© Claudia Botero
Il fallait que je fasse autrement... Longtemps j’ai ressenti un poids dans mon corps, à la description des signes chroniques que faisaient les patients. Ce malaise, cet envahissement, je ne savais pas quoi en faire. Alors je me suis formée en hypnose et HTSMA. En partant de l’hypothèse que les symptômes sont une tentative dysfonctionnelle de solution à des problèmes, un arrêt de la personne, la thérapie HTSMA va chercher une dynamique de mouvement et un être ensemble. Elle va travailler sur les processus d’attachement et de séparation. Différents moyens sont utilisés : un questionnement stratégique, accordage très fin corporel, patient thérapeute, bulle hypnotique, mouvements alternatifs oculaires, des tappings, balancements, comme soutien, tissage corporels.
Avec l’hypnose ericksonienne et l’HTSMA, nous pouvons utiliser les matériaux du patient et sa capacité à imaginer. Alors, cette sensation que j’ai là, à l’intérieur de moi, pendant que la personne parle, je peux l’externaliser, comme une information implicite du patient qui était en attente. Je la place entre nous deux en nommant ce que je ressens. Et je demande : comment ça réagit en lui ? Je peux entendre au-delà du symptôme, là où je pouvais me sentir prisonnière avec le patient derrière la répétition du symptôme. Trouver un mouvement, une forme, une réponse différente, c’est ce que je suis allée chercher dans les formations. L’accompagnement dans un non-agir vigilant, ce que nous ne connaissons pas comme somaticiens, permet au patient de reprendre son propre mouvement. J’ai choisi quelques cas...
Cas 1 : la confusion
Un patient de 84 ans vient pour un prurit très ancien des oreilles et les plis, ce qui le gêne socialement et le fait mal dormir.
- Patient : « Les crèmes ne font rien. Je suis tout le temps nerveux… Depuis toujours mais là, ça peut cogiter encore plus. Je suis anxieux pour les enfants, les petits-enfants, d’autant plus que mon fils a eu un accident, pas grave, mais j’ai eu peur. Alors j’ai peur, même pour le chien... à cause de la route. Je suis “miné” d’angoisse. Je suis ralenti dans mes activités, absent ou tracassé. »
Je lui donne un traitement symptomatique. Nous nous revoyons pour faire « un exercice » : une induction loin, près, porter son attention sur la respiration, les pieds, en détaillant, et remonter en scannant le corps. Au bout d’un moment, il dit en bougeant bras et jambes : « Mais là, je suis là ! Je me sens détendu, un peu lourd mais c’est bien de sentir son corps comme ça. Je sens une détente interne, je me ressens à présent ! » Je lui demande de refaire ce petit exercice le plus régulièrement possible. Il revient un mois plus tard, souriant :
- P. : « Je me réveille beaucoup moins et je me rendors plus vite. Je ne me gratte plus, et je n’y pense plus. Quoi que, si j’y pense, là je peux me gratter. » Et il repart sur une anticipation anxieuse.
- P. : « Je fais mon exercice tous les jours chez moi, et je remarque que ça fourmille plus d’un côté que de l’autre.
- Thérapeute : C’est vrai que chaque partie du corps a une façon peut-être différente de se montrer, montrer qu’elle est vivante, ou de se reposer, réagir, poser une question. Et pourtant, tous les organes fonctionnent ensemble, reliés par le mouvement de la respiration. Regardez comment c’est pour vous, vous seul savez comment c’est pour vous. On part sur une induction loin, près, et au fur et à mesure, il commente le processus:
- P. : Ça ne me gêne pas, je peux fixer un point, et en même temps parler et sentir le fourmillement des jambes et cuisses. Je me sens là, je sens l’intérieur et je regarde dehors. Je suggère d’observer les sensations du corps sans rien chercher à changer...
- P. : Sans rien chercher à changer, ça c’est important... Il dit plus tard...
- P. :Mais ça fait comme une relaxation où on regarde les petits changements qui peuvent arriver.
- Th. : Et comment ça fait dans le corps ?
- P. : C’est bien d’être là ! Le corps est relâché, je sens une densité intérieure, ça bouge et l’esprit est relâché aussi. » Il sourit et commente simplement : « Il ne faut rien chercher à changer, les choses sont là, comme elles sont là... Le cerveau n’a pas le temps à lui, d’habitude, car il rêvasse, ou alors les pensées sont trop là... alors qu’avec l’exercice, c’est là, et je le sens. Si ça passe, ça passe.... J’accepte que ça passe, comme les gens qui passent dehors, c’est tout... Ça semble naturel et on ne s’en préoccupe pas. Faire les exercices tous les jours, sans rien chercher à changer, c’est ça... » La douleur disparaît complètement dans la semaine qui suit. Il s’est remis en lien avec son environnement, là où la douleur venait l’exclure de son quotidien.
