Au débuts du magnétisme étaient la synchronisation silencieuse au cours de laquelle l'attention se concentrait dans le "rapport exclusif", un mutuel échange de conscience, qui n'a rien perdu de son efficience de nos jours.
A partir d’une situation clinique particulière obligeant le thérapeute à développer une autre posture, ou plus exactement à renforcer la posture thérapeutique propre à l’hypnose, je voudrais mettre en question et en lien deux grands thèmes évoqués dans ce forum : la notion d’observation en hypnose d’une part, et l’abord instrumental ou stratégique de cette approche d’autre part. Ce qui nous conduira, s’il en est encore besoin, à revenir à la nature même de l’hypnose. Celle-ci, de l’ordre d’une mise en relation, d’une mise en présence, offre à la prise en charge thérapeutique un contexte relationnel particulier, « facilitateur », à condition de préserver son essence singulière, indéfinissable, qui fait son efficacité.
SITUATION CLINIQUE
Il s’agit d’une jeune patiente que je vois depuis plusieurs semaines. Elle présente un important malaise social, amplifié par une rupture sentimentale très douloureuse. On note de lourds antécédents familiaux. A la suite de cette rupture, outre des difficultés d’ordre relationnel, elle a développé une symptomatologie dermatologique dont nous reparlerons, mais qui ne paraît pas être centrale dans la thérapie. Au bout de quelques séances, la patiente se sent mieux, avoue hésiter ou être un peu angoissée à l’idée de venir.
Au début d’une nouvelle séance, elle s’autorise à dire qu’il lui est difficile de rester sous mon regard dans les moments « d’exercice » ; je lui propose de tourner le fauteuil comme il lui convient. De ce fait, la patiente tourne le fauteuil de telle sorte que je ne la voie plus du tout, et qu’elle ne ressente plus, je l’imagine, mon regard sur elle. L’exercice semble au début bien périlleux pour moi, en tout cas dans les premiers instants. Ne voyant plus la patiente, ne pouvant donc plus détecter aucun indice d’observation (visuel au sens strict du terme) si précieux comme nous l’ont enseigné nos maîtres à la suite d’Erickson, le choix se présente : soit faire une induction standard, « à l’aveugle », et un travail plus ou moins prédéfini (que ce soit métaphore, méthode ou technique déjà utilisée, maîtrisée ou imaginée dans le court dialogue préliminaire à notre séance), soit « se jeter à l’eau » et prendre le risque de laisser venir ce qui adviendra, être à l’écoute de ce qui se passera ; demandant pour cela une autre attention, un autre mode d’observation.
Cette dernière attitude paraît risquée au premier abord, elle engage le thérapeute que je suis dans une terre inconnue, où il ne sait rien de ce qu’il fera, dira, ressentira, mais dans laquelle il peut s’immerger en s’investissant de tout son être dans l’instant de l’exercice. Attitude d’un engagement total dans l’ici et maintenant, différente de celle, rassurante, de l’application d’une stratégie éprouvée, connue, d’une technique apprise, d’une méthode que l’on suit, mot après mot, à la manière d’un chemin bien balisé. Cependant, le travail avec François Roustang tout particulièrement, ainsi qu’avec Mony Elkaïm, dans le champ des thérapies systémiques familiales, nous incite à considérer chaque rencontre comme singulière, rencontre qui ne peut se satisfaire d’un abord standardisé. Je me lance donc. De ce fait, il ne faut pas nier que dans les premières secondes je m’appuie sur des phrases banales et connues, permettant un début d’induction, phrases que nous connaissons tous ; « s’installer, se laisser porter par ses perceptions, sa respiration... ». Mais bien vite, m’abandonnant à la situation, je perds le fil d’une induction « type », et me laisse porter par ce qui vient, perceptions, images, idées, paroles, parfois surprenantes. Je perds donc le fil d’une induction systématique, et mes yeux se ferment, puis le discours, les silences et le rythme s’installent sans que rien ne prédise d’un instant à l’autre ce qu’il adviendra. L’induction a bien eu lieu, mais qui est d’abord concerné, patient ou thérapeute ?
