxicomanes qui, en dépit de tous mes efforts, restent catégoriquement accrochés à leur récit problématique. Ils ne peuvent envisager une réécriture de leur histoire pour lui donner un nouveau sens utile. Le but de cet article est de présenter une technique alternative proposant l’utilisation de films pour aider ces sujets à créer des métaphores positives pour leurs expériences vécues. Par ces métaphores, thérapeutes et patients peuvent dès lors entamer un dialogue destiné à créer un espace de ré-écriture du récit narratif. Cet article explore l’utilisation de films et de métaphores en référence à un cas clinique précis et explique comment ils peuvent être associés à la thérapie narrative.
« Il me semble, à la façon dont vous décrivez les choses, que “la boisson” a été le “moteur” pour une bonne partie de votre vie. Y a-t-il eu un moment où cette boisson n’a pas été une aide ? », ai-je demandé à Tasha, 1 une femme de 30 ans issue de la classe ouvrière, qui présente un long passé avec l’alcool.
« Je ne comprends pas la question. J’ai juste une maladie et j’ai besoin d’apprendre à vivre avec pour le reste de ma vie», me répondit Tasha. Elle me regarda avec insistance et frustration, assise les mains croisées devant elle.
En tant que thérapeute débutant, je n’avais pas eu beaucoup de succès dans mes tentatives de verbalisation et de ré-écriture narrative de leur histoire chez les toxicomanes et alcooliques. En conséquence, il était extrêmement difficile pour moi de déconstruire la problématique narrative dominante de ces patients. Depuis la très bonne présentation de la thérapie narrative chez les usagers de drogues (Diamond, 2000), mon problème ne se trouvait plus ni chez le patient, ni dans la technique narrative elle-même, mais bien plutôt dans ma manière personnelle de l’appliquer.
Bien que frustré par mon manque de réussite dans l’utilisation de la thérapie narrative, je n’abandonnais pas. En fait, j’eus une étonnante révélation après avoir demandé à l’un de mes patients les plus difficiles de regarder un film, dont je pensais qu’il était un bon écho à sa problématique. Je fus surpris par l’ampleur du sens qu’il donna à ce film. J’appelle ce cas « L’histoire de Bob »2, l’un de mes cas les plus difficiles et pourtant l’une de mes expériences les plus positives en thérapie narrative. Le propos de cet article sera d’explorer cette expérience et d’en discuter la thèse, à savoir, que se servir de films est une technique utile pour accompagner le processus de ré-écriture en thérapie narrative.
L’histoire de Bob
« Donc, je suis quelqu’un de bien et j’ai eu quelques petits succès avec mon alcoolisme pendant toutes ces années. Et alors ! Ceci n’a rien à voir avec ma maladie et la façon dont elle domine ma vie. J’ai bu pendant un demi-siècle. S’il y avait une façon de la vaincre, je l’aurais déjà fait. Est-ce que vous m’avez compris un jour ? », me dit Bob, 58 ans, buveur depuis l’âge de 8 ans.
Je me suis assis en face de lui, complètement dépité dans mes tentatives de déconstruire et reconstruire son récit narratif d’alcoolique, venant une nouvelle fois d’échouer comme toutes les autres fois auparavant. Je commençais à me sentir désespéré et persuadé que je ferais une meilleure carrière comme vendeur de voitures d’occasion.
Un week-end, je regardais le film 300 à la maison avec un groupe d’amis. Ce film captivant raconte l’histoire du roi Léonidas et de ses 300 soldats qui affrontèrent la puissance militaire du roi perse Xerxès pendant trois jours. Durant l’une des scènes de combats intenses, l’image de Bob s’in sinua soudainement dans mes pensées.
Je me dis alors : « Oh ! Bravo, je ramène du boulot à la maison maintenant !»
Je n’ai pas fait immédiatement la relation mais j’ai été frappé ensuite par la façon dont Bob et Léonidas se ressemblaient. Tous deux étaient enfermés dans leurs convictions et avaient une perception inébranlable de leurs ennemis. Même si la perception de Léonidas était quelque peu différente de celle de Bob, ils semblaient réagir de la même façon aux autres, avec conviction pour ce qui concernait leurs actions envers leurs ennemis.
