En réalité, je n’aurais jamais eu l’idée de postuler pour un tel emploi si une rencontre fortuite avec le chef de service de ce service prestigieux et une partie de son équipe n’avait suscité leur désir de me recruter. J’avais une formation psychanalytique et j’exerçais auprès de femmes enceintes pour la préparation à l’accouchement sans douleur, et j’ai alors émis de grandes réserves quant à mes compétences dans un tel service. (L’âge fatidique de la retraite m’a fait quitter le service hospitalier vingt ans après, mais je continue mon travail avec les brûlés, les traumatisés et les défigurés en pratique libérale depuis, et je consacre du temps à la formation à l’hypnose d’équipes médicales et paramédicales.)
Pour comprendre ce que pouvait être le travail dans un service de grands brûlés, il y a près de trente ans maintenant, il faut d’abord savoir qu’en 1980, pour diverses raisons, il n’y avait aucun moyen d’atténuer la douleur extrême des patients pendant les pansements pratiqués trois fois par semaine, dans une baignoire. Des pleurs, des cris, des muscles crispés par la douleur et la hantise de retrouver cette même douleur 48 heures après, c’est ce que chaque patient, adulte ou enfant, exprimait alors. Il faut également savoir qu’à cette époque, les brûlés jouissaient d’une très mauvaise réputation : « Ne se brûle pas qui veut », écrivait un médecin, tandis qu’une étude réalisée à Cochin sur 100 brûlés, par une psychiatre et l’unique psychologue de brûlés de France à l’époque, démontrait que les 100 brûlés examinés étaient tous dépressifs, donc il fallait bien être dépressif pour être brûlé ! Dix ans après, la surveillante de ce même service, me demandant de participer à une table ronde au premier congrès européen de chirurgie plastique, me disait encore : « Et vous nous expliquerez bien pourquoi tous les brûlés sont zinzins. » J’espérais avoir fait œuvre utile en démontrant, tests validés statistiquement à l’appui, que la brûlure détruit la peau et désorganise le psychisme car il y a un « Moi Peau », mais les préjugés sont tenaces et cet été encore une table ronde consacrée par la Société Française d’Etude et de Traitement de la Brûlure (S.F.E.T.B.) n’évoquait que la psychiatrie sans prendre en compte le vécu psychologique.
Lors de mon immersion dans le centre de traitement des brûlés, je me suis sentie désemparée devant l’ampleur de la tâche et la difficulté de remédier à cette immense douleur physique et morale, car il y avait de la détresse chez ces brûlés défigurés, amputés, dont la vie serait à jamais bouleversée même après d’innombrables interventions de chirurgie réparatrice.
J’étais monitrice d’accouchement sans douleur et je pratiquais donc « la méthode psychoprophylactique obstétricale ». Relaxation, fixation de l’attention sur le rythme de la respiration… Voilà ce que furent mes premiers outils contre la douleur des brûlés. Mais bien sûr, vous l’avez compris, relâchement musculaire, fixation de l’attention, utilisation de la respiration, cela évoque l’hypnose. Puis ce fut l’haptonomie que m’enseigna mon ami le psychanalyste Bernard This, qui ne soupçonna jamais qu’il pratiquait ainsi une forme d’hypnose ! Je finis par me former réellement à la méthode ericksonienne dont je suis devenue formatrice, mais je mis un certain temps à faire savoir à l’équipe que c’était bien d’hypnose qu’il s’agissait.
Travaillant dans un hôpital militaire où l’hypnose n’avait en principe pas droit de cité, je n’ai fait mon « coming out » que tardivement et cela fut très médiatisé mais pas vraiment « un long fleuve tranquille »… Mais qui, avant cette révélation, se posait la question de savoir ce qui se passait vraiment lorsque, pendant un pansement en baignoire, sans aucune anesthésie, je parlais tranquillement au patient qui respirait calmement tandis que le chirurgien demandait aux infirmiers de respecter le silence pour que je puisse faire… de l’haptonomie.
