Thérapie du couple parental. Dr Patrice CHARBONNEL


Revue Hypnose & Thérapies brèves n°44
THÉRAPIE DU COUPLE DES PARENTS DANS LA PRISE EN CHARGE DE L’ANOREXIE



L’anorexie mentale est une pathologie essentiellement féminine qui se révèle le plus souvent juste après la puberté. Ce trouble des conduites alimentaires associe des symptômes de comportements nutritionnels (privation alimentaire stricte et volontaire pendant plusieurs mois ou années, éviction de certains aliments, phases boulimiques) et somatiques (aménorrhée, arrêt de la croissance chez l’adolescente) à des symptômes psychologiques (perception déformée de son corps et en particulier de sa maigreur, peur de grossir, besoin de contrôle sur le corps, obsessions alimentaires, hyperactivité, surinvestissement intellectuel, régression en âge émotionnel).

La prise en charge et le suivi sont multidisciplinaires. Les soins somatiques associent la correction de la dénutrition puis la restauration du poids à des soins de kinésithérapie participant à la réintégration du schéma corporel. Les soins psychologiques associent classiquement une prise en charge individuelle à une thérapie familiale.

Notre expérience, à la fois en thérapie conjugale et à la fois dans la prise en charge des patientes anorexiques, nous a convaincu de l’intérêt de compléter l’approche habituelle par une psychothérapie de couple pour les parents de la patiente. Ceux-ci sont en effet en lien avec le processus pathologique dans les deux dimensions que sont la fonction parentale et la relation conjugale.

Le couple des parents subit bien sûr les conséquences de l’irruption de cette pathologie. Leur fonction parentale est directement impactée par la pathologie de leur enfant ; elle ne peut être que déstabilisée par cette adolescente inquiétante, en refus d’alimentation, régulièrement en opposition, dont le comportement envahit l’ensemble des liens familiaux. Leur fonction conjugale est également mise en difficulté par cette pathologie très consommatrice de temps et d’énergie, révélatrice de désaccords dans leur façon de l’appréhender et donc source de dysfonctionnements.

Le couple des parents joue également un rôle dans le processus même de l’apparition de l’anorexie. Tout d’abord lorsque la fonction parentale du couple est perturbée, par exemple, par un désaccord flagrant dans les conceptions éducatives, par une position parentale excessivement amicale ou fraternelle, ou encore un déficit ou une expression violente de l’autorité. La jeune fille peut alors avoir un rôle de détournement sur elle de l’agressivité d’un des deux parents vis-à-vis de l’autre ou d’un membre de la fratrie, rôle qu’elle pourrait appréhender de quitter en grandissant. Elle peut également, en restant une enfant dans la famille, maintenir de la vie, de la joie, dans une famille qu’elle pourrait imaginer devenir éteinte ou dépressive après son départ.

De même la fonction conjugale peut être impliquée dans le processus pathologique de l’anorexie au travers de ses dysfonctionnements propres. L’élément clé est alors le niveau d’implication de leur fille dans le fonctionnement ou le dysfonctionnement du couple des parents. En effet, les difficultés relationnelles des couples ne se traduisent, heureusement, pas systématiquement par l’apparition de troubles des conduites alimentaires chez leurs enfants. La plupart du temps, d’autres solutions relationnelles sont trouvées, que ce soit par exemple par l’émergence d’un conflit ouvert entre l’enfant et l’un des parents, ou par une opposition et une sortie précoce de l’enfant de la sphère familiale. Cependant, on retrouve dans les cas d’anorexie un accès de la fille à l’intimité relationnelle de ses parents, que ce soit face à leur conflit à livre ouvert, ou que ce soit au travers du rôle de confidente et de partenaire privilégié de l’un des deux ou des deux. Elle se retrouve impliquée activement dans le conflit, dans la recherche de solutions ou dans le fait de se percevoir ou d’être perçue comme une solution. La jeune femme anorexique peut exercer une fonction de déséquilibrage ou de rééquilibrage du couple des parents parfois en grandes difficultés. Elle peut ainsi avoir la fonction de créer une alliance entre les parents, ou bien de favoriser leur séparation, ou bien de faire obstacle à leur réconciliation. Il en ressort pour la jeune fille une contrainte paradoxale de devoir être à la fois grande pour comprendre les parents, les aider et les protéger, et à la fois petite pour rester au cœur du fonctionnement familial et en rester le ciment. Cette contrainte joue évidement un rôle dans l’apparition du symptôme d’amaigrissement anorexique et de la régression en âge symbolique qui l’accompagne.

