Le conte en Hypnose: Justin et l'engin magique.


La métamorphose
Par Marie-Odile Soucaze Des Soucaze, Infirmière puéricultrice, formatrice. Psychopraticienne formée à l’hypnose éricksonienne, Membre de l’Institut Milton Erickson de Biarritz-Pays Basque.



Le conte a le double pouvoir de la relation, il raconte et relie. Il dit le passé au présent pour changer le futur. Il est maintenant.

COMMENT JE M’Y PRENDS

Au départ, les premiers entretiens me permettent de définir le véritable besoin de la personne, ce qui me donne l’objectif que je vais donner au conte. Je m’associe à elle, comme si j’écrivais au travers d’elle. Je ne cherche pas à comprendre le pourquoi du comment, pas d’intellectualisation sauvage… Je laisse aller, c’est tout. Et ça vient ! Et surtout, je me fais confiance… et si cette confiance fait défaut, c’est la panne… (Pour le forum, je voulais écrire un conte « court » et je me suis mis la pression et là, panne sèche pour la première fois… J’ai donc choisi un conte que j’avais écrit pour une personne dont je raconte l’expérience ci-dessous.)

UNE HISTOIRE SINGULIÈRE COMME CHAQUE HISTOIRE DE VIE

Sandrine, 32 ans, souffre d’une hernie cervicale qui doit être opérée dans les mois qui viennent tant la douleur est handicapante. C’est la raison de sa venue. Très vite, le véritable besoin émerge : tourner une page sur son passé qui lui pèse comme un carcan.

Elle travaille sur ce qu’elle a vécu dans son enfance : père violent avec sa mère, fille unique qui malgré son jeune âge « porte » sa mère… et se protège, s’encarapace pour vivre au mieux cette situation pesante… Quand elle vient à ma rencontre, elle a déjà amorcé un tournant dans sa vie : elle était célibataire, elle a rencontré quelqu’un avec qui elle démarre une vie de couple, elle évolue et se projette ailleurs professionnellement. Elle travaille dans une banque et veut devenir médiateur familial. Elle obtient un congé formation, repart à l’école. Et c’est à ce moment-là, au moment où il lui semble qu’elle se dirige vers ce pour quoi elle se sent faite, que des douleurs cervicales apparaissent. Sa formation en est perturbée, son travail aussi, elle ne comprend pas ce qui se passe…

Elle vient quatre fois en entretien… Dès le premier, elle réalise le travail de protection qu’elle a mis en place pour traverser les périodes difficiles de sa vie, ce qui lui a permis d’avancer… Elle réalise aussi qu’elle n’en a plus besoin pouvant s’appuyer maintenant sur ses propres capacités, ses ressources…

Entre les deux premiers entretiens, la douleur s’intensifie… pour aller ensuite en diminuant progressivement. Entre la troisième et la quatrième séance, il est prévu un délai de trois semaines au cours duquel je lui écris un conte que je lui raconte sous hypnose lors de la dernière et quatrième séance.

Aujourd’hui, elle n’a plus de hernie cervicale (IRM), le cours de ses études se passe bien, elle est à la veille de passer son diplôme et de changer de travail. Dans cette situation, pour moi, l’objectif du conte a été de renforcer sa confiance en elle, de valoriser d’autres ressources qui ne sont pas forcément celles qui lui ont été utiles dans son passé. Je ne sais jamais où je vais arriver en terme de scénario, je me fais confiance et je fais confiance à la relation instaurée avec la personne… J’ai pu ainsi observer une forte émotion pendant la narration du conte et recueillir ses propos après : « Comment as-tu deviné que c’est la question que je me pose depuis longtemps et à laquelle je n’avais pas de réponse ? » Question qui, par l’intermédiaire du conte, est devenue obsolète, inutile pour l’avenir de Sandrine. La question n’étant plus d’actualité, l’absence de réponse consciente n’est plus un frein et la personne démarre…

Ce qui fut pour moi une découverte étonnante, c’est que ce conte et d’autres, écrits au départ pour une personne en particulier, je les ai racontés à d’autres patients… avec des problématiques semblables ou non, chacun y trouvait réponse à ses questions… Je vous raconte le conte écrit pour Sandrine.