J’ai donc utilisé l’hypnose éricksonienne dans le double but de mieux prendre en charge la douleur physique intolérable générée par les brûlures et pour traiter dès qu’il était possible de s’entretenir avec les patients, c’est-à- dire lorsqu’ils n’étaient plus intubés et ventilés et avaient accès à la parole, pour atténuer le syndrome post-traumatique et éradiquer tant que faire se pouvait l’apparition d’une névrose traumatique. Dans les deux cas, je me suis adressée à des patients adultes et à des enfants.
Au Centre de Traitement des Brûlés de l’H.I.A. Percy, il n’existait en principe que deux lits pour les enfants car la région parisienne dispose, avec l’hôpital Trousseau, d’un service entier pour de tels patients. Cependant, il est arrivé que sept à huit des vingt-deux lits soient occupés par des enfants. D’autre part, il n’y avait quasiment pas de jour où des parents n’amènent en consultation externe de tout jeunes enfants ébouillantés dans la cuisine familiale ou dans un bain trop chaud, à moins encore qu’ils n’aient mis les mains sur la plaque chauffante de la cuisinière électrique. Brûlés sur une petite surface, de façon superficielle, ils souffraient beaucoup mais n’avaient pas droit au traitement morphinique puisqu’ils étaient suivis à titre externe. Le soulagement obtenu était non seulement bénéfique pour ces jeunes patients mais également pour le personnel soignant qui se sent toujours coupable de faire mal à un enfant, et pour les consultations externes, c’est la plupart du temps une infirmière ou le chirurgien qui venait me chercher.
Parfois cependant l’attitude des parents peut ruiner le travail effectué : un petit garçon de 4 ans souffrait et pleurait beaucoup avant même d’entrer dans la salle de soins. Il était inévitablement accompagné de sa mère, créature un peu amorphe et totalement dominée par la grand-mère qui prenait les choses en main et qu’on avait bien du mal à ne pas laisser entrer en salle de soins où elle promettait à l’enfant une bonne fessée s’il ne se calmait pas tout de suite. On fit donc appel à moi. J’allai vers l’enfant, puis je lui dis, comme j’ai appris à le faire avec Françoise Dolto, « bonjour, moi je m’appelle Monique, et toi comment est-ce que tu t’appelles ? » Il me répondit aussitôt et j’enchaînai en lui demandant s’il aimait les petits chiens. A sa réponse affirmative, comme je faisais semblant de porter un petit animal dans les bras et de le caresser, je lui dis : « Tiens, prends le mien et caresse-le, il aime ça. » L’enfant entra dans le jeu, fut conduit seul dans la salle de soins où l’infirmière déballa le pansement et le refit dans un calme total, occupés que nous étions, l’enfant et moi, à parler du petit chien, à caresser le petit chien. A la sortie de la salle de soins qui était parfaitement silencieuse, la grand-mère aboya « qu’est-ce que vous lui avez fait ? »... L’infirmière répondit « son pansement qui s’est très bien passé ». « Mais vous ? », reprit la grand-mère en s’adressant à moi. « Nous avons parlé de petits chiens, il les aime bien. » L’enfant souriant alla chercher sa mère toujours vautrée sur un fauteuil et partit en babillant. Le lendemain, à l’heure du pansement, le trio était là... Ou plutôt le quatuor car l’enfant portait dans les bras un énorme chien en peluche. La grand-mère m’apostropha vigoureusement en me disant : « Allez-vous en ! On a les moyens de payer un vrai chien à mon petit-fils et on ne veut pas que vous le rendiez fou avec vos… sottises ! » Inutile de préciser que le pansement fut un long cri de douleur et d’angoisse.