Cas 2 : le combat
« C’est affreux, j’avais tout avant. On ne devrait pas vieillir. » Suit ensuite un grand sac virtuel habituel qu’elle dépose sur la table : négativité, découragement. C’est le leitmotiv de cette dame de 84 ans. Elle vient pour des kératoses actiniques particulièrement profuses secondaires à une vie passée dans un pays ensoleillé. Difficile d’appliquer de l’azote liquide sur de si grandes zones. Nous choisissons un traitement topique irritant, mais qui peut traiter ces champs de cancérisation possible. Je questionne la patiente. Elle réagit quand j’évoque « déprimée » mais ne veut, encore une fois, rien prendre. Je la vois un jour pour une aggravation du nombre des lésions des jambes. Elle reprend : « C’est désespérant, je suis très en colère, j’étais championne de saut, de course, j’avais de belles jambes, et regardez-moi maintenant, c’est horrible, c’est désespérant... »
Nous nous penchons sur ses jambes. C’est si légitime, ce qui est dit, et en même temps je me sens si impuissante devant la sollicitation extrême de la patiente, à prendre cause pour sa guerre contre le vieillissement, que je reste silencieuse soudain... quelques secondes... au bord de l’espace traumatique, dans une acceptation, un lâcher-prise, ou alors à bout d’argument et de prise, à glisser dans le silence.
Puis je lui dis, simplement, désabusée, avec une pointe d’emphase : « Et maintenant, qu’allons-nous faire de toute cette… désespérance ? » Un grand silence figé suit. Alors que je suis encore penchée sur les jambes, à ma plus grande surprise la patiente se met à déclamer un poème avec la même ton emphatique : « Les chants désespérés sont les plus beaux... » Et munie d’un grand sourire triomphant, elle enchaîne en récitant complètement la poésie de Victor Hugo, Demain, dès l’aube, ode à la défunte Léopoldine. Toute trace de cette lourdeur qui l’habite a disparu. La patiente fait une volte-face, se calme, retrouve sa superbe. Deux mois plus tard, alors que le discours négatif tente une sortie, je la questionne, et là elle acquiesce : « Oui, bien sûr, je suis déprimée, je sens une lourdeur importante en moi mais je n’ai jamais voulu rien prendre, car rien ne changera mes jambes. » Elle ne veut pas d’hypnose. Son mode de fonctionnement est la revendication victimaire, d’une représentation qui n’existe plus, hélas. Je lui demande si cela ne serait pas bien quand même de prendre un traitement pour la soulager de cet élastique qui la tire en arrière, quand c’est très lourd. Elle me regarde et répond « pourquoi pas ? »
Elle ne prend son traitement que six semaines mais se sent bien pendant un an. Nous retenons l’effet supposé du recadrage, accordage de la séance « émergence poétique », car suite à cela, c’est la poésie qui est le point sur lequel nous sommes d’accord, et qui met de la bonne humeur aux séances d’azote liquide. Au bout d’un an, la patiente reprend ses plaintes dépressives, dans « la toute puissance de l’impuissance », pour citer Eric Bardot. Dans la chronicité, le but caché du symptôme n’est pas l’expression de la guérison mais de la survie. L’obligation clandestine de « tenir debout » pour les valeurs importantes pour lui impacte le patient et peut le faire somatiser, ou lui faire tenir des positions intenables. Le symptôme est le mât du chapiteau sans lequel tout s’écroule, dans le ressenti du patient. Mais, comme le dit Eric Bardot, dans ce cas-là le patient confond sa propre chute avec celle du monde de ses représentations. Le médecin peut se sentir entraîné à tenir l’intenable, et s’épuiser. Il peut essayer une posture plus écologique. François Roustang nous dit que le patient est amené à voir s’il veut vivre ou s’il reste à faire vivre une représentation qui le coupe d’une partie de son énergie vitale. C’est cette énergie vitale que l’on cherche à mobiliser, une acceptation de la forme qui arrive, de l’aléa, et de la remise en lien, avec soi et les autres. Et cette acceptation inconditionnelle vaut pour le thérapeute qui doit accepter aussi l’aléa, ce qui vient ou pas, dans le déroulé de la séance. Le patient a le choix d’acter aussi le point qu’il ne peut pas dépasser, tout comme le thérapeute.
