Rééducation et hypnose. Avec l’espoir comme allié


Un cas clinique pour illustrer le travail réalisé avec l’espoir comme guide, pour mobiliser toutes les ressources
du patient et revenir à l’équilibre.
Véronique Monfort



Inhibition et transe négative
Je rencontre pour la première fois Stéphane, 36 ans, en tant que masseur- kinésithérapeute lors d’une de mes astreintes de week-end. Il vient au centre de rééducation pour des mobilisations suite à la pose d’un cathéter de membre inférieur. Il y a deux ans son pied a été écrasé par un container au niveau du deuxième métatarsien, et depuis la consolidation de la fracture, il présente un SDRC (Syndrome douloureux régional complexe).

Son allure puissante, avec sa carrure de rugbyman et sa barbe fournie, contraste avec l’impuissance et le fatalisme qui se dégagent de son discours. Stéphane est en transe négative. A ce moment de la rééducation, personne ne peut toucher son pied tant la douleur est intense. La rééducation consiste pour le moment à le verticaliser sur une table – à 30 degrés – pour l’aider à mettre le pied en appui. Au-delà de 30 degrés, l’EN de la douleur est à 10/10. La miroir thérapie donne peu de résultats. Néanmoins, la douleur, qui montait initialement jusqu’au mollet, n’existe plus qu’au pied depuis la pose du cathéter. Malheureusement ce dernier ne sera efficace que trois jours. L’état trophique inquiétant de son gros orteil lors des verticalisations incite le médecin à effectuer un doppler. Le diagnostic tombe : l’artère irriguant le premier orteil est presque totalement obstruée, ce sans doute depuis deux ans.

S’appuyant dessus comme sur une jambe de bois

Stéphane a exclu son membre inférieur du schéma corporel : cuisse écartée du corps, tout son membre inférieur est figé, pied fixé en varus équin. En béquillant, il s’appuie dessus comme sur une jambe de bois. Il ne se déplace qu’en tongs car le contact d’un tissu lui déclenche des douleurs insupportables. La nuit, il est réveillé par d’intenses douleurs si son pied entre en contact avec le drap. Je lui suggère alors l’intérêt de l’hypnose. Au bout de quelques semaines, motivé par sa kiné, Stéphane se dit prêt à voir « ce que l’hypnose peut faire pour moi ».

Première séance : l’alliance
Lorsque Stéphane entre dans la salle d’hypnose pour la première fois, il semble mal à l’aise, inquiet par ce mot « hypnose ». Il se place spontanément dans le siège le plus près de la porte. Lors de notre entretien, je constate qu’il est totalement inhibé par le stress : son corps est figé, son regard fuyant ; ses mains et sa voix tremblent. Je cherche par tous les moyens de l’amener en situation de confort. Je bouge peu, seulement les mains. Je ne cherche pas trop son regard, je regarde dans le vague, dans la même direction que lui. Puis, choisissant d’éviter les questions trop personnelles pour le moment, je remarque à son discours que Stéphane est très kinesthésique, et un peu visuel. En utilisant le pacing, je modifie peu à peu ma voix pour la rendre plus chaude, plus grave, et continue l’entretien avec un maximum de sémantique kinésthésique. Je cherche ce qui nous est commun pour créer l’alliance : moi qui suis visuelle et kinesthésique, je me « jette à corps perdu » dans l’évocation des sensations de confort, de plaisir, en reformulant ses propos au présent. Ce qu’il aime c’est la nature, le sport, c’est travailler dehors, se défouler physiquement, voir le travail s’abattre (couper des bûches, s’occuper de ses poules, de son potager), ce qui le faisait se sentir apaisé, utile. Je digresse alors sur les travaux d’autrefois, où la majorité de la population avait un travail physique, où on voyait avec plaisir l’étendue du travail accompli, où on pouvait sentir la bonne fatigue physique après le contact avec l’air vif, le vent, les bonnes sensations du repos bien mérité après que les muscles se sont défoulés, après le dynamisme de la journée. Je profite de la confusion que crée cette digression pour immiscer le plus possible de suggestions de mouvement. Je sens à cet instant que je capte son intérêt : l’alliance s’est créée.