Un second exemple vient confirmer cette méconnaissance, voire cette haine véhiculée à l’époque par l’hypnose. Une petite fille brûlée au cours de l’incendie de la cuisine souffrait de sérieux éléments post-traumatiques, hallucinations la replaçant dans les flammes, cauchemars, violente angoisse. Je me rendis donc rapidement à son chevet à la demande de l’équipe, y compris du chef de service. Mais une surprise m’attendait dans la chambre de l’enfant : sa mère, institutrice, m’avait vue dans une émission de télévision récente. Elle se précipita sur moi pour m’interdire d’approcher sa fille car elle se refusait à toute « manipulation » et rien n’y fit, la petite partit en rééducation fonctionnelle avec son angoisse, ses cauchemars, sa hantise du feu. Cela me consterna beaucoup plus que les propos venimeux et grossiers tenus à mon égard par la mère…
MONIQUE STEPHANT Psychologue clinicienne, hypnothérapeute. Ex-psychologue du Centre de Traitement des Brûlés Hôpital d’Instruction des Armées Percy. Ex-chargée de cours à l’Université Paris X Nanterre. Expert auprès des Tribunaux
Pour comprendre ce que pouvait être le travail dans un service de grands brûlés, il y a près de trente ans maintenant, il faut d’abord savoir qu’en 1980, pour diverses raisons, il n’y avait aucun moyen d’atténuer la douleur extrême des patients pendant les pansements pratiqués trois fois par semaine, dans une baignoire. Des pleurs, des cris, des muscles crispés par la douleur et la hantise de retrouver cette même douleur 48 heures après, c’est ce que chaque patient, adulte ou enfant, exprimait alors. Il faut également savoir qu’à cette époque, les brûlés jouissaient d’une très mauvaise réputation : « Ne se brûle pas qui veut », écrivait un médecin, tandis qu’une étude réalisée à Cochin sur 100 brûlés, par une psychiatre et l’unique psychologue de brûlés de France à l’époque, démontrait que les 100 brûlés examinés étaient tous dépressifs, donc il fallait bien être dépressif pour être brûlé ! Dix ans après, la surveillante de ce même service, me demandant de participer à une table ronde au premier congrès européen de chirurgie plastique, me disait encore : « Et vous nous expliquerez bien pourquoi tous les brûlés sont zinzins. » J’espérais avoir fait œuvre utile en démontrant, tests validés statistiquement à l’appui, que la brûlure détruit la peau et désorganise le psychisme car il y a un « Moi Peau », mais les préjugés sont tenaces et cet été encore une table ronde consacrée par la Société Française d’Etude et de Traitement de la Brûlure (S.F.E.T.B.) n’évoquait que la psychiatrie sans prendre en compte le vécu psychologique.
Lors de mon immersion dans le centre de traitement des brûlés, je me suis sentie désemparée devant l’ampleur de la tâche et la difficulté de remédier à cette immense douleur physique et morale, car il y avait de la détresse chez ces brûlés défigurés, amputés, dont la vie serait à jamais bouleversée même après d’innombrables interventions de chirurgie réparatrice.
J’étais monitrice d’accouchement sans douleur et je pratiquais donc « la méthode psychoprophylactique obstétricale ». Relaxation, fixation de l’attention sur le rythme de la respiration… Voilà ce que furent mes premiers outils contre la douleur des brûlés. Mais bien sûr, vous l’avez compris, relâchement musculaire, fixation de l’attention, utilisation de la respiration, cela évoque l’hypnose. Puis ce fut l’haptonomie que m’enseigna mon ami le psychanalyste Bernard This, qui ne soupçonna jamais qu’il pratiquait ainsi une forme d’hypnose ! Je finis par me former réellement à la méthode ericksonienne dont je suis devenue formatrice, mais je mis un certain temps à faire savoir à l’équipe que c’était bien d’hypnose qu’il s’agissait.
Travaillant dans un hôpital militaire où l’hypnose n’avait en principe pas droit de cité, je n’ai fait mon « coming out » que tardivement et cela fut très médiatisé mais pas vraiment « un long fleuve tranquille »… Mais qui, avant cette révélation, se posait la question de savoir ce qui se passait vraiment lorsque, pendant un pansement en baignoire, sans aucune anesthésie, je parlais tranquillement au patient qui respirait calmement tandis que le chirurgien demandait aux infirmiers de respecter le silence pour que je puisse faire… de l’haptonomie.
J’ai donc utilisé l’hypnose éricksonienne dans le double but de mieux prendre en charge la douleur physique intolérable générée par les brûlures et pour traiter dès qu’il était possible de s’entretenir avec les patients, c’est-à- dire lorsqu’ils n’étaient plus intubés et ventilés et avaient accès à la parole, pour atténuer le syndrome post-traumatique et éradiquer tant que faire se pouvait l’apparition d’une névrose traumatique. Dans les deux cas, je me suis adressée à des patients adultes et à des enfants.