Cas 3 : l’absence de soi, la fuite
Une patiente de 65 ans, suivie pour un cancer de la vessie et polypes récurrents, vient pour des douleurs vaginales qui durent depuis six ans, concomittantes d’une irrigation vésicale d’Ametycine. Elle est déprimée, pleure. Elle se sent dépassée. Je lui prescris à visée antalgique Laroxyl 5 à 8 gouttes/jour. Un mois après, elle me dit qu’en raison de nombreux polypes, le chirurgien lui a annoncé de façon abrupte que sa vessie allait être retirée. « J’ai décidé de ne pas pleurer, je regarde ça comme si ce n’était pas moi, je suis détachée. » Ce qui a fait contexte traumatique, c’est le fait de les voir en direct sur l’écran d’échographie, lors de la prise d’un deuxième avis, avec un chirurgien qui tout d’un coup change de couleur et dit de façon vive : « Mais il y en a beaucoup ! »
- Thérapeute : « Et là, que voulez-vous de bon pour vous ?
- Patiente : Je ne sais pas, des larmes, mais je ne sais pas pleurer.
- Th. : C’est acceptable de demander de l’aide, là où vous en êtes ? Elle accepte finalement de mettre sa main sur la mienne mais pas de déposer ses larmes. On met dix minutes avant que sa main ne touche la mienne, elle reste bloquée en lévitation.
- P. : Mais si, j’y suis.
- Th. : Non, la main ne touche pas… OK, on fait comme ça. Et elle pose peu à peu, et me dit : Vous voyez, là ça touche. Et tout d’un coup, elle sort de l’exercice pour me demander :
- P. : Est-ce que vous n’êtes pas impactée à la fin de la journée avec toutes ces larmes que vous devez voir ?
- Th. : Non, regardez : vous êtes là, je suis là, et nous nous rencontrons au milieu dans l’entre-deux.
- P. : Je comprends, tant que nous sommes en contact, nous sommes protégées. » Je l’invite à porter son attention au niveau du diaphragme car elle me dit qu’elle est bloquée. Ça se débloque peu à peu en respirant, ça circule. Les mouvements alternatifs tissent le déroulé de l’expérience sécure. Sa main finit par se décoller de la mienne. Des larmes coulent, de bonnes larmes, dit-elle. Le tapping approfondit la transe (image qui vient : des nuages ; on rapproche l’image ; une personne de l’entourage est en lien, et l’univers ; elle intègre au niveau du coeur, tapping genoux, ouverture à l’expérience sécure). C’est léger, heureux, ça flotte. Elle conclut tranquillement : « Le chirurgien a bloqué dans la relation. » Un mois après, elle n’est plus gênée par les douleurs. L’expérience a commencé à retisser une relation de confiance au corps et à l’autre, dans la période difficile qu’elle traverse.
Cas 4 : la sidération traumatique
Cette belle femme, soignée, de 57 ans, consulte pour une forte sensibilité autour de l’oeil, un oedème léger qui persiste sans explication, six semaines après une opération en urgence d’un décollement de rétine. Le flou visuel résiduel la terrorise malgré des avis itératifs en ophtalmologie, qui prônent la patience. Je la suis régulièrement pour des plaques d’eczéma des bras lors de stress, des gestes esthétiques. Le questionnement fait apparaître l’impression de ne pas y voir clair dans sa vie, avec une quête de sens, une grande confusion. A la maison, c’est le syndrome du nid vide, alors que le mari s’épanouit dans le travail. Elle a fait un burn-out six ans auparavant, avec harcèlement au travail « reconnu », dit-elle. Malgré une reconversion de cadre de santé, elle ne trouve pas de travail dans le domaine qu’elle vise. Cette douleur péri-orbitaire l’absorbe. Je propose une séance « pour faire le point », à grand renfort de suggestions visuelles. Nous faisons un scanning du corps. Je lui demande de porter son attention, un regard, une écoute à chaque partie du corps, à chaque sensation, et aussi chaque mouvement nouveau qui peut venir là, sans rien chercher à changer, juste être là, à observer, ressentir ce que cela fait. Je lui propose de respirer de l’intérieur jusqu’à l’extérieur, jusqu’à la peau, dans toutes les densités du corps. En une semaine, la douleur et l’oedème de l’oeil disparaissent, mais restent les troubles visuels et une forte anxiété. Les ruminations viennent saturer l’échange du début de la séance 2, plaçant la patiente en induction hypnotique. Elle finit par dire :
- Patiente : « J’ai un trop mauvais regard sur la vie. Quand les gens me renvoient la réalité, enfin telle qu’eux la voient, c’est terrible. J’ai peur d’être à nouveau en dépression, tout me fait peur. Tout fout le camp, et je le constate sur ma peau.
