Un exemple de thérapie stratégique.


David Vergriete. Pour poser le diagnostic de dépression, le thérapeute peut se référer aux critères sémiologiques figurant dans les différentes classifications.



Cependant, dans la pratique clinique, la dépression peut prendre des formes moins spécifiques, en fonction des individus, avec des symptômes plus disparates. Ainsi c’est pour prendre en compte l’expression de la souffrance du patient dans l’ici et maintenant que les thérapies brèves vont avoir recours au pragmatisme qui les caractérise. Dans la dépression, le patient est « en panne » pour avancer. Il a le sentiment d’avoir été amputé de quelque chose qu’il ne parvient pas à restaurer et/ou il est freiné dans son développement et dans son autonomie, tandis que l’existence lui présente un nouveau défi à relever. Il en vient alors à tirer des conclusions pénalisantes le concernant qui rendent compte de son incapacité à poursuivre une existence qui fasse sens.

C’est un peu comme s’il avait égaré le « mode d’emploi » qui lui permet de faire face à la perte de quelque chose et de pouvoir ensuite se régénérer. Parfois, c’est le mode d’emploi en question qui s’avère incomplet, faute d’apprentissages adaptés en vue de traverser une nouvelle situation qui se présente. Le cas relaté par Milton Erickson de la jeune femme qui décrit des symptômes somatiques très forts, tandis que sa vie amoureuse est en train d’éclore, en offre une belle illustration. Sa mère, avant de décéder prématurément, alors que la patiente n’avait que 13 ans, l’avait mis en garde au sujet de la sexualité. A l’orée de sa vie d’adulte, elle se trouvait dans l’impossibilité de vivre un rapprochement avec une personne du sexe opposé. La stratégie de Milton Erickson fut très brièvement la suivante, à savoir louer les bons conseils de la maman à ce moment de l’existence de sa fille et « poursuivre le travail » en suggérant que si elle avait été présente dans la vie de sa fille au moment de son adolescence et plus tard, elle lui aurait donné d’autres conseils pour aborder une vie de jeune femme. La thérapie a consisté à favoriser la maturation affective et sexuelle de la patiente afin de lui permettre de franchir un cap important et désirable à ce stade de sa vie.

Lorsque Dominique Megglé parle de la dépression comme une crise du mûrissement, il s’inscrit, me semble-t-il, également dans cette vision qui met l’accent sur le besoin de renouvellement de l’individu arrivé à une étape de son existence. Il propose par la même occasion un recadrage intéressant, d’un point de vue thérapeutique, de l’expérience dépressive. Pour l’anecdote, je disais l’autre jour à un patient qu’il était en train de traverser une tempête et que, pour le moment, les voiles étaient rabattues. En même temps qu’il se sentait visiblement ratifié dans la difficulté de l’épreuve qui se présentait à lui, il acquiesçait sur le fait qu’il possédait les ressources nécessaires capables de se déployer tôt ou tard. Dans tous les cas, la construction du futur chez le patient est soit rendue impossible, soit fortement parasitée par des scénarios teintés de mésestime de soi. La remémoration du passé est tout à fait sélective dans la mesure où ce sont les expériences les moins glorieuses qui occupent le champ de conscience. Et le présent pourrait ressembler à un champ dévasté, marqué par la souffrance.

Au regard de ce qui précède, le sentiment d’impuissance est majeur chez la personne dépressive. Il est tantôt vécu comme une tragédie ou comme une fatalité, selon la position que le patient adopte en relation avec la dépression. Untel revendique qu’il doit absolument résister à cette souffrance et faire face à tout prix, espérant que le thérapeute lui apporte alors un regain d’énergie... mais ignorant bien sûr qu’il le mettrait aussitôt au service d’une accélération de sa chute. Un autre manifeste une anxiété à toute épreuve à l’idée de déplacer quoi que ce soit dans son existence en insistant souvent sur le besoin d’être accompagné. Un autre enfin semble répondre aux abonnés absents, détaché de tout ou presque, ultime solution qu’il a trouvée bien malgré lui, pour ne point se laisser envahir par des affects insupportables. Que faire alors ?... Ratifier la souffrance, assurément. Et pour le thérapeute, en restant en lien avec tout ce qu’il se sent habité chez lui de vivant. Eric Bardot a très justement souligné, lors d’une formation, que la dépression de nos patients est susceptible d’impacter les moments dépressifs du soignant, ces moments étant inévitables dans toute existence.