La semaine suivante, lors de ma quatrième session avec Bob, nous sommes encore parvenus à la même impasse où je tentais de ré-écrire son expérience avec la boisson. Quand cette tentative échoua à nouveau, j’ai soudainement repensé au film 300et je me souviens m’être dit : « Bon, puisque rien d’autre n’a marché... »
« Bob, je me rends compte que je ne vous comprends pas du tout, et vous et moi sommes frustrés. Aussi, je vais vous demander de faire quelque chose que je ne demande habituellement pas dans cette situation », dis-je tout en me penchant sur mon fauteuil pour attraper mon carnet de rendez-vous.
« Okay », me répondit-il avec un brin de frustration.
« J’ai vu un film ce week-end concernant la bataille des Spartiates aux Thermopyles intitulé 300. L’avez-vous vu ? », lui ai-je demandé.
« Non. C’est bon ? », me répliqua-t-il.
« J’ai bien aimé, mais l’important n’est pas qu’il soit bon ou pas. Lorsque je l’ai vu, j’ai pensé à vous, et je n’ai pas très bien compris pourquoi. Et puisque j’ai du mal à comprendre votre histoire à la façon dont vous me la décrivez, peut-être que vous pourriez m’aider. Accepteriez-vous de regarder ce film et de me dire ensuite pourquoi votre histoire a surgi dans mon esprit en le regardant, ou si simplement je deviens un peu fou ?», lui ai-je demandé honnêtement.
« Bon, ben, ça ne peut pas être pire de toute façon. Rien d’autre n’a marché », répondit Bob.
« Merci. On se revoit la semaine prochaine et vous me direz ce que vous en pensez. » Et je terminais ainsi la session. Je me souviens de ma nervosité et de mon inquiétude, sans savoir où j’allais avec cette idée de film.
La semaine suivante, Bob revint avec une intensité particulière dans le regard. Je me souviens avoir songé que toute cette idée de film n’était qu’une perte de temps. « Alors, qu’en avez-vous pensé ? Suis-je fou ? »
« C’était incroyable. J’ai dû le revoir un certain nombre de fois et c’est alors que ça m’a frappé. Le combat entre les Spartiates et Xerxès est comme le mien avec mon addiction à l’alcool. Il y a tellement de points de ressemblance. Tant d’éléments puissants et uniques, comme ces Immortels d’Asie et les autres soldats avec leurs stratégies de combat uniques pour parvenir à la victoire. »
Il tira une feuille de papier.
« J’ai même pris des notes. Ses forces semblent attaquer les Spartiates sans cesse, nuit et jour. Quand l’une fait défaut, Xerxès en envoie une autre. J’ai eu l’impression de combattre toutes ces forces comme les Spartiates. Et tout comme pour eux, le combat ne finit jamais, précisa Bob. J’ai adoré la façon dont les Spartiates sont solidaires entre eux et comment ils vivent pour le combat et non pour la victoire. »
Je le regardais incrédule. C’était la première fois que je percevais une ouverture pour la déconstruction du problème. Imaginer Bob se servant de la capacité des Spartiates à rechercher la gloire dans le combat, ouvrait un espace pour déconstruire sa narration principale où l’alcool prenait le dessus sur lui. Lors des sessions suivantes, nous avons entamé un dialogue productif, créant une métaphore où les multiples forces de Xerxès devenaient l’anxiété, la dépression et la solitude. Nous avons pu revisiter ses tentatives avortées, en utilisant le film 300comme support, pour qu’il parvienne à donner un nouveau sens à ses expériences. Bob n’a jamais échoué, il continue à se battre contre son problème d’alcool, et comme les Spartiates, « Bob vit pour le combat et non pour la victoire ».
J’ai travaillé avec Bob pendant une année et nous avons pu mettre en évidence les forces les plus dangereuses comme les hordes de l’addiction, ou encore les addictions immortelles ; celle de l’anxiété. Durant notre thérapie, Bob emménagea dans une maison de transition et devint le manager de quatre de ces maisons de transition. Il exigea des nouveaux arrivants qu’ils visionnent le film 300 et instilla la notion que « chaque Spartiate protège l’homme à sa gauche tandis que l’homme à sa droite le protège ». Bob indiqua lors d’une session qu’il avait accru l’efficacité de son programme de 30 % à 70 % dans l’intervalle de six mois. Bob rattacha cela au fait que « c’était ça la chance de tous les Grecs ».