- Thérapeute : C’est la tête, la peau, les yeux ?
- P. : Les yeux… Pendant qu’elle me dit qu’elle lutte, je vois ses yeux fascinés observer fixement dans le vide. Je sens sa peur, un processus morbide.
- Th. : Et qu’est-ce que ces yeux ne peuvent regarder ? Ce langage dissocie les yeux du reste du corps, pour en dégager une interaction, en terme d’action, intention, ou effets. Comme rien ne prend forme chez elle, j’externalise mon ressenti (en HTSMA, le thérapeute en position décentrée, une partie à l’écoute, l’autre centrée en lui, est invité à se servir de sa boussole intérieure ; cela permet de ne pas impacter une information physiquement ressentie, de trianguler, et de faire apparaître une information sur la scène de travail).
- Th. : Je vais faire un truc bizarre : cette sensation étrange, diffuse, ce “toujours un peu plus de la même chose” que je sens-là, dans mon corps, je le prends et je le place entre nous deux.
- P. : Oui, je vois, cette forme étrange, c’est une errance ! Et comme je sens encore l’impact corporel de la confusion, de l’informe, j’éloigne mon siège. Je tends une main et lui demande de me dire à quel moment elle sent une limite à cette sensation d’errance, par rapport à la position de ma main qui a une fonction contenante. Quand elle me dit « stop », je lui demande comment elle se sent. Ça va mieux, c’est plus fluide dans son corps. Ma main se place en écran et je l’invite à la fixer et porter son attention sur la première image qui vient. Dans l’espace informe dans lequel nous sommes, la main vient matérialiser les limites de l’errance (qui aurait pu aller jusqu’à l’effondrement). Puis l’écran permet de faire halluciner la première forme qui émerge et d’observer la réaction en retour. Nous ne faisons que suivre le processus vivant et interactif, qui se déroule au fur et à mesure.
- P. : C’est le regard de mon père qui apparaît. Ça me rend confuse, incapable.
- Th. : Comment s’y prend ce regard pour rendre incapable ?
- P. : En se détournant. On ne regardait pas la fille, pour ne pas la rendre orgueilleuse... Je la laisse en silence, la voyant chercher en elle.
- Th. : Et comment ça réagit en vous ?
- P. : Je me sens apaisée. » A fixer ce regard devant elle, là, maintenant, elle en perçoit la bienveillance, et l’internalise lorsque j’approche doucement la main qui porte le regard, jusqu’à son sternum. Elle se sent soulagée par cet ancrage de sécurité.
Séance 3
- P. : A-t-on besoin de comprendre pour avancer ? Je vis en pensant que le monde devrait être une perfection. Il y a le monde de la peur, le monde de la perfection qui ne veut pas regarder la réalité.
Pour lire la suite...
Avec l’hypnose ericksonienne et l’HTSMA, nous pouvons utiliser les matériaux du patient et sa capacité à imaginer. Alors, cette sensation que j’ai là, à l’intérieur de moi, pendant que la personne parle, je peux l’externaliser, comme une information implicite du patient qui était en attente. Je la place entre nous deux en nommant ce que je ressens. Et je demande : comment ça réagit en lui ? Je peux entendre au-delà du symptôme, là où je pouvais me sentir prisonnière avec le patient derrière la répétition du symptôme. Trouver un mouvement, une forme, une réponse différente, c’est ce que je suis allée chercher dans les formations. L’accompagnement dans un non-agir vigilant, ce que nous ne connaissons pas comme somaticiens, permet au patient de reprendre son propre mouvement. J’ai choisi quelques cas...
Cas 1 : la confusion
Un patient de 84 ans vient pour un prurit très ancien des oreilles et les plis, ce qui le gêne socialement et le fait mal dormir.