Même si une partie de ce travail psychothérapique relève de la thérapie familiale, nous verrons ce que l’approche de couple peut y apporter de spécifique.
La demande de thérapie par le couple peut être spontanée, à l’initiative de l’un d’eux ou des deux. La demande la plus fréquente alors est celle d’un soutien pour affronter la maladie de leur adolescente. Plus rarement cette demande peut être plus élaborée, avec la perception d’un éventuel rôle dans les difficultés de leur fille, le désir de faire tout ce qui est possible pour favoriser sa guérison.

Cette demande peut également être induite, sur proposition ou parfois sur injonction de l’entourage familial ou de l’équipe soignante de leur fille devant l’évidence du fonctionnement pathologique de leur couple, parfois au décours d’une consultation familiale.

La thérapie de couple va alors pouvoir commencer et pourra tenter de répondre aux objectifs décidés en commun avec le thérapeute. Le plus souvent on retrouvera en premier lieu le soutien du couple conjugal dans le déroulement de la maladie et du processus de soin. Ensuite viendra la mise en évidence d’éventuels dysfonctionnements du couple conjugal et du couple parental et leur éventuelle implication dans l’installation du trouble anorexique. Le thérapeute plus encore que le couple pourra se projeter dans la nécessité ultérieure d’un travail spécifique autour de l’adaptation du couple lors de la sortie de phase anorexique de leur fille et envisager les réaménagements nécessaires du couple conjugal après la guérison. Il sera alors temps d’évoquer des solutions de bonne réconciliation ou de bonne séparation.

Lors de cette thérapie de couple, il peut être nécessaire d’organiser une consultation du couple en présence de leur fille anorexique quand le thérapeute en ressent le besoin. Elle permet un regard sur l’expression symptomatique de l’adolescente et sur son niveau d’implication et d‘interaction avec le couple parental.

Même si les couples de parents d’enfant souffrant d’anorexie son évidemment tous très différents, nous avons été amenés à mettre en évidence une typologie de couple assez fréquemment retrouvée.

Nous appellerons le premier type « le couple incompétent ». Il n’est évidemment pas là question de la compétence globale, conjugale ou parentale de ce couple, mais d’une compétence spécifique que constitue le fait de pouvoir accompagner sereinement les changements physiques et psycho-sexuels de leur fille lors de sa puberté, de son adolescence et de sa vie de jeune adulte. Cette « incompétence » relève le plus souvent d’une méconnaissance ou de la non-intégration de ces processus de la part des parents.

Il en est ainsi de Françoise et Philippe, 50 ans tous deux, qui ont décidé de prendre seuls rendez-vous pour aider leur fille de 16 ans, Lucie, benjamine de leurs trois enfants, à sortir de l’anorexie dont elle souffre depuis dix-huit mois. Ils se sentent désemparés devant cette pathologie qui a surgi dans le contexte d’une vie conjugale et d’une vie familiale qu’ils ressentent plutôt harmonieuses, épargnées d’événements traumatiques ou de deuils.
L’enfance de Lucie s’est déroulée sereinement. Ils gardent le souvenir d’une petite fille sage, bonne élève, sociable. Le début de l’adolescence a également été vécu sans difficultés, sans oppositions ou conflits majeurs, dans une ambiance affective plutôt confortable. C’est dans ce contexte paisible qu’apparaît le trouble anorexique de leur fille.

Ils se souviennent que leur fille a cependant beaucoup changé lors de l’entrée au lycée. Ses nouvelles amies ont eu « beaucoup d’influence sur elle », entraînant quelques désaccords avec sa mère concernant ses goûts vestimentaires « un peu trop adulte » ou un maquillage jugé excessif. Au cours des entretiens, son père parle de l’inconfort qu’il a éprouvé devant les remarques et allusions de ses propres amis sur sa fille qui devenait une jolie femme, qui allait avoir du succès auprès des garçons. Il évoque aussi le regard qu’il a ressenti différent des autres hommes sur sa fille à la sortie du lycée ou lors de leurs promenades en ville. Ces tensions ont disparu en même temps que leur fille a commencé sa perte de poids.

La participation parentale au processus anorexique concerne dans ce cas leur capacité insuffisante à favoriser et à accompagner avec bienveillance l’évolution et la croissance de leur fille adolescente. Le développement intellectuel, scolaire et sportif est souvent très valorisé de même que sa responsabilisation vis-à-vis de la fratrie. Par contre, ils sont moins confortables face à son évolution sexo-corporelle et face à l’érotisation de son corps et de ses relations. Il en résulte pour l’adolescente la double injonction paradoxale de continuer à grandir intellectuellement tout en restant petite émotionnellement.