D’aucuns diraient que cette ré-écriture n’a pas permis de réaliser ce que l’on peut considérer comme un changement thérapeutique. Bob vit encore dans un combat sans fin avec l’alcool. Cependant, j’argumenterais que maintenant il tire davantage de sens de ses expériences passées avec la boisson et qu’il utilise davantage de ressources pour améliorer son futur. Il décrit ses moments difficiles à venir comme autant de combats, mais il est un Spartiate ; quelqu’un bâti pour le combat. En ré-écrivant son expérience, il n’était plus coincé dans « l’addiction » ; « l’addiction » était coincée avec lui. Et elle avait peur.
Une revue des films utilisés en thérapie
Une fois la thérapie terminée avec Bob, j’ai commencé à conseiller des films à d’autres usagers de drogues. Alors que le film 300 n’a aussi bien fonctionné qu’avec lui, j’ai trouvé d’autres films tout aussi efficaces, tels que Iron Manet Gladiator. Si les films varient, les thèmes sont constants. Tous ces films ont un thème général, celui d’un individu qui combat et surmonte l’impossible. Dans mon expérience, j’ai pu constater que les films aident à ré-écrire l’expérience des patients lors de leurs combats impossibles, tel l’usage de drogues.
Les patients sont capables d’utiliser les films pour construire des métaphores de leur combat. Dans ces métaphores, un espace est créé pour la déconstruction de la narration du problème dominant, permettant au thérapeute et au patient de travailler ensemble dans un espace où une nouvelle narration est désormais possible. L’usage des métaphores en thérapie n’est pas récent. Rasmussen (1995) passe en revue l’usage des métaphores en thérapie psychanalytique avec les sujets névrosés et « borderline ». Il met en évidence que les individus « sains » utilisent les métaphores différemment des individus « malades ». Cependant, Rasmussen use d’un cadre théorique diffèrent. En observant ses clients au travers du filtre de la théorie psychanalytique, il ne crée pas d’espace pour que les clients participent et déploient une agentivité personnelle en ré-écrivant leurs expériences. La différence entre la technique des métaphores créées à partir des films présentée dans cet article et ce que Rasmussen présente, est que le patient est, pour moi, un participant actif. La différence est celle de l’orientation théorique utilisant le constructivisme social plutôt que la théorie psychanalytique. La base théorique de la technique présentée dans cet article est discutée en détail plus loin dans cet article.
L’utilisation des médias et le sens de leur interprétation commencent à susciter un intérêt clinique (Cascio & Gasker, 2001 ; Dermer & Hutchings, 2000 ; Schulenberg, 2003 ; et beaucoup d’autres). Cet intérêt récent a été exposé de façons multiples dans la littérature académique.
Cascio et Gasker (2001) ont rapporté l’usage d’une technique similaire à l’histoire de Bob lorsqu’ils faisaient état des schémas relationnels dan gereux chez leurs patients. Les auteurs expliquent comment les relations peuvent être nocives en se servant du film Dracula comme métaphore, pour décrire à leurs patients une relation destructrice et parasite. Cascio et Gasker poursuivent en expliquant la nature des relations entre Dracula et ses victimes, avec des implications en thérapie pour les sujets ayant une histoire de schémas relationnels instables.
Alors que la technique de Cascio et Gasker (2001) est similaire à celle utilisée dans « L’histoire de Bob », ils utilisent la métaphore en l’expliquant à leur patient, sans permettre à celui-ci de proposer sa propre métaphore. Le mythe de Dracula est utilisé pour caractériser les schémas relationnels, et est présenté de telle façon que la personne ne soit pas un participant actif dans sa construction. Dès lors la méthode présentée par Cascio et Gasker n’apparaît pas en phase avec le constructivisme social et la thérapie narrative où le patient déploie une agentivité personnelle dans la construction de sa métaphore thérapeutique.
D’autres cliniciens ont décrit des résultats positifs similaires, en utilisant les films en thérapie. Schulenberg (2003) montre l’intérêt croissant des thérapeutes à se servir de films. Ils peuvent être le support de métaphores visuelles. Il souligne que « les films comme métaphores visuelles peuvent servir d’agent thérapeutique du changement » (p. 37). Alors que le terme « changement thérapeutique » est plus étroitement associé avec les traitements traditionnels, les métaphores visuelles peuvent essentiellement servir pour le même objectif en thérapie narrative pour les usagers de drogues.