Je passe alors à la question « mère de l’espoir » : et si cette nuit un miracle survient, à quoi il va savoir que ça a changé ? Comment il va le sentir dans son corps ? Il n’est pas sans savoir que la nature a horreur du vide : quoi à la place de la douleur ? La question l’emmène en pleine confusion, il est incapable d’imaginer que sa condition puisse s’améliorer. Il est figé dans le temps et l’espace. Il m’explique que depuis son accident de travail, survenu dans le contexte d’un employeur peu scrupuleux, les médecins lui ont dit que la douleur et l’enraidissement allaient « diminuer un jour » et qu’il fallait « attendre ». Il a alors passé son temps « assis dans le canapé à regarder ma jambe en attendant que ça revienne ». Il se décrit comme devenu irascible, dormant peu (3 h de sommeil), avec des douleurs à 8/10.
Je l’accompagne pour définir son objectif : il en a tant ! Mieux dormir, diminuer la douleur, appuyer sur son pied... Mais je sens que ce sont les objectifs suggérés par ses thérapeutes. En approfondissant, il verbalise son objectif personnel, intime : « se remettre en route ». Pour cela, le contrat entre nous est une tâche à accomplir pour la séance d’après. Je lui fais une prescription de kiné : faire du renforcement des biceps avec des haltères, 3 séries de 10, 3 fois par jour. Tope-la ! (kinesthésique !).

Le mouvement est lancé

Lorsqu’il revient pour sa deuxième séance, Stéphane est un peu plus détendu. Il a explosé les records d’haltères, dépassant largement ma prescription. Il se demande pourquoi il a arrêté de faire du sport puisque « c’est possible en haut ». Il est vexé de n’avoir réussi à soulever que des poids ridicules et son esprit de compétiteur sportif refait surface : le mouvement est lancé. Je l’encourage à continuer en plus en balnéothérapie. Sa voix est toujours hésitante, mais ses mains ne tremblent plus. Il semble encore inquiet, tendu par l’idée qu’il va « se faire hypnotiser ». Lors de cette (supposée) « première séance d’hypnose », je préviens Stéphane que nous allons commencer non par de l’hypnose, mais par de la méditation de pleine conscience, plus terre à terre. Ce qui le rassure, calme son cerveau rationnel, ainsi que sa crainte de l’hypnose, et crée également la frustration de ne pas avoir expérimenté l’hypnose. Nous effectuons un scan corporel. Stéphane ratifie chaque sensation que je lui propose – en restant volontairement floue –, des sensations de contact du tissu sur la peau jusqu’aux sensations plus profondes, aux impressions de volume de chaque membre... Stéphane est libre de parler, de décrire, il garde le contrôle et cela le rassure, car il « craignait de se faire manipuler » (quel double sens !). L’unification du corps ressentie lui fait un bien fou. Même s’il a cette douleur lancinante au pied, il arrive à la regarder avec neutralité. Il sort peu à peu de sa transe négative.

La respiration et la rupture des automatismes pour créer le mouvement

Lors des séances suivantes, nous utilisons la respiration pour créer du mouvement : l’air qui entre dans les poumons a des accélérations, des ralentis, des virages, des grand ménages... C’est l’air qui fait circuler le confort. Je lui conte l’air qui vient de près, celui qui vient de loin, celui qui a connu les océans, les pays chauds et l’air vif des pôles... Il y a la particule d’oxygène toute neuve qui vient des arbres du parc au dehors, et celle qui a des milliers d’années, qui a tout connu et possède la sagesse. Qui a voyagé spécialement jusqu’à lui, à cet instant précis et précieux. Et avec bienveillance, de façon protégée, à cet instant, lui amène le meilleur de ce qu’elle est, pour améliorer ce qui doit être amélioré...