Marcher dans les pas du patient, parfois très lentement, est une condition première à respecter. Il s’agit de prendre le temps nécessaire pour qu’un objectif, susceptible de faire la différence, soit acté dans le cadre d’une relation thérapeutique suffisamment vivante. Plus que jamais, il est essentiel de se souvenir que c’est la relation humaine en tout premier qui soigne et celle-ci a bien souvent besoin d’être réhabilitée dans les vécus dépressifs. Il y a un temps pour accueillir et reconnaître la souffrance du patient, et un autre temps pour intervenir quand l’alliance est établie. Mais comment intervenir justement ?
- En pointant les exceptions certes, mais en se gardant de tout optimisme hâtif susceptible de fragiliser un patient qui sort à peine la tête de l’eau, en craignant la vague suivante.
- En externalisant le vécu dépressif, en lui faisant prendre forme, et principalement lorsque le patient se place dans une position identitaire quant à la dépression.
- En déconstruisant la ou les croyances négatives qui torpillent l’estime de soi. Elles sont devenues une machine infernale à noircir le paysage tout entier. Recadrer l’expérience dépressive chaque fois que possible comme un changement en « latence » pour suggérer qu’il s’agit bien d’un cap, certes difficile, et non d’une sentence.
- En graduant les tâches, autrement dit en favorisant une action progressive dans la sécurité et en direction de l’autonomie. Amener, à dose infime au départ, de la diversité et de la nouveauté. Permettre aux ressources du patient de retrouver de leur « force musculaire » en retissant du lien avec autrui.
- En construisant des attentes qui fassent sens et qui puissent dissoudre la tendance généralisatrice négative. S’appuyer sur les valeurs bien sûr et glisser vers une alternative vivante, adaptée pour le patient dans son contexte de vie.

Place à l’illustration clinique

Mike est agriculteur, il a 59 ans. Suite à une consultation avec son médecin généraliste quelques semaines plus tôt, ce dernier me l’adresse.

Depuis quelque temps, Mike exprime qu’il est prostré chez lui avec une boule d’angoisse, et qu’il se sent dans l’incapacité d’assumer ses fonctions professionnelles. Son médecin lui a proposé un traitement antidépresseur, de type paroxétine à raison de 20 mg par jour, qu’il a refusé dans un premier temps, ne prenant jamais de médicaments, et qu’il a accepté un peu plus tard. Il me confie même avoir augmenté, certains jours, la posologie de lui-même, dans l’espoir d’apaiser enfin ses symptômes et de... redevenir comme avant.

Pas d’éléments marquants actuellement dans son existence, dit-il, si ce n’est la satisfaction que son fils ait rejoint l’exploitation il y a quelque temps avec moult projets. Il constate que ce dernier a une belle énergie, et qui fait écho vraisemblablement à la sienne quelques années plus tôt. Cela a réveillé le souvenir d’un projet d’élevage de volailles pour la production de chair qu’il avait conduit pendant deux ans et qu’il avait été contraint d’arrêter pour des raisons économiques. Mike prétend y penser en boucle désormais en se focalisant sur la cessation de cette activité, qu’il vit comme un échec, n’ayant jamais plus trouvé d’activités par la suite qui l’enthousiasmaient autant. Il décrit un sommeil …

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DAVID VERGRIETE

Psychologue, pratique les thérapies brèves et l’hypnose au sein du service addictologie de la clinique de la Mitterie située à Lomme (59). Titulaire d’un DU Addictions comportementales Université Paris Sud, certifié HTSMA. Formateur au DU d’Hypnose médicale de la Faculté de médecine de Lille, enseigne également auprès de l’Espace du Possible à Tournai et de Formation Evolution Synergie à Avignon.

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Cet ouvrage de 228 pages analyse la dépression et les traitements de cette maladie qui frappe à un moment ou à un autre, selon l’OMS, 15% de la population mondiale de 15 à 75 ans. Les dix neufs auteurs qui contribuent à ce hors-série témoignent chacun à sa manière d’un savoir-faire en matière de prise en charge des patients déprimés. Loin des thérapies standardisées et de l’utilisation des psychotropes, ils montrent la singularité de chaque séance et invitent le lecteur à s’étonner, réfléchir et expérimenter pour sa propre pratique. Catherine Leloutre-Guibert a coordonné ce hors-série avec Sophie Cohen, rédactrice en chef.

Sommaire :

- Douleur chronique et dépression. D. Le Breton

- La dépression : un trouble attentionnel ? J.-M. Benhaiem

- La grossesse, le devenir parent. H. Saulnier

- Attitudes paradoxales. V. Torres-Lacaze et G. Delannoy

- Plutôt que la drogue. D. Roberts

- Naître dans la dépression maternelle. E. Bardot

- Le deuil au pays de l’individualisme. J. Betbèze

- L’hypnose dans la dépression du sujet âgé. M. Floccia, S. Lagouarde et M. Le Rudulier

- Un exemple de la thérapie stratégique. D. Vergriete

- Le médecin généraliste face à un patient dépressif. P. Le Grand

- Trois questions pour créer des petits bonheurs. M.-C. Cabié

- L’hypnose pour reprendre vie. C. Leloutre-Guibert

- Mémoire du futur. M. Nannini

- Stratégies thérapeutiques dans la dépression. W. Martineau

- Dermatoses chroniques. V. Bonnet

- Antidépresseurs, un long sevrage. C. Virot


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Rédigé le 20/04/2021 à 00:59 | Lu 2339 fois | 0 commentaire(s) modifié le 23/04/2021




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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