Schulenberg (2003) rapporte que, si l’utilisation de films donne de bons résultats, aucune donnée empirique n’a encore été publiée sur ces techniques. La recherche empirique, étape suivante, est indispensable pour évaluer la place des films en thérapie. Cet article repositionne les films dans le contexte de la thérapie narrative pour les usagers de drogues, en expliquant son usage en terme de technique rudimentaire dans une section ultérieure.
Alors qu’il y a pléthore de littératures sur les métaphores et l’utilisation des films en thérapie, il n’existe que très peu de publications synthétisant ces sujets en rapport avec la thérapie narrative. Beaudoin (2005) discute la façon dont les films et les médias peuvent être utilisés pour explorer la façon dont les gens réagissent aux situations. Dans le cadre narratif, Beaudoin déconstruit les réactions plébiscitées en comparant les films et personnages de fiction, aux expériences de vie de personnes réelles. De cette façon, Beaudoin co-crée une nouvelle histoire dans laquelle les patients ont accès à une plus grande agentivité et n’idéalisent pas les réponses des personnages de fiction.
Mon expérience m’a amené à travailler avec de nombreux toxicomanes qui, en dépit de tous mes efforts, restent catégoriquement accrochés à leur récit problématique. Ils ne peuvent envisager une réécriture de leur histoire pour lui donner un nouveau sens utile. Le but de cet article est de présenter une technique alternative proposant l’utilisation de films pour aider ces sujets à créer des métaphores positives pour leurs expériences vécues. Par ces métaphores, thérapeutes et patients peuvent dès lors entamer un dialogue destiné à créer un espace de ré-écriture du récit narratif. Cet article explore l’utilisation de films et de métaphores en référence à un cas clinique précis et explique comment ils peuvent être associés à la thérapie narrative.
« Il me semble, à la façon dont vous décrivez les choses, que “la boisson” a été le “moteur” pour une bonne partie de votre vie. Y a-t-il eu un moment où cette boisson n’a pas été une aide ? », ai-je demandé à Tasha, 1 une femme de 30 ans issue de la classe ouvrière, qui présente un long passé avec l’alcool.
« Je ne comprends pas la question. J’ai juste une maladie et j’ai besoin d’apprendre à vivre avec pour le reste de ma vie», me répondit Tasha. Elle me regarda avec insistance et frustration, assise les mains croisées devant elle.
En tant que thérapeute débutant, je n’avais pas eu beaucoup de succès dans mes tentatives de verbalisation et de ré-écriture narrative de leur histoire chez les toxicomanes et alcooliques. En conséquence, il était extrêmement difficile pour moi de déconstruire la problématique narrative dominante de ces patients. Depuis la très bonne présentation de la thérapie narrative chez les usagers de drogues (Diamond, 2000), mon problème ne se trouvait plus ni chez le patient, ni dans la technique narrative elle-même, mais bien plutôt dans ma manière personnelle de l’appliquer.
Bien que frustré par mon manque de réussite dans l’utilisation de la thérapie narrative, je n’abandonnais pas. En fait, j’eus une étonnante révélation après avoir demandé à l’un de mes patients les plus difficiles de regarder un film, dont je pensais qu’il était un bon écho à sa problématique. Je fus surpris par l’ampleur du sens qu’il donna à ce film. J’appelle ce cas « L’histoire de Bob »2, l’un de mes cas les plus difficiles et pourtant l’une de mes expériences les plus positives en thérapie narrative. Le propos de cet article sera d’explorer cette expérience et d’en discuter la thèse, à savoir, que se servir de films est une technique utile pour accompagner le processus de ré-écriture en thérapie narrative.
L’histoire de Bob
« Donc, je suis quelqu’un de bien et j’ai eu quelques petits succès avec mon alcoolisme pendant toutes ces années. Et alors ! Ceci n’a rien à voir avec ma maladie et la façon dont elle domine ma vie. J’ai bu pendant un demi-siècle. S’il y avait une façon de la vaincre, je l’aurais déjà fait. Est-ce que vous m’avez compris un jour ? », me dit Bob, 58 ans, buveur depuis l’âge de 8 ans.
Je me suis assis en face de lui, complètement dépité dans mes tentatives de déconstruire et reconstruire son récit narratif d’alcoolique, venant une nouvelle fois d’échouer comme toutes les autres fois auparavant. Je commençais à me sentir désespéré et persuadé que je ferais une meilleure carrière comme vendeur de voitures d’occasion.