- Patient : « Les crèmes ne font rien. Je suis tout le temps nerveux… Depuis toujours mais là, ça peut cogiter encore plus. Je suis anxieux pour les enfants, les petits-enfants, d’autant plus que mon fils a eu un accident, pas grave, mais j’ai eu peur. Alors j’ai peur, même pour le chien... à cause de la route. Je suis “miné” d’angoisse. Je suis ralenti dans mes activités, absent ou tracassé. »
Je lui donne un traitement symptomatique. Nous nous revoyons pour faire « un exercice » : une induction loin, près, porter son attention sur la respiration, les pieds, en détaillant, et remonter en scannant le corps. Au bout d’un moment, il dit en bougeant bras et jambes : « Mais là, je suis là ! Je me sens détendu, un peu lourd mais c’est bien de sentir son corps comme ça. Je sens une détente interne, je me ressens à présent ! » Je lui demande de refaire ce petit exercice le plus régulièrement possible. Il revient un mois plus tard, souriant :
- P. : « Je me réveille beaucoup moins et je me rendors plus vite. Je ne me gratte plus, et je n’y pense plus. Quoi que, si j’y pense, là je peux me gratter. » Et il repart sur une anticipation anxieuse.
- P. : « Je fais mon exercice tous les jours chez moi, et je remarque que ça fourmille plus d’un côté que de l’autre.
- Thérapeute : C’est vrai que chaque partie du corps a une façon peut-être différente de se montrer, montrer qu’elle est vivante, ou de se reposer, réagir, poser une question. Et pourtant, tous les organes fonctionnent ensemble, reliés par le mouvement de la respiration. Regardez comment c’est pour vous, vous seul savez comment c’est pour vous. On part sur une induction loin, près, et au fur et à mesure, il commente le processus:
- P. : Ça ne me gêne pas, je peux fixer un point, et en même temps parler et sentir le fourmillement des jambes et cuisses. Je me sens là, je sens l’intérieur et je regarde dehors. Je suggère d’observer les sensations du corps sans rien chercher à changer...
- P. : Sans rien chercher à changer, ça c’est important... Il dit plus tard...
- P. :Mais ça fait comme une relaxation où on regarde les petits changements qui peuvent arriver.
- Th. : Et comment ça fait dans le corps ?
- P. : C’est bien d’être là ! Le corps est relâché, je sens une densité intérieure, ça bouge et l’esprit est relâché aussi. » Il sourit et commente simplement : « Il ne faut rien chercher à changer, les choses sont là, comme elles sont là... Le cerveau n’a pas le temps à lui, d’habitude, car il rêvasse, ou alors les pensées sont trop là... alors qu’avec l’exercice, c’est là, et je le sens. Si ça passe, ça passe.... J’accepte que ça passe, comme les gens qui passent dehors, c’est tout... Ça semble naturel et on ne s’en préoccupe pas. Faire les exercices tous les jours, sans rien chercher à changer, c’est ça... » La douleur disparaît complètement dans la semaine qui suit. Il s’est remis en lien avec son environnement, là où la douleur venait l’exclure de son quotidien.
Cas 2 : le combat
« C’est affreux, j’avais tout avant. On ne devrait pas vieillir. » Suit ensuite un grand sac virtuel habituel qu’elle dépose sur la table : négativité, découragement. C’est le leitmotiv de cette dame de 84 ans. Elle vient pour des kératoses actiniques particulièrement profuses secondaires à une vie passée dans un pays ensoleillé. Difficile d’appliquer de l’azote liquide sur de si grandes zones. Nous choisissons un traitement topique irritant, mais qui peut traiter ces champs de cancérisation possible. Je questionne la patiente. Elle réagit quand j’évoque « déprimée » mais ne veut, encore une fois, rien prendre. Je la vois un jour pour une aggravation du nombre des lésions des jambes. Elle reprend : « C’est désespérant, je suis très en colère, j’étais championne de saut, de course, j’avais de belles jambes, et regardez-moi maintenant, c’est horrible, c’est désespérant... »
Nous nous penchons sur ses jambes. C’est si légitime, ce qui est dit, et en même temps je me sens si impuissante devant la sollicitation extrême de la patiente, à prendre cause pour sa guerre contre le vieillissement, que je reste silencieuse soudain... quelques secondes... au bord de l’espace traumatique, dans une acceptation, un lâcher-prise, ou alors à bout d’argument et de prise, à glisser dans le silence.
