C’est le désordre, tout est mélangé. Les commandes ne répondent plus, la compréhension est conservée, mais rien n’est à la bonne place et les repères manquent pour retrouver tous les équilibres. Ceux de la parole, du geste et de la pensée, sans parler des émotions.
Mr H. marchait avec deux cannes anglaises qui stabilisaient à grand peine les déhanchements qui menaçaient son équilibre à chaque pas. S’asseoir lui demandait une à deux minutes au cours desquelles son corps décrivait une ellipse improbable avant d’atteindre le siège. Mr H. était acrobate et « fil-deferriste », jusqu’à ce jour de relâche en Floride au bord de la plage où avec les amis de sa troupe de cirque ils jouaient à se lancer en l’air et retomber dans l’eau. Quand ce fut à son tour d’être propulsé, lui et ses amis ne prirent pas garde au recul de la vague au moment de la redescente et c’est la nuque dans le sable que s’interrompit sa carrière d’acrobate. Tétraplégie. C’était il y a quatre ans et Mr H., doué d’une volonté farouche alliée à une force musculaire peu commune et surtout un sens de l’équilibre exceptionnel, avait beaucoup progressé, mais d’importantes séquelles demeuraient encore à la marche. Tous les atouts à sa disposition lui ont servi dans une perspective motrice, c’est-à-dire en commandant volontairement ses membres et en développant sa musculature pour compenser ses troubles de l’équilibre. De cela il en a fait le tour et il va lui être difficile de ne rien faire. Il va lui être difficile de ne faire qu’ un seul pas et un pas immobile… Toute son énergie avait été dirigée vers cette action volontariste de remarcher et ce avec succès, mais les limites de cette attitude avaient été atteintes. Pour obtenir d’autres progrès, d’autres aptitudes devront être mises en œuvre et ce sera un véritable paradoxe.
« S’installer tranquillement, ne rien faire, ne rien faire d’autre que de laisser les paupières se fermer, et retrouver des images, peut-être animées, du moment où le corps s’apprête à avancer sur le fil tendu entre les deux piliers. Surtout ne pas bouger, juste immobile en équilibre devant le fil. Un instant suspendu et précieux. Sentir le poids du corps selon cet axe vertical du haut vers le bas et glisser doucement le pied en avant. Juste un peu. Les bras automatiquement s’écartent, légers et mobiles, équilibrent le corps dans un mouvement simple et évident de justesse. Jongleur de soi-même.»
Le travail porte sur les axes de symétrie afin qu’il retrouve les sensations de son corps debout immobile en équilibre. Après un travail « au fauteuil », les séances se font debout et immobile, puis en mouvement. Deux aspects importants sont développés au cours des séances de ce patient : la verticalité selon l’axe haut-bas et surtout ne faire qu’un pas. Rien qu’un pas. Tous les jours ne faire qu’un seul pas ! Un pas après l’autre, bien sûr ! Et pour démarrer, simplement avancer un pied et non pencher la tête en avant. Être dans son propre pas en équilibre et non dans une course trébuchante pour rattraper son centre de gravité. Être dans son corps debout à chaque instant. Sentir son corps et en retrouver les mémoires et les automatismes. Mr H. a en lui toute cette expérience à laquelle il ne s’est pas encore relié, l’hypnose lui permet de la revivre et de changer sa façon de marcher. Ses appuis s’allègent, les cannes anglaises ne sont plus aussi nécessaires et son dos se redresse. Si bien qu’il peut, à nouveau, monter sur scène et faire un numéro burlesque dans lequel il joue un alcoolique titubant qui frise à tout moment la chute. En fait, il « recadre » en mime la démarche « sinueuse » résiduelle de son accident.
Mme T. souffrait d’une hémiparésie gauche assez bien tolérée, mais invalidante dans l’exercice de sa profession : agent d’auteurs-compositeurs interprètes francophones. L’interrogatoire d’un patient comporte toujours quelques questions consacrées au travail ainsi qu’aux éventuels loisirs qui rythment la vie, et à cette occasion je croyais tabler sur un goût évident pour la musique et éventuellement pour la danse. Étonnamment, il n’en était rien : elle ne portait d’intérêt qu’aux personnes et n’écoutait pas spécialement de musique en dehors du contexte professionnel. D’autre part, rien ne semblait l’attirer et répondait à mes tentatives par des réponses désabusées. Je dus me résoudre à la technique improprement appelée de « la ménagère » (ou les images et leurs stéréotypies comme moyens mnémotechniques). Cette technique se caractérise par la description fine, détaillée et progressive du lavage de la vaisselle dans l’évier aide la cuisine. Une tâche assez banale et répétitive qui présente, comme on le verra, des ressources insoupçonnées de sensorialité… Répétition que certains à l’humeur chagrine considéreront comme inexorable, ou d’autres, plus pragmatiques, comme renouvellement d’une prescription post-hypnotique.