Un week-end, je regardais le film 300 à la maison avec un groupe d’amis. Ce film captivant raconte l’histoire du roi Léonidas et de ses 300 soldats qui affrontèrent la puissance militaire du roi perse Xerxès pendant trois jours. Durant l’une des scènes de combats intenses, l’image de Bob s’in sinua soudainement dans mes pensées.
Je me dis alors : « Oh ! Bravo, je ramène du boulot à la maison maintenant !»
Je n’ai pas fait immédiatement la relation mais j’ai été frappé ensuite par la façon dont Bob et Léonidas se ressemblaient. Tous deux étaient enfermés dans leurs convictions et avaient une perception inébranlable de leurs ennemis. Même si la perception de Léonidas était quelque peu différente de celle de Bob, ils semblaient réagir de la même façon aux autres, avec conviction pour ce qui concernait leurs actions envers leurs ennemis.
La semaine suivante, lors de ma quatrième session avec Bob, nous sommes encore parvenus à la même impasse où je tentais de ré-écrire son expérience avec la boisson. Quand cette tentative échoua à nouveau, j’ai soudainement repensé au film 300et je me souviens m’être dit : « Bon, puisque rien d’autre n’a marché... »
« Bob, je me rends compte que je ne vous comprends pas du tout, et vous et moi sommes frustrés. Aussi, je vais vous demander de faire quelque chose que je ne demande habituellement pas dans cette situation », dis-je tout en me penchant sur mon fauteuil pour attraper mon carnet de rendez-vous.
« Okay », me répondit-il avec un brin de frustration.
« J’ai vu un film ce week-end concernant la bataille des Spartiates aux Thermopyles intitulé 300. L’avez-vous vu ? », lui ai-je demandé.
« Non. C’est bon ? », me répliqua-t-il.
« J’ai bien aimé, mais l’important n’est pas qu’il soit bon ou pas. Lorsque je l’ai vu, j’ai pensé à vous, et je n’ai pas très bien compris pourquoi. Et puisque j’ai du mal à comprendre votre histoire à la façon dont vous me la décrivez, peut-être que vous pourriez m’aider. Accepteriez-vous de regarder ce film et de me dire ensuite pourquoi votre histoire a surgi dans mon esprit en le regardant, ou si simplement je deviens un peu fou ?», lui ai-je demandé honnêtement.
« Bon, ben, ça ne peut pas être pire de toute façon. Rien d’autre n’a marché », répondit Bob.
« Merci. On se revoit la semaine prochaine et vous me direz ce que vous en pensez. » Et je terminais ainsi la session. Je me souviens de ma nervosité et de mon inquiétude, sans savoir où j’allais avec cette idée de film.
La semaine suivante, Bob revint avec une intensité particulière dans le regard. Je me souviens avoir songé que toute cette idée de film n’était qu’une perte de temps. « Alors, qu’en avez-vous pensé ? Suis-je fou ? »
« C’était incroyable. J’ai dû le revoir un certain nombre de fois et c’est alors que ça m’a frappé. Le combat entre les Spartiates et Xerxès est comme le mien avec mon addiction à l’alcool. Il y a tellement de points de ressemblance. Tant d’éléments puissants et uniques, comme ces Immortels d’Asie et les autres soldats avec leurs stratégies de combat uniques pour parvenir à la victoire. »
Il tira une feuille de papier.
« J’ai même pris des notes. Ses forces semblent attaquer les Spartiates sans cesse, nuit et jour. Quand l’une fait défaut, Xerxès en envoie une autre. J’ai eu l’impression de combattre toutes ces forces comme les Spartiates. Et tout comme pour eux, le combat ne finit jamais, précisa Bob. J’ai adoré la façon dont les Spartiates sont solidaires entre eux et comment ils vivent pour le combat et non pour la victoire. »
Je le regardais incrédule. C’était la première fois que je percevais une ouverture pour la déconstruction du problème. Imaginer Bob se servant de la capacité des Spartiates à rechercher la gloire dans le combat, ouvrait un espace pour déconstruire sa narration principale où l’alcool prenait le dessus sur lui. Lors des sessions suivantes, nous avons entamé un dialogue productif, créant une métaphore où les multiples forces de Xerxès devenaient l’anxiété, la dépression et la solitude. Nous avons pu revisiter ses tentatives avortées, en utilisant le film 300comme support, pour qu’il parvienne à donner un nouveau sens à ses expériences. Bob n’a jamais échoué, il continue à se battre contre son problème d’alcool, et comme les Spartiates, « Bob vit pour le combat et non pour la victoire ».