Puis je lui dis, simplement, désabusée, avec une pointe d’emphase : « Et maintenant, qu’allons-nous faire de toute cette… désespérance ? » Un grand silence figé suit. Alors que je suis encore penchée sur les jambes, à ma plus grande surprise la patiente se met à déclamer un poème avec la même ton emphatique : « Les chants désespérés sont les plus beaux... » Et munie d’un grand sourire triomphant, elle enchaîne en récitant complètement la poésie de Victor Hugo, Demain, dès l’aube, ode à la défunte Léopoldine. Toute trace de cette lourdeur qui l’habite a disparu. La patiente fait une volte-face, se calme, retrouve sa superbe. Deux mois plus tard, alors que le discours négatif tente une sortie, je la questionne, et là elle acquiesce : « Oui, bien sûr, je suis déprimée, je sens une lourdeur importante en moi mais je n’ai jamais voulu rien prendre, car rien ne changera mes jambes. » Elle ne veut pas d’hypnose. Son mode de fonctionnement est la revendication victimaire, d’une représentation qui n’existe plus, hélas. Je lui demande si cela ne serait pas bien quand même de prendre un traitement pour la soulager de cet élastique qui la tire en arrière, quand c’est très lourd. Elle me regarde et répond « pourquoi pas ? »
Elle ne prend son traitement que six semaines mais se sent bien pendant un an. Nous retenons l’effet supposé du recadrage, accordage de la séance « émergence poétique », car suite à cela, c’est la poésie qui est le point sur lequel nous sommes d’accord, et qui met de la bonne humeur aux séances d’azote liquide. Au bout d’un an, la patiente reprend ses plaintes dépressives, dans « la toute puissance de l’impuissance », pour citer Eric Bardot. Dans la chronicité, le but caché du symptôme n’est pas l’expression de la guérison mais de la survie. L’obligation clandestine de « tenir debout » pour les valeurs importantes pour lui impacte le patient et peut le faire somatiser, ou lui faire tenir des positions intenables. Le symptôme est le mât du chapiteau sans lequel tout s’écroule, dans le ressenti du patient. Mais, comme le dit Eric Bardot, dans ce cas-là le patient confond sa propre chute avec celle du monde de ses représentations. Le médecin peut se sentir entraîné à tenir l’intenable, et s’épuiser. Il peut essayer une posture plus écologique. François Roustang nous dit que le patient est amené à voir s’il veut vivre ou s’il reste à faire vivre une représentation qui le coupe d’une partie de son énergie vitale. C’est cette énergie vitale que l’on cherche à mobiliser, une acceptation de la forme qui arrive, de l’aléa, et de la remise en lien, avec soi et les autres. Et cette acceptation inconditionnelle vaut pour le thérapeute qui doit accepter aussi l’aléa, ce qui vient ou pas, dans le déroulé de la séance. Le patient a le choix d’acter aussi le point qu’il ne peut pas dépasser, tout comme le thérapeute.
Cas 3 : l’absence de soi, la fuite
Une patiente de 65 ans, suivie pour un cancer de la vessie et polypes récurrents, vient pour des douleurs vaginales qui durent depuis six ans, concomittantes d’une irrigation vésicale d’Ametycine. Elle est déprimée, pleure. Elle se sent dépassée. Je lui prescris à visée antalgique Laroxyl 5 à 8 gouttes/jour. Un mois après, elle me dit qu’en raison de nombreux polypes, le chirurgien lui a annoncé de façon abrupte que sa vessie allait être retirée. « J’ai décidé de ne pas pleurer, je regarde ça comme si ce n’était pas moi, je suis détachée. » Ce qui a fait contexte traumatique, c’est le fait de les voir en direct sur l’écran d’échographie, lors de la prise d’un deuxième avis, avec un chirurgien qui tout d’un coup change de couleur et dit de façon vive : « Mais il y en a beaucoup ! »
- Thérapeute : « Et là, que voulez-vous de bon pour vous ?
- Patiente : Je ne sais pas, des larmes, mais je ne sais pas pleurer.
- Th. : C’est acceptable de demander de l’aide, là où vous en êtes ? Elle accepte finalement de mettre sa main sur la mienne mais pas de déposer ses larmes. On met dix minutes avant que sa main ne touche la mienne, elle reste bloquée en lévitation.
- P. : Mais si, j’y suis.
- Th. : Non, la main ne touche pas… OK, on fait comme ça. Et elle pose peu à peu, et me dit : Vous voyez, là ça touche. Et tout d’un coup, elle sort de l’exercice pour me demander :
- P. : Est-ce que vous n’êtes pas impactée à la fin de la journée avec toutes ces larmes que vous devez voir ?
