Chers lecteurs, pour ce numéro nous avons invité un chercheur en neurosciences passionné d’hypnose et de musique. Avant de le laisser nous inviter dans un fabuleux voyage dans le cerveau (attention, accrochez-vous !), Cédric peux-tu te présenter ?
Cédric Meckler : Je suis médecin militaire, en retraite depuis début septembre 2017. J’étais chercheur en neurosciences, spécialisé dans l’exploration neurophysiologique des processus cérébraux dédiés à la supervision de l’action, ce qui m’a permis ensuite d’étudier l’hypnose.
C’est-à-dire ?
Parmi les travaux publiés par notre équipe de l’Institut de recherche biomédicale des Armées, en collaboration avec le CNRS de Marseille, nous avons étudié les processus qui contribuent à l’élaboration d’un mouvement et d’une décision. Si on demande à un sujet de répondre en appuyant sur un bouton de la main droite ou de la main gauche en réaction à un stimuli particulier, le sujet peut se tromper de doigt. Si le cerveau considère dans ce cas de figure qu’il y a un risque d’erreur, on a mis en évidence qu’il active deux aires spécifiques : l’aire motrice supplémentaire (Meckler et al., 2013) qui aide à la sélection de l’une des deux mains, ainsi que le cortex moteur primaire (M1), qui lui au contraire va inhiber l’autre main, comme une mesure de prévention de l’erreur (Meckler et al., 2010). Si le cerveau considère qu’il n’y a pas de choix entre les deux mains et qu’il n’y a pas de risque de se tromper, ces aires ne sont pas sollicitées et ces processus ne sont pas mis en place (Vidal et al., 2011). Donc, dans le processus dédié à la supervision de l’action, si le cerveau considère qu’il y a un risque d’erreur, ces deux aires (AMS et M1) vont être mises en jeu de façon automatique et irrépressible. Ces résultats m’ont amené à travailler aussi sur l’hypnose...
Et tu es également concertiste...
Je suis la moitié du duo Vernet-Meckler, formation assez insolite d’orgue à quatre mains, depuis plus de dix ans. Nous avons enregistré le répertoire original des XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que de nombreuses transcriptions, dans une dizaine de CD dont certains ont reçu le Choc du Monde de la Musique et/ou le Diapason d’Or.
Comment en es-tu venu à t’intéresser à l’hypnose ?
Dans le but d’aider à la performance sportive et artistique. Au préalable, au sein de l’Armée, il s’agissait d’enrichir les techniques d’optimisation du potentiel pour la préparation opérationnelle des militaires et ainsi améliorer leur sécurité. Pour savoir le crédit que l’on pouvait accorder à l’hypnose dans cette indication, j’ai proposé l’étude neurophysiologique d’une suggestion hypnotique de paralysie, afin de mettre à l’épreuve les théories psycho-socio-cognitives. Ces dernières stipulent que les effets en hypnose répondraient à des déterminants culturels : le sujet pourrait être, malgré lui, poussé à jouer un jeu de rôle, dicté par sa représentation sociale de l’hypnose, fortement véhiculée dans les médias ou les spectacles. Il ne ferait que se conformer à une croyance, en exprimant le comportement que l’on attend de lui. Dans ce dernier cas, l’utilisation de l’hypnose dans le cadre de la préparation n’aurait pas apporté d’avantage spécifique par rapport aux autres méthodes déjà utilisées au sein des Forces Armées.
L’Armée a été intéressée pour financer une expérience sur l’hypnose ?
Oui, grâce à la confiance de mes supérieurs hiérarchiques (chefs d’unité, de département, de division). Et c’est là un retour aux sources, puisque ce sont trois officiers français du XVIIIe siècle, les frères Puységur, qui ont fortement contribué au développement de l’hypnose, après le magnétisme animal de Mesmer. C’est aussi un signe de l’évolution des mentalités militaires car la « Grande Muette » a longtemps rejeté l’hypnose, d’abord par ignorance, puis par dogmatisme. Par deux circulaires de 1890, le ministre de la Guerre puis celui de la Marine interdisent sa pratique dans l’Armée française car on pensait que le jeune conscrit hypnotisé deviendrait un pantin livré aux mains de son médecin militaire, servitude aggravée par l’influence de son grade sur le malheureux. Cette mise à l’écart est devenue pérenne par pur dogmatisme, du moins jusqu’à aujourd’hui.
En quoi consiste alors ton protocole ?
Pour tenter de réfuter les théories psycho-socio-cognitives, j’ai proposé l’analyse d’une réponse cérébrale, automatique, involontaire, irrépressible, à laquelle le sujet n’a aucun accès, et dont il n’a aucun contrôle. La réponse cérébrale en question, ce sont les processus dont je t’ai parlé au début, sélection motrice et prévention de l’erreur, candidats idéals pour sonder cette question. Mieux, cette analyse permet de s’affranchir d’un effet placebo éventuel, car ces processus ne peuvent pas non plus être activés par une croyance puisqu’ils ne sont pas en rapport avec la suggestion pratiquée. En effet, quand on administre un placebo d’antalgique, la croyance peut être suffisante pour provoquer, en guise de réponse du système nerveux central, la sécrétion d’endorphines. Cette réponse est en résonance avec la croyance d’antalgie. C’est très efficace, mais ce n’est pas de l’hypnose !
