Posons le cadre hypnotique ! L'hypnose comme source de réparation.


David Vergriete Les addictions représentent une grande diversité de conduites. Couramment, on distingue les addictions avec substances : alcool, drogues… de celles dites sans substances : jeux, achats compulsifs…



On peut ajouter à cette classification certains troubles des conduites alimentaires comme la boulimie ou l’anorexie. Toutes ont quelque chose en commun, à savoir qu’elles se caractérisent par leur impériosité et leur répétition. Rapprocher les conduites addictives de phénomènes de transe hypnotique est une hypothèse intéressante. Il s’agit d’une transe qui peut être qualifiée de négative. On peut aisément avancer en effet que les conduites addictives desservent les nécessités vitales de la personne et on peut évoquer la pathologie en s’appuyant sur des principes d’irréversibilité constatés sur le plan de plasticité cérébrale. Les travaux de recherche en neurobiologie ont contribué à une meilleure compréhension des mécanismes de l’addiction. Ils ont révélé notamment que la répétition d’une expérience de consommation peut conduire à la formation de boucles d’apprentissages hors du contrôle cortical.

C’est un élément qui plaide en faveur de l’existence d’une forme de dissociation entre les intentions du patient à agir de manière adaptée et des comportements qui, avec le temps, lui ont manifestement échappé et sont devenus compulsifs, en générant des conséquences délétères. Avant que le processus addictif s’enclenche, notons que ces mêmes comportements ont pu néanmoins faire la preuve, temporairement en tout cas, de leur efficacité, voire démontré des vertus au regard des besoins de la personne.

Souvent encouragées par des effets de contexte, parfois par des phénomènes endogènes, la répétition et l’intensification d’un acte de consommation conduisent à l’élaboration de schémas d’habitudes. Ces derniers s’installent au détriment de l’expression d’autres comportements contenus dans le répertoire d’apprentissage de la personne. Le phénomène de dissociation cité plus haut apparaît aussitôt que des intentions, avec une certaine connotation émotionnelle, sont sur le point d’émerger. Le répertoire contenant les ressources qui permet de traiter l’« information » et d’apporter de façons diverses des réponses comportementales, devient muet. Les intentions sont éclipsées par une centration massive et impérieuse sur l’objet de l’addiction dont la représentation fait intrusion dans le champ de conscience et produit des effets qui semblent signifier que la réponse est bel et bien trouvée. Cela s’apparente à une modalité d’induction rapide.

L’échec à terme des conduites addictives est de restreindre puis d’interdire durablement l’accès aux ressources qui permettraient à la personne de mettre en place des solutions créatives et partagées. D’où la nécessité de répéter la conduite, puis de l’intensifier afin de bénéficier des mêmes effets et/ou de ne pas subir les affres du manque, plongeant davantage l’individu dans une incapacité croissante à emprunter une voie alternative.

Le thérapeute initié à la pratique de l’hypnose va remarquer que la dissociation évoquée précédemment brouille les repères chez un patient dont les valeurs et les principes de vie continuent certes d’exister mais sont comme désincarnés, comme s’ils flottaient en dehors des limites du corps et qu’il n’était plus permis de les atteindre. Le thérapeute fait souvent le constat que le sentiment de sécurité interne du patient est altéré, pour une raison évidente, à savoir que l’intégrité physique et relationnelle est entamée. En effet, la personne dépendante ne vit pas reliée à son corps, même si paradoxalement elle y est aliénée. Bien des composantes relationnelles sont aussi altérées. Le corps ne peut plus exercer son rôle naturel de « métabolisation » des apprentissages et de « filtre » des vécus émotionnels.

Ayant perdu le contrôle au profit d’un comportement qui ne cesse de l’envahir, le champ perceptif de la personne dépendante, sa flexibilité mentale, sa créativité, ses capacités d’adaptation, se dissolvent de plus en plus. Il y a donc une perte de sens majeure, un rapport au corps de plus en plus partiel et perturbé, qui cultivent une forme de permanence creuse. On se situe résolument dans le cadre d’une problématique de vide existentiel, qui dissout le temps et l’espace.