- Th. : Non, regardez : vous êtes là, je suis là, et nous nous rencontrons au milieu dans l’entre-deux.
- P. : Je comprends, tant que nous sommes en contact, nous sommes protégées. » Je l’invite à porter son attention au niveau du diaphragme car elle me dit qu’elle est bloquée. Ça se débloque peu à peu en respirant, ça circule. Les mouvements alternatifs tissent le déroulé de l’expérience sécure. Sa main finit par se décoller de la mienne. Des larmes coulent, de bonnes larmes, dit-elle. Le tapping approfondit la transe (image qui vient : des nuages ; on rapproche l’image ; une personne de l’entourage est en lien, et l’univers ; elle intègre au niveau du coeur, tapping genoux, ouverture à l’expérience sécure). C’est léger, heureux, ça flotte. Elle conclut tranquillement : « Le chirurgien a bloqué dans la relation. » Un mois après, elle n’est plus gênée par les douleurs. L’expérience a commencé à retisser une relation de confiance au corps et à l’autre, dans la période difficile qu’elle traverse.
Cas 4 : la sidération traumatique
Cette belle femme, soignée, de 57 ans, consulte pour une forte sensibilité autour de l’oeil, un oedème léger qui persiste sans explication, six semaines après une opération en urgence d’un décollement de rétine. Le flou visuel résiduel la terrorise malgré des avis itératifs en ophtalmologie, qui prônent la patience. Je la suis régulièrement pour des plaques d’eczéma des bras lors de stress, des gestes esthétiques. Le questionnement fait apparaître l’impression de ne pas y voir clair dans sa vie, avec une quête de sens, une grande confusion. A la maison, c’est le syndrome du nid vide, alors que le mari s’épanouit dans le travail. Elle a fait un burn-out six ans auparavant, avec harcèlement au travail « reconnu », dit-elle. Malgré une reconversion de cadre de santé, elle ne trouve pas de travail dans le domaine qu’elle vise. Cette douleur péri-orbitaire l’absorbe. Je propose une séance « pour faire le point », à grand renfort de suggestions visuelles. Nous faisons un scanning du corps. Je lui demande de porter son attention, un regard, une écoute à chaque partie du corps, à chaque sensation, et aussi chaque mouvement nouveau qui peut venir là, sans rien chercher à changer, juste être là, à observer, ressentir ce que cela fait. Je lui propose de respirer de l’intérieur jusqu’à l’extérieur, jusqu’à la peau, dans toutes les densités du corps. En une semaine, la douleur et l’oedème de l’oeil disparaissent, mais restent les troubles visuels et une forte anxiété. Les ruminations viennent saturer l’échange du début de la séance 2, plaçant la patiente en induction hypnotique. Elle finit par dire :
- Patiente : « J’ai un trop mauvais regard sur la vie. Quand les gens me renvoient la réalité, enfin telle qu’eux la voient, c’est terrible. J’ai peur d’être à nouveau en dépression, tout me fait peur. Tout fout le camp, et je le constate sur ma peau.
- Thérapeute : C’est la tête, la peau, les yeux ?
- P. : Les yeux… Pendant qu’elle me dit qu’elle lutte, je vois ses yeux fascinés observer fixement dans le vide. Je sens sa peur, un processus morbide.
- Th. : Et qu’est-ce que ces yeux ne peuvent regarder ? Ce langage dissocie les yeux du reste du corps, pour en dégager une interaction, en terme d’action, intention, ou effets. Comme rien ne prend forme chez elle, j’externalise mon ressenti (en HTSMA, le thérapeute en position décentrée, une partie à l’écoute, l’autre centrée en lui, est invité à se servir de sa boussole intérieure ; cela permet de ne pas impacter une information physiquement ressentie, de trianguler, et de faire apparaître une information sur la scène de travail).
- Th. : Je vais faire un truc bizarre : cette sensation étrange, diffuse, ce “toujours un peu plus de la même chose” que je sens-là, dans mon corps, je le prends et je le place entre nous deux.
- P. : Oui, je vois, cette forme étrange, c’est une errance ! Et comme je sens encore l’impact corporel de la confusion, de l’informe, j’éloigne mon siège. Je tends une main et lui demande de me dire à quel moment elle sent une limite à cette sensation d’errance, par rapport à la position de ma main qui a une fonction contenante. Quand elle me dit « stop », je lui demande comment elle se sent. Ça va mieux, c’est plus fluide dans son corps. Ma main se place en écran et je l’invite à la fixer et porter son attention sur la première image qui vient. Dans l’espace informe dans lequel nous sommes, la main vient matérialiser les limites de l’errance (qui aurait pu aller jusqu’à l’effondrement). Puis l’écran permet de faire halluciner la première forme qui émerge et d’observer la réaction en retour. Nous ne faisons que suivre le processus vivant et interactif, qui se déroule au fur et à mesure.