Il en est souvent ainsi : « L’évier est rempli de vaisselles diverses, tasses du petit déjeuner, couverts épars, assiettes collées les unes aux autres, casseroles pleines d’une eau opaque qui tente de dissoudre quelques reliefs brûlés sur la paroi. Quoi d’autre ? L’éponge sèche et légère posée sur le bord à côté du robinet et qui attend que l’eau vienne l’assouplir, la gonfler. Gorgée d’eau tiède, elle peut, maintenant, prendre la forme de la main qui la presse. L’autre main a saisi le flacon de savon liquide dont la consistance visqueuse s’écoule lentement dans la cuvette de plastique, jaune peut-être ? Un petit univers de sensations où se combinent la dureté du métal et sa température fluctuante quand l’eau s’écoule du robinet, la balayette et ses poils gratteurs, les restes onctueux de sauce au fond d’un plat… »
Quelques exemples de sensations qui reviennent tous les jours, c’est tellement habituel que l’on pourrait faire la vaisselle les yeux fermés. Facile ! Des années d’expérience. Quand le quotidien n’est qu’habitude, il est inutile de chercher de la fantaisie prématurément. Saisir ce qui est à portée. « Prenez le torchon pour essuyer… » Banal et ordinaire, mais efficace. Un moyen simple de se réapproprier du quotidien qui s’était échappé et dont la réalité journalière opérera un rappel bienvenu de la séance antérieure. La cuisine peut être avantageusement remplacée par la salle de bains qui possède ses propres particularités sensorielles avec leurs caractères automatiques et séquencés. L’hypnose est un entraînement, une pratique. Son bras gauche est devenu plus consistant, adroit (!) et aussi plus sensible ; tellement qu’une mouche imprudente posée sur son avant-bras gauche fut promptement écrasée par une claque réflexe ! Sans regarder ! Preuve d’une meilleure présence de son schéma corporel.
Cela faisait quinze ans que Mr D. s’était accommodé de son hémiplégie et si ce n’avait été l’insistance de son épouse, il ne serait jamais venu consulter. Son AVC lui avait laissé une spasticité (contracture) du membre supérieur droit avec des troubles de la sensibilité de type anesthésique et une claudication qui malgré tout n’altéraient pas son moral et ses rapports au monde. Cadre supérieur, Mr D. avait passé de nombreuses années dans le Maghreb et en avait gardé un souvenir très fort et encore très présent. Comme à l’accoutumée, l’anamnèse centrée sur les moments agréables de sa vie apporte des renseignements qui vont être utiles. La tradition d’accueil, l’invitation à prendre le thé et le confort des tapis des peuples du désert serviront de paysage pour retrouver une ambiance favorable au changement. C’est encore de sensations et de sensorialité dont il va être tout d’abord question. Un autre aspect important est la gradualité de leur succession. Planter un décor, créer une ambiance pour que le patient peu à peu entre dans ses souvenirs. Échanges. « Les couleurs contrastées du plein soleil alternent avec le mouvement végétal, estompé des ombres des patios, le filet d’eau qui rafraîchit la potiche calée à l’angle de la fontaine invite à entrer dans l’intimité des lieux, vestibule puis salon tapissé. Salamalekoum ! Bienvenue ! Thé brûlant, pâtisseries douces et fondantes, le temps n’a plus la même importance… » « Le jaillissement ambré du bec de la théière s’arque en une cascade tendue et souple comme une dune, la pulpe des doigts enserrant le verre lit le texte gravé, rehaussé de dorure factice…»
