Monde psychotraumatique.


Dr Eric BARDOT. L’objet de mes propos va se centrer sur cette question qui m’a guidé : « Si la source de la relation thérapeutique est la relation humaine, alors comment la relation humaine, dans la diversité de ses potentialités, peut-elle être mobilisée au service de la thérapie ? »



Cette question a valeur pour moi de guide, c’est-à-dire qu’elle ne demande pas d’autre réponse que d’être requestionnée à chaque séance. Néanmoins, à partir de ma pratique clinique, particulièrement avec l’enfant et sa famille, il en est sorti un modèle thérapeutique, l’HTSMA (Hypnose, thérapie stratégique et mouvement alternatifs).

Mon histoire m’a amené à focaliser mon attention sur la manière d’«être en relation» des personnes et plus précisément celles chez qui la détresse, le désespoir, l’altération de la confiance dans la vie comme dans la relation humaine, dirigent leur existence.

Pour aider les patients à sortir du monde de la survie, il m’a semblé nécessaire de construire une modélisation qui puissent intégrer l’idée suivante : comment amener le patient à modifier les liens dysfonctionnels qui le maintiennent, le figent dans les effets d’une histoire passée.

Lors du premier rendez-vous, je me pose la question suivante : « Comment coconstruire avec ce patient un espace relationnel dans lequel la thérapie va pouvoir se dérouler ? » Cette entrée en thérapie mobilise quatre paramètres.

Le premier concerne la confiance dans la capacité de se faire aider. Elle vient questionner la confiance dans la relation humaine. Elle met en œuvre la relation d’attachement.

Le deuxième répond à la capacité à s’engager dans un processus de changement. Elle questionne l’autonomie, l’autorisation au changement et son corollaire : les risques du changement.

Le troisième concerne l’objectif. L’objectif va donner un cap au processus thérapeutique. Il met en œuvre la relation intersubjective, c’est-à-dire la capacité à entrer dans une relation de coopération, dans une bulle partagée (la bulle hypnotique). Le premier objectif peut être justement la possibilité de mettre en place une rencontre qui permette le déroulement de la thérapie. La définition d’un objectif n’est pas une fin en soi : un bon objectif est un objectif qui lorsqu’il va être atteint devient un moyen pour atteindre un nouvel objectif.

Le dernier paramètre tient dans la capacité à se sentir compris. La compréhension porte sur la manière dont le patient a vécu et vit encore les événements, ses tentatives pour tenir debout, les valeurs qu’il essaie de préserver.

Dans le même temps, par l’utilisation de questionnements, nous allons aider le patient à transformer son monde des représentations sursaturé par le trauma. Ce peut être au niveau sensorimoteur, comportemental, imaginaire ou des ruminations mentales. Il s’agit de métaphoriser la problématique traumatique dans l’ici et maintenant de la séance. Cette métaphorisation va demander la participation active du thérapeute. Celui- ci va pouvoir s’utiliser si nécessaire. L’objectif est de coconstruire une mise en forme des effets dans le présent du vécu traumatique.

A ce moment, avec l’aide des mouvements alternatifs : mouvements oculaires, tapping, balancements, on va aider le patient à dissoudre les liens entre cette mise en forme du vécu traumatique et lui-même. Le principe de base est le suivant : on externalise les formes traumatiques. On internalise les liens/ressources.

Il s’agit d’amener le patient, dans l’ici et maintenant, dans une expé- rience de sécurisation en lien avec le thérapeute.

Dans ce parcours, le thérapeute aidera le patient activement comme soutien, comme modèle, jusqu’à la phase de séparation où peuvent se manifester des peurs anticipatoires.

Pour l’illustrer, je vais utiliser comme support métaphorique de la relation thérapeutique et de ses variations dans le déroulé de la thérapie du psychotraumatisme, le mythe de la descente d’Orphée aux Enfers.