Je voudrais m’arrêter à ce point de la présentation sur les interrogations qui se posent du côté du patient, de celui du thérapeute, et enfin de cette mise en présence. En premier lieu, cette patiente, par sa demande, a mis au jour un point qui était jusqu’alors resté pour moi bien négligeable, et pourtant capital. En effet, d’un point de vue général, le fait même que chaque patient vient en séance pour se laisser entrer dans une expérience hypnotique, c’est-à-dire de revenir à soi, pour soi, afin de laisser place à ce qui se produira, sachant qu’un autre, hypnothérapeute, l’observe ou est censé l’observer, est en soi un acte déterminant. Nous sommes donc en présence d’un sujet se sachant observé qui, se sachant observé, observe d’une certaine manière intérieurement son thérapeute. Et pourtant, il abandonne le regard supposé de l’autre, il le néglige. Sans doute, plus que le regard de l’autre, c’est la présence de l’autre qu’il oublie.
Cependant l’autre est là en même temps pour l’accompagner. Le premier acte en soi, avant même l’induction et déjà à mon sens thérapeutique, est cette possibilité d’abandonner l’importance s’il en est de ce regard, et donc de ce lien, avec un hypnotiseur. Abandon, oubli de l’autre, paradoxalement portés par la présence de l’autre. C’est en somme ce qui caractérise l’hypnose : l’importance et la négligence accordée au thérapeute simultanément. Le premier acte thérapeutique du patient est déjà cette capacité, plus encore, cette décision préalable de s’installer dans ce dispositif particulier. La possibilité d’être seul, avec soi dans l’oubli du thérapeute et en même temps d’être avec l’autre dans un lien qui se fait et se défait en permanence pendant la séance.
Mais qu’en est-il du thérapeute ? Plusieurs questions se posent à ce moment-là. Que faire en l’absence de signes visuels, de repères habituellement présents, pour dérouler la séance ? Comment être au plus près de cette présence absence nécessaire à l’hypnose ? Ou comment le thérapeute peut-il amplifier ce qui est déjà en œuvre par le dispositif même de la séance, en réponse à l’acte premier du patient ? Ces deux interrogations renvoient, il me semble, au même : à la posture du thérapeute, plus précisément à son mode de présence en hypnose. Présence portée par un lien hypnotique réciproque qui entraîne d’abord le thérapeute, puis le patient dans l’espace relationnel. Je me suis interrogée sur la crainte ou l’espèce de vide qui ont précédé chacune des séances suivantes, au moment où la patiente tournait son fauteuil. La vision manquant, sur quoi s’appuyer lorsque la vue fait défaut, pour asseoir une induction, puis des interventions ? Que devient notre position de miroir s’il n’y a plus le reflet ? C’est alors à la réciprocité qu’il faut revenir. Quand le patient se soustrait à l’observation habituelle, le thérapeute doit développer une autre forme d’observation. Privé de support visuel, il est poussé à s’appuyer sur d’autres indices, plus fins, plus subtils, à se concentrer sur des signes presque imperceptibles, à s’immerger dans le contexte. Dans notre situation clinique, je me surprends à fermer les yeux, à me laisser porter, une fois la concentration établie, par ce que je ressens de la présence du patient, ce que je perçois.
A partir d’une situation clinique particulière obligeant le thérapeute à développer une autre posture, ou plus exactement à renforcer la posture thérapeutique propre à l’hypnose, je voudrais mettre en question et en lien deux grands thèmes évoqués dans ce forum : la notion d’observation en hypnose d’une part, et l’abord instrumental ou stratégique de cette approche d’autre part. Ce qui nous conduira, s’il en est encore besoin, à revenir à la nature même de l’hypnose. Celle-ci, de l’ordre d’une mise en relation, d’une mise en présence, offre à la prise en charge thérapeutique un contexte relationnel particulier, « facilitateur », à condition de préserver son essence singulière, indéfinissable, qui fait son efficacité.