PATRICE CHARBONNEL
Psychiatre et psychothérapeute, il exerce en libéral à Rennes. Formé à l’hypnose et aux thérapies brèves. Thérapeute de couple. Conférencier.


Des étoiles pour nous guider. Sophie Cohen
Chères lectrices et chers lecteurs, Comme vous le savez certainement, le monde de l’hypnose vient de perdre l’une de ses grandes figures en la personne de François Roustang. Il a été l’un des grands « penseurs » de l’hypnose. Il a en particulier cherché à définir et comprendre ce qui se déroulait dans une rencontre et lors d’une séance. Nous lirons l’hommage de Jean-Marc Benhaiem, son ami et disciple.

Se réinventer grâce à l’hypnose. Nicole Prieur
Une nécessité pour notre XXIe siècle. Notre siècle génère de nouvelles souffrances liées aux progrès mêmes qu’il a mis en œuvre. L’accélération de notre époque impose un rapport au temps très paradoxal, nous n’avons jamais eu autant de temps à notre disposition (davantage de temps de loisirs, plus grande espérance de vie) et pourtant nous en manquons sans cesse au regard de toutes les tâches à faire en un temps donné. 

Les suggestions directes. Dr Dominique Megglé
Qu’en pense le Docteur Erickson ? Dominique Megglé a fait un vrai travail de recherches dans tous les livres et articles d’Erickson. Il développe sa pensée qu’il avait déjà en partie évoquée dans le numéro 30 de notre Revue. Des échanges avec des spécialistes ont invité Dominique Megglé à réaliser davantage de recherches. 

Anorexie/boulimie : véritable enjeu de santé publique. Dr Bruno Dubos
Les données de l’Inserm s’accordent sur deux constats : 0,5 % des jeunes filles dans leur dix-huitième année, et seulement 0,03 % des garçons, présentent des symptômes évocateurs d’anorexie. Le deuxième aspect est que ces troubles évoluent vers la chronicité. Ces problèmes représentent un véritable défi pour les thérapeutes et donc pour les hypnothérapeutes que nous sommes. Lorsqu’il m’a été confié la responsabilité de diriger ce numéro thématique sur l’anorexie et la boulimie, le titre m’est venu spontanément : « Un nouveau regard ».

Anorexie : du symptôme aux processus. Dr Bruno Dubos
L’anorexie et la boulimie sont un véritable défi pour les thérapeutes. Mais plutôt que de parler d’anorexie ou de boulimie, il convient de prendre en compte qu’il s’agit de patientes, adolescentes ou moins jeunes qui viennent dans nos cabinets de consultation avec ce symptôme. La réputation de ces problèmes est particulière, renforcée il est vrai par nos expériences en thérapie avec ces patientes.

La réassociation dans les troubles alimentaires. Sophie Cohen
Le thème de la réassociation est souvent peu traité. On parle et on écrit en effet volontiers de la dissociation en hypnose. La dissociation est utile dans nombre de situations où, par exemple, des soins génèrent de la douleur. Ainsi l’on enseigne le savoir-accompagner le patient dans un état dissociatif. Dans un ensemble de pathologies, savoir si une personne est dissociée ou associée n’est pas pris en compte. Alors que la dissociation spontanée peut représenter une protection naturelle dans les premiers temps d’une situation, elle devient pathologique si elle s’inscrit comme une façon d’être dans la durée.

Thérapie du couple parental. Dr Patrice CHARBONNEL
L’anorexie mentale est une pathologie essentiellement féminine qui se révèle le plus souvent juste après la puberté. Ce trouble des conduites alimentaires associe des symptômes de comportements nutritionnels (privation alimentaire stricte et volontaire pendant plusieurs mois ou années, éviction de certains aliments, phases boulimiques) et somatiques (aménorrhée, arrêt de la croissance chez l’adolescente) à des symptômes psychologiques (perception déformée de son corps et en particulier de sa maigreur, peur de grossir, besoin de contrôle sur le corps, obsessions alimentaires, hyperactivité, surinvestissement intellectuel, régression en âge émotionnel).

« Au fait, j’y pense, j’ai oublié d’vous dire… » Dr Stefano Colombo
Frédéric venait de poser son téléphone. Après d’innombrables hésitations, il avait pris la décision de consulter un thérapeute. Cela faisait un bon moment que son épouse insistait pour qu’« il voit quelqu’un ». « Ça te fera du bien, précisait-elle, on ne peut pas continuer ainsi. » Il en avait conscience. Il partageait l’avis de sa femme tout en se questionnant sur l’efficacité d’une telle démarche.