Lors des séances, je suggère souvent qu’il y a la nuit, et il y a le jour, un temps pour faire et un temps pour ne rien faire... Le mouvement et le repos. J’ai le plaisir de constater que Stéphane reproduit spontanément et avec succès les séances d’hypnose pour s’endormir.
A chaque nouvelle séance, je lui fais réaliser des tâches pour redonner du mouvement dans la systémique familiale : changer de place à table, changer de place dans le lit...

Réintégration dans le schéma corporel et diminution des antalgiques : l’espoir revient

Peu à peu la cuisse réintègre le schéma corporel, puis au bout de quelques séances, le mollet. En faisant le point sur notre objectif de remise en route, que nous avons atteint, j’apprends que Stéphane a arrêté seul la morphine, arrive à s’endormir plus facilement grâce à l’hypnose. Il dort même une heure de plus qu’avant. La douleur est identique mais sans morphine. L’espoir revient.
Nous choisissons ensemble entre chaque séance la réalisation de tâches actives en extérieur : trier ses poules, accompagner un ami maraîcher dans son activité... Il les réalise très consciencieusement. La remise en route étant lancée, nous convenons alors d’un nouvel objectif : la gestion des douleurs. Cette notion de « gestion » aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Avec le recul, je n’utiliserais plus ce terme.

Lorsque l’objectif du thérapeute rencontre les freins de l’inconscient du patient

Au fil des séances, en jonglant avec ma casquette de kinésithérapeute, je lui montre les planches anatomiques du membre inférieur, des vaisseaux, des nerfs, pour laisser les images se créer. Intérieurement, je vise un second objectif : réintégrer le pied dans le schéma corporel. Je fais l’hypothèse que les douleurs diminueront lorsque le pied sera réintégré. Péché d’orgueil ? Ce sous-objectif que je me suis fixé va me donner du fil à retordre. L’inconscient du patient ne va pas se laisser faire comme ça...

Lors d’une séance j’amène le patient à pratiquer la réification des sensations corporelles. Après une excursion dans le corps, nous finissons par le membre inférieur pathologique. Cuisse OK, nous sommes dans un tube rouge... Avec le mollet, ça se corse. Il y fait plus froid. Par terre c’est glacé, Stéphane décide alors d’isoler le sol en y posant du parquet. Ça y est, c’est un peu plus chaud ! Arrivé à la cheville, le voici devant une sorte d’entonnoir en métal. Il est figé. Ne sait pas quoi faire. Il bredouille, hésite. C’est gris et froid, ça prend toute la place et ça devient de plus en plus étroit. Dans le trou au fond, tout est noir, glacial. Stéphane est coincé. J’essaie de l’aider : qu’est-ce qui est mieux ? En faire quelque chose d’utile, l’enlever, le laisser, le déplacer, bouger le trou ? Il reste là, perplexe. Je laisse du temps à son inconscient pour savoir ce qui est le mieux pour lui. Mais rien ne se passe. Au bout de 20 minutes à hésiter, bloqué devant cet entonnoir, je change de stratégie et ma voix se transforme en celle d’un coach sportif à la mi-temps : « Bon, maintenant vous êtes à la croisée des chemins. C’est aujourd’hui et c’est maintenant que vous décidez de ce que vous voulez faire de cet entonnoir ! Vous pouvez décider qu’il reste là, à cet instant, ou bien en faire quelque chose, le bouger, le déplacer ou l’améliorer, le transformer... Qu’est- ce que vous voulez faire maintenant ? »

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VÉRONIQUE MONFORT
Masseur-kinésithérapeute DE depuis 2002, titulaire d’une licence 2 de Sciences humaines en psychologie en 2004, et formée en Hypnose en Médecine physique et réadaptation à l’Institut Emergences de Rennes en 2013 et 2014, elle intervient en tant que kinésithérapeute et hypnothérapeute auprès d’un public d’adolescents et jeunes adultes au Centre médical et pédagogique de Beaulieu à Rennes (Fondation des Etudiants de France).

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Rédigé le 12/01/2020 à 10:24 | Lu 642 fois | 0 commentaire(s) modifié le 29/01/2020




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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