SITUATION CLINIQUE
Il s’agit d’une jeune patiente que je vois depuis plusieurs semaines. Elle présente un important malaise social, amplifié par une rupture sentimentale très douloureuse. On note de lourds antécédents familiaux. A la suite de cette rupture, outre des difficultés d’ordre relationnel, elle a développé une symptomatologie dermatologique dont nous reparlerons, mais qui ne paraît pas être centrale dans la thérapie. Au bout de quelques séances, la patiente se sent mieux, avoue hésiter ou être un peu angoissée à l’idée de venir.
Au début d’une nouvelle séance, elle s’autorise à dire qu’il lui est difficile de rester sous mon regard dans les moments « d’exercice » ; je lui propose de tourner le fauteuil comme il lui convient. De ce fait, la patiente tourne le fauteuil de telle sorte que je ne la voie plus du tout, et qu’elle ne ressente plus, je l’imagine, mon regard sur elle. L’exercice semble au début bien périlleux pour moi, en tout cas dans les premiers instants. Ne voyant plus la patiente, ne pouvant donc plus détecter aucun indice d’observation (visuel au sens strict du terme) si précieux comme nous l’ont enseigné nos maîtres à la suite d’Erickson, le choix se présente : soit faire une induction standard, « à l’aveugle », et un travail plus ou moins prédéfini (que ce soit métaphore, méthode ou technique déjà utilisée, maîtrisée ou imaginée dans le court dialogue préliminaire à notre séance), soit « se jeter à l’eau » et prendre le risque de laisser venir ce qui adviendra, être à l’écoute de ce qui se passera ; demandant pour cela une autre attention, un autre mode d’observation.
Cette dernière attitude paraît risquée au premier abord, elle engage le thérapeute que je suis dans une terre inconnue, où il ne sait rien de ce qu’il fera, dira, ressentira, mais dans laquelle il peut s’immerger en s’investissant de tout son être dans l’instant de l’exercice. Attitude d’un engagement total dans l’ici et maintenant, différente de celle, rassurante, de l’application d’une stratégie éprouvée, connue, d’une technique apprise, d’une méthode que l’on suit, mot après mot, à la manière d’un chemin bien balisé. Cependant, le travail avec François Roustang tout particulièrement, ainsi qu’avec Mony Elkaïm, dans le champ des thérapies systémiques familiales, nous incite à considérer chaque rencontre comme singulière, rencontre qui ne peut se satisfaire d’un abord standardisé. Je me lance donc. De ce fait, il ne faut pas nier que dans les premières secondes je m’appuie sur des phrases banales et connues, permettant un début d’induction, phrases que nous connaissons tous ; « s’installer, se laisser porter par ses perceptions, sa respiration... ». Mais bien vite, m’abandonnant à la situation, je perds le fil d’une induction « type », et me laisse porter par ce qui vient, perceptions, images, idées, paroles, parfois surprenantes. Je perds donc le fil d’une induction systématique, et mes yeux se ferment, puis le discours, les silences et le rythme s’installent sans que rien ne prédise d’un instant à l’autre ce qu’il adviendra. L’induction a bien eu lieu, mais qui est d’abord concerné, patient ou thérapeute ?
Je voudrais m’arrêter à ce point de la présentation sur les interrogations qui se posent du côté du patient, de celui du thérapeute, et enfin de cette mise en présence. En premier lieu, cette patiente, par sa demande, a mis au jour un point qui était jusqu’alors resté pour moi bien négligeable, et pourtant capital. En effet, d’un point de vue général, le fait même que chaque patient vient en séance pour se laisser entrer dans une expérience hypnotique, c’est-à-dire de revenir à soi, pour soi, afin de laisser place à ce qui se produira, sachant qu’un autre, hypnothérapeute, l’observe ou est censé l’observer, est en soi un acte déterminant. Nous sommes donc en présence d’un sujet se sachant observé qui, se sachant observé, observe d’une certaine manière intérieurement son thérapeute. Et pourtant, il abandonne le regard supposé de l’autre, il le néglige. Sans doute, plus que le regard de l’autre, c’est la présence de l’autre qu’il oublie.