« Tandis qu’il exhalait ces plaintes, qu’il accompagnait en faisant vibrer les cordes, les ombres exsangues pleuraient ; Tantale cessa de poursuivre l’eau fugitive ; la roue d’Ixion s’arrêta ; les oiseaux oublièrent de dévorer le foie de leurs victimes, les petites-filles de Bélus laissèrent là leurs urnes et toi, Sisyphe, tu t’assoies sur ton rocher. Alors pour la première fois, des larmes mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides, vaincues par ces accents ; ni l’épouse du souverain, ni le dieu qui gouverne les Enfers ne peuvent résister à une telle prière ; ils appellent Eurydice ; elle était là, parmi les ombres récemment arrivées ; elle s’avance, d’un pas que ralentissait sa blessure. Orphée du Rhodope obtient qu’elle lui soit rendue, à la condition qu’il ne jettera pas les yeux derrière lui, avant d’être sorti des vallées de l’Averne ; sinon, la faveur sera sans effet. Ils prennent, au milieu d’un profond silence, un sentier en pente, escarpé, obscur, enveloppé d’un épais brouillard. Ils n’étaient pas loin d’atteindre la surface de la terre, ils touchaient au bord, lorsque, craignant qu’Eurydice ne lui échappe et impatient de la voir, son amoureux époux tourne les yeux et aussitôt elle est entraînée en arrière ; elle tend les bras, elle cherche son étreinte et veut l’étreindre elle-même ; l’infortunée ne saisit que l’air impalpable. »

« Le mythe d’Orphée / Les métamorphoses d’Ovide » (« Le retour solitaire » : vers 40 à 85).

Campons le décor. Un environnement : le monde des Enfers, Orphée dans le rôle du thérapeute, Eurydice dans le rôle de la patiente.

Le monde des Enfers va symboliser le monde de la plainte, expression chez Eurydice du vécu psychotraumatique. Ce monde de la plainte n’est pas lié à l’agression physique – la morsure du serpent – mais à l’empoisonnement lié à l’inoculation du venin. C’est un monde à la fois vivant et mortifère. Chacune des Euménides illustre les formes que peuvent prendre les relations destructrices dans ce monde traumatique. Chacune est liée à une action (poursuivre, tourner, déclarer, garder).

Dr Eric BARDOT. Psychiatre, pédopsychiatre, psychothérapeute. Formateur en hypnose et thérapies brèves depuis plus de vingt ans. Concepteur de l’HTSMA (Hypnose, thérapies stratégiques et mouvements alternatifs), de l’utilisation du dessin en thérapie stratégique orientée solution. Créateur et directeur de l’Institut MIMETHYS. Formateur au DU d’Hypnose à la Faculté de médecine de Nantes. Président de l’association francophone HTSMA.

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Hors série n°11 de la revue Hypnose & Thérapies brèves. Mars 2017.
C'est un numéro double de 196 pages.
Thème : « La relation thérapeutique »


- Éditorial : La relation thérapeutique. S. Cohen
- Éditorial : La relation au coeur de l’hypnose. J. Betbèze
- L’alliance thérapeutique. M. Arnaud
- Enseigner la relation thérapeutique. A. Bioy
- Le thérapeute ? Un guide qui ne devance pas. J.-M. Benhaiem
- Autonomie relationnelle. J. Betbèze
- Avec le patient douloureux chronique. De la formation à la pratique. J. Nizard
- En salle de naissance. B. Bobenrieth
- Monde psychotraumatique. E. Bardot
- La relation thérapeutique. M. Picard Destelan et L. Fodorean
- Comment faire vivre un paranoïaque ? E. Malphettes
- Positionnement, et alliance... thérapeutiques. W. Martineau
- Rapport, alliance et changement : « l’Homonoia ». A. Vallée
- Une semaine aux urgences psychiatriques. V. Lagrée
- Retour à l’essentiel. G. Ostermann
- En Thérapie Systémique Brève. Y. Doutrelugne
- Un truc incroyable... Conversation en thérapie narrative. C. Besnard-Péron
- Retour aux bases. De l’infiniment petit à l’infiniment grand. P. Aïm et L. Gross
- Trouble du comportement à l’adolescence. A. Zeman

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Rédigé le 16/09/2018 à 17:11 | Lu 380 fois | 0 commentaire(s) modifié le 16/09/2018




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