- P. : C’est le regard de mon père qui apparaît. Ça me rend confuse, incapable.
- Th. : Comment s’y prend ce regard pour rendre incapable ?
- P. : En se détournant. On ne regardait pas la fille, pour ne pas la rendre orgueilleuse... Je la laisse en silence, la voyant chercher en elle.
- Th. : Et comment ça réagit en vous ?
- P. : Je me sens apaisée. » A fixer ce regard devant elle, là, maintenant, elle en perçoit la bienveillance, et l’internalise lorsque j’approche doucement la main qui porte le regard, jusqu’à son sternum. Elle se sent soulagée par cet ancrage de sécurité.
Séance 3
- P. : A-t-on besoin de comprendre pour avancer ? Je vis en pensant que le monde devrait être une perfection. Il y a le monde de la peur, le monde de la perfection qui ne veut pas regarder la réalité.
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Dr VÉRONIQUE BONNET
Médecin dermatologue, hypnothérapeute, installée en libéral à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines). Formée à l’hypnose à la Pitié-Salpêtrière, et en HTSMA à l’Institut Miméthys. Membre de l’Association française de dermatologie psychosomatique
Commandez ce Hors-Série n°14 de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves. Soigner la dépression
Cet ouvrage de 228 pages analyse la dépression et les traitements de cette maladie qui frappe à un moment ou à un autre, selon l’OMS, 15% de la population mondiale de 15 à 75 ans. Les dix neufs auteurs qui contribuent à ce hors-série témoignent chacun à sa manière d’un savoir-faire en matière de prise en charge des patients déprimés. Loin des thérapies standardisées et de l’utilisation des psychotropes, ils montrent la singularité de chaque séance et invitent le lecteur à s’étonner, réfléchir et expérimenter pour sa propre pratique. Catherine Leloutre-Guibert a coordonné ce hors-série avec Sophie Cohen, rédactrice en chef.
Sommaire :
- Douleur chronique et dépression. D. Le Breton
- La dépression : un trouble attentionnel ? J.-M. Benhaiem
- La grossesse, le devenir parent. H. Saulnier
- Attitudes paradoxales. V. Torres-Lacaze et G. Delannoy
- Plutôt que la drogue. D. Roberts
- Naître dans la dépression maternelle. E. Bardot
- Le deuil au pays de l’individualisme. J. Betbèze
- L’hypnose dans la dépression du sujet âgé. M. Floccia, S. Lagouarde et M. Le Rudulier
- Un exemple de la thérapie stratégique. D. Vergriete
- Le médecin généraliste face à un patient dépressif. P. Le Grand
- Trois questions pour créer des petits bonheurs. M.-C. Cabié
- L’hypnose pour reprendre vie. C. Leloutre-Guibert
- Mémoire du futur. M. Nannini
- Stratégies thérapeutiques dans la dépression. W. Martineau
- Dermatoses chroniques. V. Bonnet
- Antidépresseurs, un long sevrage. C. Virot
Pour acheter ce numéro de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves à l’unité, ou vous abonner, cliquez ici
Sommaire :
- Douleur chronique et dépression. D. Le Breton
- La dépression : un trouble attentionnel ? J.-M. Benhaiem
- La grossesse, le devenir parent. H. Saulnier
- Attitudes paradoxales. V. Torres-Lacaze et G. Delannoy
- Plutôt que la drogue. D. Roberts
- Naître dans la dépression maternelle. E. Bardot
- Le deuil au pays de l’individualisme. J. Betbèze
- L’hypnose dans la dépression du sujet âgé. M. Floccia, S. Lagouarde et M. Le Rudulier
- Un exemple de la thérapie stratégique. D. Vergriete
- Le médecin généraliste face à un patient dépressif. P. Le Grand
- Trois questions pour créer des petits bonheurs. M.-C. Cabié
- L’hypnose pour reprendre vie. C. Leloutre-Guibert
- Mémoire du futur. M. Nannini
- Stratégies thérapeutiques dans la dépression. W. Martineau
- Dermatoses chroniques. V. Bonnet
- Antidépresseurs, un long sevrage. C. Virot
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