J’ai travaillé avec Bob pendant une année et nous avons pu mettre en évidence les forces les plus dangereuses comme les hordes de l’addiction, ou encore les addictions immortelles ; celle de l’anxiété. Durant notre thérapie, Bob emménagea dans une maison de transition et devint le manager de quatre de ces maisons de transition. Il exigea des nouveaux arrivants qu’ils visionnent le film 300 et instilla la notion que « chaque Spartiate protège l’homme à sa gauche tandis que l’homme à sa droite le protège ». Bob indiqua lors d’une session qu’il avait accru l’efficacité de son programme de 30 % à 70 % dans l’intervalle de six mois. Bob rattacha cela au fait que « c’était ça la chance de tous les Grecs ».
D’aucuns diraient que cette ré-écriture n’a pas permis de réaliser ce que l’on peut considérer comme un changement thérapeutique. Bob vit encore dans un combat sans fin avec l’alcool. Cependant, j’argumenterais que maintenant il tire davantage de sens de ses expériences passées avec la boisson et qu’il utilise davantage de ressources pour améliorer son futur. Il décrit ses moments difficiles à venir comme autant de combats, mais il est un Spartiate ; quelqu’un bâti pour le combat. En ré-écrivant son expérience, il n’était plus coincé dans « l’addiction » ; « l’addiction » était coincée avec lui. Et elle avait peur.
Une revue des films utilisés en thérapie
Une fois la thérapie terminée avec Bob, j’ai commencé à conseiller des films à d’autres usagers de drogues. Alors que le film 300 n’a aussi bien fonctionné qu’avec lui, j’ai trouvé d’autres films tout aussi efficaces, tels que Iron Manet Gladiator. Si les films varient, les thèmes sont constants. Tous ces films ont un thème général, celui d’un individu qui combat et surmonte l’impossible. Dans mon expérience, j’ai pu constater que les films aident à ré-écrire l’expérience des patients lors de leurs combats impossibles, tel l’usage de drogues.
Les patients sont capables d’utiliser les films pour construire des métaphores de leur combat. Dans ces métaphores, un espace est créé pour la déconstruction de la narration du problème dominant, permettant au thérapeute et au patient de travailler ensemble dans un espace où une nouvelle narration est désormais possible. L’usage des métaphores en thérapie n’est pas récent. Rasmussen (1995) passe en revue l’usage des métaphores en thérapie psychanalytique avec les sujets névrosés et « borderline ». Il met en évidence que les individus « sains » utilisent les métaphores différemment des individus « malades ». Cependant, Rasmussen use d’un cadre théorique diffèrent. En observant ses clients au travers du filtre de la théorie psychanalytique, il ne crée pas d’espace pour que les clients participent et déploient une agentivité personnelle en ré-écrivant leurs expériences. La différence entre la technique des métaphores créées à partir des films présentée dans cet article et ce que Rasmussen présente, est que le patient est, pour moi, un participant actif. La différence est celle de l’orientation théorique utilisant le constructivisme social plutôt que la théorie psychanalytique. La base théorique de la technique présentée dans cet article est discutée en détail plus loin dans cet article.
L’utilisation des médias et le sens de leur interprétation commencent à susciter un intérêt clinique (Cascio & Gasker, 2001 ; Dermer & Hutchings, 2000 ; Schulenberg, 2003 ; et beaucoup d’autres). Cet intérêt récent a été exposé de façons multiples dans la littérature académique.
Cascio et Gasker (2001) ont rapporté l’usage d’une technique similaire à l’histoire de Bob lorsqu’ils faisaient état des schémas relationnels dan gereux chez leurs patients. Les auteurs expliquent comment les relations peuvent être nocives en se servant du film Dracula comme métaphore, pour décrire à leurs patients une relation destructrice et parasite. Cascio et Gasker poursuivent en expliquant la nature des relations entre Dracula et ses victimes, avec des implications en thérapie pour les sujets ayant une histoire de schémas relationnels instables.
Alors que la technique de Cascio et Gasker (2001) est similaire à celle utilisée dans « L’histoire de Bob », ils utilisent la métaphore en l’expliquant à leur patient, sans permettre à celui-ci de proposer sa propre métaphore. Le mythe de Dracula est utilisé pour caractériser les schémas relationnels, et est présenté de telle façon que la personne ne soit pas un participant actif dans sa construction. Dès lors la méthode présentée par Cascio et Gasker n’apparaît pas en phase avec le constructivisme social et la thérapie narrative où le patient déploie une agentivité personnelle dans la construction de sa métaphore thérapeutique.