Des phénomènes hypnotiques vont caractériser l’expérience dissociative. Le thérapeute découvrira au cours du travail thérapeutique que certains de ces phénomènes atténuent, exacerbent ou divertissent les perceptions et les états internes du patient. Ces phénomènes agissent en effet en fonction de ce que le patient ressent d’impérieux, de vital pour lester cet équilibre précaire qui semble lui promettre qu’il peut survivre dans un scénario qui pourtant conduit à l’annihilation du corps, des relations, et à la négation des principes de vie.

A présent, Monsieur ou Madame X. vient de franchir la porte. Comment ce patient est-il arrivé jusqu’ici ? Qu’est-ce qui l’y a amené ? A-t-il quelque chose à demander et y a-t-il un problème ? En quoi ce que le patient décrit est-il vécu comme un problème ? Qu’est-ce que cela lui « coûte » dans sa vie ? Où et comment ressent-il la souffrance dans son corps ? Comment sa conduite l’aide ou que lui permet-elle ? Pourquoi enfin consulte-t-il maintenant ? Identifier la posture du patient et discerner l’objectif réel de l’objectif annoncé sont des points majeurs pour éviter bien des malentendus. Qui est concerné et impliqué dans la démarche de soin ? Quelles sont les attentes des uns et des autres et comment se présentent les enjeux relationnels ? Le thérapeute peut décoder le « mécanisme » addictif. Comment ça marche ? Où ? Quand ? Comment ? Dans quelles circonstances ?

Ces questions sur les modalités de la consommation ont leur importance car elles permettent d’aller au-delà des considérations purement quantitatives qui ne rendent pas compte de la richesse des interactions. Le processus doit nous intéresser car de la qualité de son décodage émergeront les leviers thérapeutiques et l’usage par exemple de métaphores d’activation individualisées. Il est intéressant de repérer les déclencheurs, les accélérateurs ainsi que les régulateurs de la consommation pour affiner la connaissance du fonctionnement de l’addiction.
Peut-on distinguer une visée anxiolytique, antidépressive, voire antalgique ? Pourquoi le choix de cette consommation plutôt qu’une autre ? Est-ce un simple malentendu ou l’efficacité semble-t-elle accrue ou plus étendue ? Qu’est-ce qui explique que cette consommation perdure ? Le patient envisage-t-il d’autres options pour le soulager ? S’agit-il d’une forme de dopage pour exercer un contrôle sur son corps, sur ses émotions, sur ses performances ? Le patient estime-t-il qu’il mérite de s’accorder une « récompense » pour un acte réalisé ?
A-t-il recours, sans en percevoir le paradoxe, à quelque chose d’externe pour s’autoriser à emprunter la voie intérieure de l’acceptation et du « lâcher-prise » ? A-t-on affaire à une personne qui souhaite s’anesthésier ? Quelles sont ses raisons, qu’est-ce qui dans son quotidien lui est insupportable ou insurmontable ? Craint-elle de passer à une nouvelle étape dans son existence à défaut d’apprentissages adaptés ?
Rencontre-t-elle des difficultés aujourd’hui à s’accommoder d’un passé encombrant ? Exige-t-elle que tout soit résolu dans son existence et que ne puisse subsister aucune part d’ombre ? Désire-t-elle davantage que de s’anesthésier ? Aspire-t-elle à vivre une expérience euphorisante, en rejoignant un monde virtuel qui pourrait lui inspirer un sentiment de complétude, quitte à la marginaliser davantage « au réveil » ?

Le plaisir est ici saturé, le vide existentiel pourtant majeur est nié et la dissociation est évidemment plus marquée. La transe pathologique est plus profonde. Il est fréquent également de repérer des expériences de vie traumatiques qui réinterrogent le plus souvent la cohérence et la solidité des liens d’attachement. Gardons-nous cependant de poser des hypothèses, afin de constater l’existence de ces expériences traumatiques, si et quand elles émergent, plutôt que de chercher à les vérifier….





DAVID VERGRIETE Psychologue, pratique les thérapies brèves et l’hypnose au sein du service addictologie de la clinique de la Mitterie située à Lomme (59). Titulaire d’un DU Addictions comportementales Université Paris Sud, certifié HTSMA. Formateur au DU d’Hypnose médicale de la Faculté de médecine de Lille, enseigne également auprès de l’Espace du Possible à Tournai et de Formation Evolution Synergie à Avignon.


Conférence exceptionnelle sur le Psychotraumatisme...




Rédigé le 13/05/2020 à 10:28 | Lu 407 fois | 0 commentaire(s) modifié le 27/02/2024




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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