Depuis 2016, nous engageons des sujets dans une tâche particulière, appelée Temps de Réaction de choix bimanuel, tout en recueillant l’activité électrique générée par l’AMS et le M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir (potentiels évoqués en électro-encéphalographie). Chaque sujet doit répondre aussi vite et précisément que possible à un signal visuel. Par exemple, si on lui présente une consonne, il doit appuyer sur un bouton avec le pouce droit, avec le gauche si c’est une voyelle. Nous suggérons par hypnose une paralysie de l’une des deux mains. Comme nous ne sélectionnons que des sujets très suggestibles, aucun d’eux ne bouge cette main. Mais pourquoi ? Cette paralysie relève-t-elle du jeu de rôle ou est-elle d’une autre nature ? Mon raisonnement a donc été le suivant :
- Soit les aires cérébrales impliquées dans les processus de sélection (AMS) et de prévention de l’erreur de main (M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir) restent silencieuses, et cela montrera que le sujet s’est abstenu de faire un choix réel entre les deux mains pour répondre. Le cerveau aura considéré qu’il n’y a aucun risque de se tromper de main. Le sujet aura donc joué le rôle d’hypnotisé. Les théories psycho-socio-cognitives seront confirmées.
- Soit ces aires cérébrales sont mises en jeu, et cela montrera que le cerveau aura considéré que les deux réponses manuelles font toujours partie du répertoire des possibilités. Une sélection sera bien effectuée entre les deux mains (activation de l’AMS) et un risque de se tromper de main sera toujours présent, justifiant une mesure de prévention de l’erreur (inhibition du M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir). Contrairement à l’hypothèse précédente, ce ne sera plus un jeu de rôle. Les théories psycho-socio-cognitives pourront alors être réfutées.
Cédric Meckler : Je suis médecin militaire, en retraite depuis début septembre 2017. J’étais chercheur en neurosciences, spécialisé dans l’exploration neurophysiologique des processus cérébraux dédiés à la supervision de l’action, ce qui m’a permis ensuite d’étudier l’hypnose.
C’est-à-dire ?
Parmi les travaux publiés par notre équipe de l’Institut de recherche biomédicale des Armées, en collaboration avec le CNRS de Marseille, nous avons étudié les processus qui contribuent à l’élaboration d’un mouvement et d’une décision. Si on demande à un sujet de répondre en appuyant sur un bouton de la main droite ou de la main gauche en réaction à un stimuli particulier, le sujet peut se tromper de doigt. Si le cerveau considère dans ce cas de figure qu’il y a un risque d’erreur, on a mis en évidence qu’il active deux aires spécifiques : l’aire motrice supplémentaire (Meckler et al., 2013) qui aide à la sélection de l’une des deux mains, ainsi que le cortex moteur primaire (M1), qui lui au contraire va inhiber l’autre main, comme une mesure de prévention de l’erreur (Meckler et al., 2010). Si le cerveau considère qu’il n’y a pas de choix entre les deux mains et qu’il n’y a pas de risque de se tromper, ces aires ne sont pas sollicitées et ces processus ne sont pas mis en place (Vidal et al., 2011). Donc, dans le processus dédié à la supervision de l’action, si le cerveau considère qu’il y a un risque d’erreur, ces deux aires (AMS et M1) vont être mises en jeu de façon automatique et irrépressible. Ces résultats m’ont amené à travailler aussi sur l’hypnose...
Et tu es également concertiste...
Je suis la moitié du duo Vernet-Meckler, formation assez insolite d’orgue à quatre mains, depuis plus de dix ans. Nous avons enregistré le répertoire original des XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que de nombreuses transcriptions, dans une dizaine de CD dont certains ont reçu le Choc du Monde de la Musique et/ou le Diapason d’Or.
Comment en es-tu venu à t’intéresser à l’hypnose ?
Dans le but d’aider à la performance sportive et artistique. Au préalable, au sein de l’Armée, il s’agissait d’enrichir les techniques d’optimisation du potentiel pour la préparation opérationnelle des militaires et ainsi améliorer leur sécurité. Pour savoir le crédit que l’on pouvait accorder à l’hypnose dans cette indication, j’ai proposé l’étude neurophysiologique d’une suggestion hypnotique de paralysie, afin de mettre à l’épreuve les théories psycho-socio-cognitives. Ces dernières stipulent que les effets en hypnose répondraient à des déterminants culturels : le sujet pourrait être, malgré lui, poussé à jouer un jeu de rôle, dicté par sa représentation sociale de l’hypnose, fortement véhiculée dans les médias ou les spectacles. Il ne ferait que se conformer à une croyance, en exprimant le comportement que l’on attend de lui. Dans ce dernier cas, l’utilisation de l’hypnose dans le cadre de la préparation n’aurait pas apporté d’avantage spécifique par rapport aux autres méthodes déjà utilisées au sein des Forces Armées.