Cependant l’autre est là en même temps pour l’accompagner. Le premier acte en soi, avant même l’induction et déjà à mon sens thérapeutique, est cette possibilité d’abandonner l’importance s’il en est de ce regard, et donc de ce lien, avec un hypnotiseur. Abandon, oubli de l’autre, paradoxalement portés par la présence de l’autre. C’est en somme ce qui caractérise l’hypnose : l’importance et la négligence accordée au thérapeute simultanément. Le premier acte thérapeutique du patient est déjà cette capacité, plus encore, cette décision préalable de s’installer dans ce dispositif particulier. La possibilité d’être seul, avec soi dans l’oubli du thérapeute et en même temps d’être avec l’autre dans un lien qui se fait et se défait en permanence pendant la séance.
Mais qu’en est-il du thérapeute ? Plusieurs questions se posent à ce moment-là. Que faire en l’absence de signes visuels, de repères habituellement présents, pour dérouler la séance ? Comment être au plus près de cette présence absence nécessaire à l’hypnose ? Ou comment le thérapeute peut-il amplifier ce qui est déjà en œuvre par le dispositif même de la séance, en réponse à l’acte premier du patient ? Ces deux interrogations renvoient, il me semble, au même : à la posture du thérapeute, plus précisément à son mode de présence en hypnose. Présence portée par un lien hypnotique réciproque qui entraîne d’abord le thérapeute, puis le patient dans l’espace relationnel. Je me suis interrogée sur la crainte ou l’espèce de vide qui ont précédé chacune des séances suivantes, au moment où la patiente tournait son fauteuil. La vision manquant, sur quoi s’appuyer lorsque la vue fait défaut, pour asseoir une induction, puis des interventions ? Que devient notre position de miroir s’il n’y a plus le reflet ? C’est alors à la réciprocité qu’il faut revenir. Quand le patient se soustrait à l’observation habituelle, le thérapeute doit développer une autre forme d’observation. Privé de support visuel, il est poussé à s’appuyer sur d’autres indices, plus fins, plus subtils, à se concentrer sur des signes presque imperceptibles, à s’immerger dans le contexte. Dans notre situation clinique, je me surprends à fermer les yeux, à me laisser porter, une fois la concentration établie, par ce que je ressens de la présence du patient, ce que je perçois.
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Au-delà de la technique… L’intuition ? Par Patrick Bellet.
“L’intuition peut-elle s’apprendre ?“ Par Aurélie Mainguet.
“Qui influence qui ? La relation thérapeutique revisitée. Par Irène Bouaziz.
“Entre observation et perception“. Par Sylvie Le Pelletier-Beaufond.
“Justin et l’engin magique“. Par Marie-Odile Soucaze des Soucaze.
“Hypnose du présent, hypnose de l’acceptation“. Par Alain Vallée.
“Hyperesthésie somnambulique, à propos d’un article de Bergson“. Par Bertrand Méheust.
“De l’intuition à la lucidité“. Par Djohar Si Ahmed.
“Le sens interne“. Par Bertrand Méheust. “Consultation du lundi 1er février 2010“. Par Claude Virot.
Pour acheter ce numéro de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves à l’unité, ou vous abonner, cliquez ici
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Sophie TOURNOUËR
Hypnothérapeute, Thérapie EMDR, Thérapies Brèves Orientées Solution, Psychologue.
Exerce dans le Cabinet d'Hypnose, Thérapies Brèves et EMDR de Paris 11.
Chargée de Formation au CHTIP à Paris, à l’Institut Hypnotim à Marseille
Rédactrice web de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
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