Mr H. marchait avec deux cannes anglaises qui stabilisaient à grand peine les déhanchements qui menaçaient son équilibre à chaque pas. S’asseoir lui demandait une à deux minutes au cours desquelles son corps décrivait une ellipse improbable avant d’atteindre le siège. Mr H. était acrobate et « fil-deferriste », jusqu’à ce jour de relâche en Floride au bord de la plage où avec les amis de sa troupe de cirque ils jouaient à se lancer en l’air et retomber dans l’eau. Quand ce fut à son tour d’être propulsé, lui et ses amis ne prirent pas garde au recul de la vague au moment de la redescente et c’est la nuque dans le sable que s’interrompit sa carrière d’acrobate. Tétraplégie. C’était il y a quatre ans et Mr H., doué d’une volonté farouche alliée à une force musculaire peu commune et surtout un sens de l’équilibre exceptionnel, avait beaucoup progressé, mais d’importantes séquelles demeuraient encore à la marche. Tous les atouts à sa disposition lui ont servi dans une perspective motrice, c’est-à-dire en commandant volontairement ses membres et en développant sa musculature pour compenser ses troubles de l’équilibre. De cela il en a fait le tour et il va lui être difficile de ne rien faire. Il va lui être difficile de ne faire qu’ un seul pas et un pas immobile… Toute son énergie avait été dirigée vers cette action volontariste de remarcher et ce avec succès, mais les limites de cette attitude avaient été atteintes. Pour obtenir d’autres progrès, d’autres aptitudes devront être mises en œuvre et ce sera un véritable paradoxe.
« S’installer tranquillement, ne rien faire, ne rien faire d’autre que de laisser les paupières se fermer, et retrouver des images, peut-être animées, du moment où le corps s’apprête à avancer sur le fil tendu entre les deux piliers. Surtout ne pas bouger, juste immobile en équilibre devant le fil. Un instant suspendu et précieux. Sentir le poids du corps selon cet axe vertical du haut vers le bas et glisser doucement le pied en avant. Juste un peu. Les bras automatiquement s’écartent, légers et mobiles, équilibrent le corps dans un mouvement simple et évident de justesse. Jongleur de soi-même.»
Le travail porte sur les axes de symétrie afin qu’il retrouve les sensations de son corps debout immobile en équilibre. Après un travail « au fauteuil », les séances se font debout et immobile, puis en mouvement. Deux aspects importants sont développés au cours des séances de ce patient : la verticalité selon l’axe haut-bas et surtout ne faire qu’un pas. Rien qu’un pas. Tous les jours ne faire qu’un seul pas ! Un pas après l’autre, bien sûr ! Et pour démarrer, simplement avancer un pied et non pencher la tête en avant. Être dans son propre pas en équilibre et non dans une course trébuchante pour rattraper son centre de gravité. Être dans son corps debout à chaque instant. Sentir son corps et en retrouver les mémoires et les automatismes. Mr H. a en lui toute cette expérience à laquelle il ne s’est pas encore relié, l’hypnose lui permet de la revivre et de changer sa façon de marcher. Ses appuis s’allègent, les cannes anglaises ne sont plus aussi nécessaires et son dos se redresse. Si bien qu’il peut, à nouveau, monter sur scène et faire un numéro burlesque dans lequel il joue un alcoolique titubant qui frise à tout moment la chute. En fait, il « recadre » en mime la démarche « sinueuse » résiduelle de son accident.
Mme T. souffrait d’une hémiparésie gauche assez bien tolérée, mais invalidante dans l’exercice de sa profession : agent d’auteurs-compositeurs interprètes francophones. L’interrogatoire d’un patient comporte toujours quelques questions consacrées au travail ainsi qu’aux éventuels loisirs qui rythment la vie, et à cette occasion je croyais tabler sur un goût évident pour la musique et éventuellement pour la danse. Étonnamment, il n’en était rien : elle ne portait d’intérêt qu’aux personnes et n’écoutait pas spécialement de musique en dehors du contexte professionnel. D’autre part, rien ne semblait l’attirer et répondait à mes tentatives par des réponses désabusées. Je dus me résoudre à la technique improprement appelée de « la ménagère » (ou les images et leurs stéréotypies comme moyens mnémotechniques). Cette technique se caractérise par la description fine, détaillée et progressive du lavage de la vaisselle dans l’évier aide la cuisine. Une tâche assez banale et répétitive qui présente, comme on le verra, des ressources insoupçonnées de sensorialité… Répétition que certains à l’humeur chagrine considéreront comme inexorable, ou d’autres, plus pragmatiques, comme renouvellement d’une prescription post-hypnotique.