Au Centre de Traitement des Brûlés de l’H.I.A. Percy, il n’existait en principe que deux lits pour les enfants car la région parisienne dispose, avec l’hôpital Trousseau, d’un service entier pour de tels patients. Cependant, il est arrivé que sept à huit des vingt-deux lits soient occupés par des enfants. D’autre part, il n’y avait quasiment pas de jour où des parents n’amènent en consultation externe de tout jeunes enfants ébouillantés dans la cuisine familiale ou dans un bain trop chaud, à moins encore qu’ils n’aient mis les mains sur la plaque chauffante de la cuisinière électrique. Brûlés sur une petite surface, de façon superficielle, ils souffraient beaucoup mais n’avaient pas droit au traitement morphinique puisqu’ils étaient suivis à titre externe. Le soulagement obtenu était non seulement bénéfique pour ces jeunes patients mais également pour le personnel soignant qui se sent toujours coupable de faire mal à un enfant, et pour les consultations externes, c’est la plupart du temps une infirmière ou le chirurgien qui venait me chercher.
Parfois cependant l’attitude des parents peut ruiner le travail effectué : un petit garçon de 4 ans souffrait et pleurait beaucoup avant même d’entrer dans la salle de soins. Il était inévitablement accompagné de sa mère, créature un peu amorphe et totalement dominée par la grand-mère qui prenait les choses en main et qu’on avait bien du mal à ne pas laisser entrer en salle de soins où elle promettait à l’enfant une bonne fessée s’il ne se calmait pas tout de suite. On fit donc appel à moi. J’allai vers l’enfant, puis je lui dis, comme j’ai appris à le faire avec Françoise Dolto, « bonjour, moi je m’appelle Monique, et toi comment est-ce que tu t’appelles ? » Il me répondit aussitôt et j’enchaînai en lui demandant s’il aimait les petits chiens. A sa réponse affirmative, comme je faisais semblant de porter un petit animal dans les bras et de le caresser, je lui dis : « Tiens, prends le mien et caresse-le, il aime ça. » L’enfant entra dans le jeu, fut conduit seul dans la salle de soins où l’infirmière déballa le pansement et le refit dans un calme total, occupés que nous étions, l’enfant et moi, à parler du petit chien, à caresser le petit chien. A la sortie de la salle de soins qui était parfaitement silencieuse, la grand-mère aboya « qu’est-ce que vous lui avez fait ? »... L’infirmière répondit « son pansement qui s’est très bien passé ». « Mais vous ? », reprit la grand-mère en s’adressant à moi. « Nous avons parlé de petits chiens, il les aime bien. » L’enfant souriant alla chercher sa mère toujours vautrée sur un fauteuil et partit en babillant. Le lendemain, à l’heure du pansement, le trio était là... Ou plutôt le quatuor car l’enfant portait dans les bras un énorme chien en peluche. La grand-mère m’apostropha vigoureusement en me disant : « Allez-vous en ! On a les moyens de payer un vrai chien à mon petit-fils et on ne veut pas que vous le rendiez fou avec vos… sottises ! » Inutile de préciser que le pansement fut un long cri de douleur et d’angoisse.
Un second exemple vient confirmer cette méconnaissance, voire cette haine véhiculée à l’époque par l’hypnose. Une petite fille brûlée au cours de l’incendie de la cuisine souffrait de sérieux éléments post-traumatiques, hallucinations la replaçant dans les flammes, cauchemars, violente angoisse. Je me rendis donc rapidement à son chevet à la demande de l’équipe, y compris du chef de service. Mais une surprise m’attendait dans la chambre de l’enfant : sa mère, institutrice, m’avait vue dans une émission de télévision récente. Elle se précipita sur moi pour m’interdire d’approcher sa fille car elle se refusait à toute « manipulation » et rien n’y fit, la petite partit en rééducation fonctionnelle avec son angoisse, ses cauchemars, sa hantise du feu. Cela me consterna beaucoup plus que les propos venimeux et grossiers tenus à mon égard par la mère…
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