L’Armée a été intéressée pour financer une expérience sur l’hypnose ?
Oui, grâce à la confiance de mes supérieurs hiérarchiques (chefs d’unité, de département, de division). Et c’est là un retour aux sources, puisque ce sont trois officiers français du XVIIIe siècle, les frères Puységur, qui ont fortement contribué au développement de l’hypnose, après le magnétisme animal de Mesmer. C’est aussi un signe de l’évolution des mentalités militaires car la « Grande Muette » a longtemps rejeté l’hypnose, d’abord par ignorance, puis par dogmatisme. Par deux circulaires de 1890, le ministre de la Guerre puis celui de la Marine interdisent sa pratique dans l’Armée française car on pensait que le jeune conscrit hypnotisé deviendrait un pantin livré aux mains de son médecin militaire, servitude aggravée par l’influence de son grade sur le malheureux. Cette mise à l’écart est devenue pérenne par pur dogmatisme, du moins jusqu’à aujourd’hui.
En quoi consiste alors ton protocole ?
Pour tenter de réfuter les théories psycho-socio-cognitives, j’ai proposé l’analyse d’une réponse cérébrale, automatique, involontaire, irrépressible, à laquelle le sujet n’a aucun accès, et dont il n’a aucun contrôle. La réponse cérébrale en question, ce sont les processus dont je t’ai parlé au début, sélection motrice et prévention de l’erreur, candidats idéals pour sonder cette question. Mieux, cette analyse permet de s’affranchir d’un effet placebo éventuel, car ces processus ne peuvent pas non plus être activés par une croyance puisqu’ils ne sont pas en rapport avec la suggestion pratiquée. En effet, quand on administre un placebo d’antalgique, la croyance peut être suffisante pour provoquer, en guise de réponse du système nerveux central, la sécrétion d’endorphines. Cette réponse est en résonance avec la croyance d’antalgie. C’est très efficace, mais ce n’est pas de l’hypnose !
Depuis 2016, nous engageons des sujets dans une tâche particulière, appelée Temps de Réaction de choix bimanuel, tout en recueillant l’activité électrique générée par l’AMS et le M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir (potentiels évoqués en électro-encéphalographie). Chaque sujet doit répondre aussi vite et précisément que possible à un signal visuel. Par exemple, si on lui présente une consonne, il doit appuyer sur un bouton avec le pouce droit, avec le gauche si c’est une voyelle. Nous suggérons par hypnose une paralysie de l’une des deux mains. Comme nous ne sélectionnons que des sujets très suggestibles, aucun d’eux ne bouge cette main. Mais pourquoi ? Cette paralysie relève-t-elle du jeu de rôle ou est-elle d’une autre nature ? Mon raisonnement a donc été le suivant :
- Soit les aires cérébrales impliquées dans les processus de sélection (AMS) et de prévention de l’erreur de main (M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir) restent silencieuses, et cela montrera que le sujet s’est abstenu de faire un choix réel entre les deux mains pour répondre. Le cerveau aura considéré qu’il n’y a aucun risque de se tromper de main. Le sujet aura donc joué le rôle d’hypnotisé. Les théories psycho-socio-cognitives seront confirmées.
- Soit ces aires cérébrales sont mises en jeu, et cela montrera que le cerveau aura considéré que les deux réponses manuelles font toujours partie du répertoire des possibilités. Une sélection sera bien effectuée entre les deux mains (activation de l’AMS) et un risque de se tromper de main sera toujours présent, justifiant une mesure de prévention de l’erreur (inhibition du M1 impliqué dans la réponse à ne pas fournir). Contrairement à l’hypothèse précédente, ce ne sera plus un jeu de rôle. Les théories psycho-socio-cognitives pourront alors être réfutées.
Théo CHAUMEIL
Hypnothérapeute, Thérapie EMDR, Kinésithérapeute.
Exerce dans le Cabinet d'Hypnose, Thérapies Brèves et EMDR de Paris 11.
Chargé de Formation au CHTIP à Paris, dans les hôpitaux de l’AP-HP, et à l’Institut Hypnotim de Marseille.
Rédacteur web de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
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Hypnothérapeute, Thérapie EMDR, Kinésithérapeute.
Exerce dans le Cabinet d'Hypnose, Thérapies Brèves et EMDR de Paris 11.
Chargé de Formation au CHTIP à Paris, dans les hôpitaux de l’AP-HP, et à l’Institut Hypnotim de Marseille.
Rédacteur web de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
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