Il en est souvent ainsi : « L’évier est rempli de vaisselles diverses, tasses du petit déjeuner, couverts épars, assiettes collées les unes aux autres, casseroles pleines d’une eau opaque qui tente de dissoudre quelques reliefs brûlés sur la paroi. Quoi d’autre ? L’éponge sèche et légère posée sur le bord à côté du robinet et qui attend que l’eau vienne l’assouplir, la gonfler. Gorgée d’eau tiède, elle peut, maintenant, prendre la forme de la main qui la presse. L’autre main a saisi le flacon de savon liquide dont la consistance visqueuse s’écoule lentement dans la cuvette de plastique, jaune peut-être ? Un petit univers de sensations où se combinent la dureté du métal et sa température fluctuante quand l’eau s’écoule du robinet, la balayette et ses poils gratteurs, les restes onctueux de sauce au fond d’un plat… »
Quelques exemples de sensations qui reviennent tous les jours, c’est tellement habituel que l’on pourrait faire la vaisselle les yeux fermés. Facile ! Des années d’expérience. Quand le quotidien n’est qu’habitude, il est inutile de chercher de la fantaisie prématurément. Saisir ce qui est à portée. « Prenez le torchon pour essuyer… » Banal et ordinaire, mais efficace. Un moyen simple de se réapproprier du quotidien qui s’était échappé et dont la réalité journalière opérera un rappel bienvenu de la séance antérieure. La cuisine peut être avantageusement remplacée par la salle de bains qui possède ses propres particularités sensorielles avec leurs caractères automatiques et séquencés. L’hypnose est un entraînement, une pratique. Son bras gauche est devenu plus consistant, adroit (!) et aussi plus sensible ; tellement qu’une mouche imprudente posée sur son avant-bras gauche fut promptement écrasée par une claque réflexe ! Sans regarder ! Preuve d’une meilleure présence de son schéma corporel.
Cela faisait quinze ans que Mr D. s’était accommodé de son hémiplégie et si ce n’avait été l’insistance de son épouse, il ne serait jamais venu consulter. Son AVC lui avait laissé une spasticité (contracture) du membre supérieur droit avec des troubles de la sensibilité de type anesthésique et une claudication qui malgré tout n’altéraient pas son moral et ses rapports au monde. Cadre supérieur, Mr D. avait passé de nombreuses années dans le Maghreb et en avait gardé un souvenir très fort et encore très présent. Comme à l’accoutumée, l’anamnèse centrée sur les moments agréables de sa vie apporte des renseignements qui vont être utiles. La tradition d’accueil, l’invitation à prendre le thé et le confort des tapis des peuples du désert serviront de paysage pour retrouver une ambiance favorable au changement. C’est encore de sensations et de sensorialité dont il va être tout d’abord question. Un autre aspect important est la gradualité de leur succession. Planter un décor, créer une ambiance pour que le patient peu à peu entre dans ses souvenirs. Échanges. « Les couleurs contrastées du plein soleil alternent avec le mouvement végétal, estompé des ombres des patios, le filet d’eau qui rafraîchit la potiche calée à l’angle de la fontaine invite à entrer dans l’intimité des lieux, vestibule puis salon tapissé. Salamalekoum ! Bienvenue ! Thé brûlant, pâtisseries douces et fondantes, le temps n’a plus la même importance… » « Le jaillissement ambré du bec de la théière s’arque en une cascade tendue et souple comme une dune, la pulpe des doigts enserrant le verre lit le texte gravé, rehaussé de dorure factice…»
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Théo CHAUMEIL
Hypnothérapeute, Thérapie EMDR, Kinésithérapeute.
Exerce dans le Cabinet d'Hypnose, Thérapies Brèves et EMDR de Paris 11.
Chargé de Formation au CHTIP à Paris, dans les hôpitaux de l’AP-HP, et à l’Institut Hypnotim de Marseille.
Rédacteur web de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
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Hypnothérapeute, Thérapie EMDR, Kinésithérapeute.
Exerce dans le Cabinet d'Hypnose, Thérapies Brèves et EMDR de Paris 11.
Chargé de Formation au CHTIP à Paris, dans les hôpitaux de l’AP-HP, et à l’Institut Hypnotim de Marseille.
Rédacteur web de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
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