Des étoiles pour guide. Sophie Cohen
Des étoiles... des stars... en anglais... des personnes... des personnes de passage avec une présence merveilleuse... comme ça, une chaleur offerte à ce moment-là...
Au bon moment... Des personnes comme de petites ou de grandes étoiles... Etoiles qui clignotent dans le ciel dont la lumière éclaire les larmes de joie qui ruissellent sur nos visages... Qui n’a pas pleuré sous un ciel étoilé ? Qui ne s’est pas ému devant la fragilité de nos vies ?

Les champs du possible. Dr Adrian Chaboche
Chers lecteurs, continuons de nous interroger sur la façon dont l’hypnose amène à réinstaller un mouvement dans la vie du patient. Et enrichissons-nous de prolonger la réflexion : n’appartient-il pas déjà au thérapeute d’être dans son mouvement et s’autoriser à ne plus savoir pour entrer dans la créativité thérapeutique ? Autant que deux danseurs, le thérapeute serait alors celui qui ouvre le premier pas à l’aide d’une suggestion, autant que d’une main il invite son partenaire à s’avancer.

Pédagogie Kaddouch. Dr Dina Roberts
Ce « pas de côté » vers la pédagogie musicale est né de ma rencontre avec Julien Laroche lors d’une conférence sur le thème « Jouer ensemble », organisée par des danseurs. J’ai été immédiatement tentée de l’inviter ici quand je l’ai entendu se définir comme « chercheur indiscipliné » plutôt qu’interdisciplinaire. Sa démarche même est faite de pas de côté : il part du phénomène qu’il étudie et convoque les disciplines qui permettent de l’éclairer. Ses études sur les interactions sociales l’ont amené à travailler sur l’improvisation musicale dans la méthode Kaddouch.

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Bonjour Docteur Zeig, vous avez une énorme influence dans le champ de l’hypnose ericksonienne, pouvez-vous nous donner des précisions sur votre cheminement personnel ? Jeffrey Zeig : J’ai commencé à étudier l’hypnose à l’université de San Francisco au moment de mon master de psychologie clinique. Un des psychiatres présents, qui était mon superviseur, m’a fait connaître l’hypnose et m’a indiqué qu’une des meilleures façons de la découvrir était de l’expérimenter moi-même.

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Colloque « L’œuvre de François Roustang ». Dr Grégory Tosti
Le 23 novembre 2016, François Roustang s’est éteint à l’âge de 93 ans. Psychanalyste dissident, philosophe, hypnothérapeute, écrivain, cet ancien jésuite a bouleversé la pratique et la compréhension de l’hypnose et a créé en 1996, avec le Dr Jean-Marc Benhaiem, l’Association française pour l’étude de l’hypnose médicale (AFEHM) ; association qui donna le jour au premier Diplôme universitaire d’hypnose médicale en 2001.

Recherches: les applications. Dr Lauriane Bordenave et Dr Adrian Chaboche
La neurochirurgie éveillée est un mythe qu’on agite souvent lorsqu’on parle d’hypnose au bloc opératoire. Sauf qu’il s’agit d’une réalité. La preuve avec cette belle série française. Les glioblastomes de bas grade sont des tumeurs cérébrales malignes infiltrantes, et le défi de la chirurgie est de trouver le meilleur compromis entre l’exérèse la plus complète possible et la préservation des tissus sains adjacents. Pour ce faire, certaines équipes réalisent des craniotomies sur des patients éveillés.

Hommage à François Roustang. Dr Jean-Marc Benhaiem
Je m’exprime au nom de tous les soignants, médecins, psychologues si nombreux à avoir lu, entendu, aimé et intégré l’œuvre de François Roustang dans leur pratique. Je parle aussi, bien entendu, en mon nom propre. François a bien voulu s’associer à mon projet de formation. Nous avons ainsi travaillé ensemble pendant vingt années, côte à côte, dans notre association d’enseignement de l’hypnose médicale et au sein de l’Université Paris VI à la Pitié-Salpêtrière.




Rédigé le 07/08/2017 à 16:04 | Lu 2306 fois | 0 commentaire(s) modifié le 17/07/2018




Sophie Tournouër, Psychologue clinicienne, Hypnothérapeute et Thérapeute Familiale. praticienne… En savoir plus sur cet auteur
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