D’autres cliniciens ont décrit des résultats positifs similaires, en utilisant les films en thérapie. Schulenberg (2003) montre l’intérêt croissant des thérapeutes à se servir de films. Ils peuvent être le support de métaphores visuelles. Il souligne que « les films comme métaphores visuelles peuvent servir d’agent thérapeutique du changement » (p. 37). Alors que le terme « changement thérapeutique » est plus étroitement associé avec les traitements traditionnels, les métaphores visuelles peuvent essentiellement servir pour le même objectif en thérapie narrative pour les usagers de drogues.
Schulenberg (2003) rapporte que, si l’utilisation de films donne de bons résultats, aucune donnée empirique n’a encore été publiée sur ces techniques. La recherche empirique, étape suivante, est indispensable pour évaluer la place des films en thérapie. Cet article repositionne les films dans le contexte de la thérapie narrative pour les usagers de drogues, en expliquant son usage en terme de technique rudimentaire dans une section ultérieure.
Alors qu’il y a pléthore de littératures sur les métaphores et l’utilisation des films en thérapie, il n’existe que très peu de publications synthétisant ces sujets en rapport avec la thérapie narrative. Beaudoin (2005) discute la façon dont les films et les médias peuvent être utilisés pour explorer la façon dont les gens réagissent aux situations. Dans le cadre narratif, Beaudoin déconstruit les réactions plébiscitées en comparant les films et personnages de fiction, aux expériences de vie de personnes réelles. De cette façon, Beaudoin co-crée une nouvelle histoire dans laquelle les patients ont accès à une plus grande agentivité et n’idéalisent pas les réponses des personnages de fiction.
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“Hors série n°10 de la revue Hypnose & Thérapies brèves. Mars 2016. “ C'est un numéro double de 196 pages. “Thème : “Les métaphores". Utilisation de la pensée symbolique"
Construites ou filées, développées ou succinctes, universelles ou personnelles, les métaphores constituent une boîte à outils à l’immense portée thérapeutique. Comment les construire, comment les utiliser, c’est ce qu’explique avec de nombreux exemples ce hors-série n°10 de la revue Hypnose & Thérapies brèves.
- Hypnose et Thérapies Brèves. Leçon d’humilité… Histoire courte, conte, légende universelle, tableau de maître, ou simple image, la métaphore existe depuis la nuit des temps et inspire notre vie quotidienne.
- De la métaphore dans la maladie et le soin. Yves HALFON «En matière de métaphore, les apparences sont tout, sauf trompeuses.»
- Métaphores sur Grand Ecran : utilisation des films en thérapie narrative avec les toxicomanes - Le poète, le patient et l’hypnothérapeute - Les métaphores: Définitions. La métaphore, du grecμεταφορα (« metaphorá »= transport), est une figure de style fondée sur l’analogie. Un terme est substitué à un autre, issu d’un champ lexical différent, parce qu’il lui ressemble ou partage avec celui-ci une qualité essentielle.
- L’heure du changement: Deux images métaphoriques me servent « d’accroche » quand les patients les remarquent dans mon cabinet de consultations. - L’enchantement hypnotique des métaphores. Joyce C. MILLS, Ph.D.
- Fier d’être « un pot fêlé ». Il y a bien longtemps, un soignant m’envoya ce conte hindou. Je ne me souviens plus du nom du soignant...
- La métaphore, une communication intersubjective directe
- Henri le Hérisson. Céline BENHARROCH LEININGER - Création et utilisation de contes métaphoriques en hypnose - Les histoires de grand-père. Marco KLOP
- Le nez fin. Camille ROCHE-DJEFFEL
- La réification. Yves HALFON
- L’énigme de la Perle Noire. Métaphore de la rencontre du « Comte de Brosseau » Ou une métaphore qui en cache une autre.
Pour acheter ce numéro de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves à l’unité, ou vous abonner, cliquez ici
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Construites ou filées, développées ou succinctes, universelles ou personnelles, les métaphores constituent une boîte à outils à l’immense portée thérapeutique. Comment les construire, comment les utiliser, c’est ce qu’explique avec de nombreux exemples ce hors-série n°10 de la revue Hypnose & Thérapies brèves.
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