JUSTIN ET L’ENGIN MAGIQUE

Il était une fois, dans un pays imaginaire, une espèce d’engin un peu bizarre, une petite voiture particulière et unique, toute bleue, d’un bleu soutenu, franc et bien uniforme… Elle était confortable avec ses sièges recouverts de velours clair, un velours très doux au toucher et qui sentait la pêche, un velours qui selon la température extérieure devenait plus épais et chaud ou au contraire plus ras et frais.

Cette petite voiture avait une particularité, elle était douée d’une capacité d’anticiper les désirs de son conducteur par je ne sais quelle fonction extraordinaire et magique. Cette petite voiture bleue appartenait à un jeune homme qui s’appelait Justin. Justin semblait fragile et frêle… Il n’avait pas d’âge… Son visage était lisse, sa peau était pâle et régulière… Ses cheveux blonds avec de petites boucles serrées lui donnaient l’allure d’un ange… Justin n’aurait pu dire depuis quand il conduisait son engin bleu… cela datait de si longtemps… si longtemps… Même le souvenir de son acquisition ne lui était plus disponible… Il faut dire que le temps, dans ce pays imaginaire, n’était pas comme dans notre monde réel à nous… Le temps ne se comptait pas, il se vivait, il se vivait à chaque instant, chaque seconde, chaque millième de seconde… et du coup, la notion du temps qui passe était pour Justin inconnue…

La seule chose dont il avait conscience, c’était le chemin qu’il avait à parcourir, car il en parcourait des chemins Justin, des chemins en plaine au milieu de prairies verdoyantes et de petits ruisseaux au bord desquels il observait d’étranges animaux qui venaient s’abreuver. Il voyait également des pêcheurs qui attendaient patiemment en regardant le bout de leur ligne et aussi des enfants qui couraient le long de la berge, accompagnés de leurs parents qui leur criaient d’être prudents…

Mais il traversait aussi des zones escarpées sur des chemins plus arides, où de nombreux méandres permettaient de découvrir à maintes reprises des paysages nouveaux, féeriques, qu’il prenait à peine le temps d’admirer, toujours attiré vers plus loin, quoiqu’il se passe… Et avec sa petite voiture bleue, Justin parcourait des kilomètres et des kilomètres toujours plus loin, plus loin… sans jamais s’arrêter, sans jamais se poser, sans relâche aucune… et il pouvait le faire Justin, convaincu que son engin était infaillible et sûr et qu’il pouvait compter sur lui pour toujours… il suffisait qu’il tienne fermement dans ses mains le pommeau qui était proéminent sur le tableau de bord pour que ça avance en toute sécurité…

Il faut dire que la carcasse de sa voiture était d’une matière qui offrait un maximum de confort et de sûreté. Elle était translucide et laissait ainsi tout le loisir de bien observer l’extérieur tout en étant protégé. Et tout en étant à l’abri, Justin pouvait avancer sans aucune crainte. De plus, son engin avait une « intelligence » intuitive qui permettait à Justin de se reposer sur cette voiture protectrice. Et il se reposait tellement sur elle qu’il ne s’aventurait pas sans elle, nulle part… il ne partait jamais à pied, ni à vélo, ni à dos d’âne… il se serait senti perdu, trop fragile, trop vulnérable… ce n’était pas possible pour lui d’imaginer la vie autrement.

De ce fait, il était souvent seul, pour ne pas dire tout le temps… même s’il rencontrait d’autres personnages étranges dans ce monde imaginaire, il les côtoyait depuis sa carapace transparente qui à ce moment-là se modifiait pour prendre une apparence discrète et légère, tout en apportant la même sécurité si importante pour Justin. Et de toute façon, sa ténacité, je dirais même sa pugnacité, faisait qu’il ne s’éternisait pas sur place, qu’il fallait avancer, toujours avancer sans fléchir…

Il avait entendu dire qu’au bout, tout au bout de ce chemin qui apparaissait sans fin, se trouvait la réponse à la question qui le hantait depuis si longtemps, depuis… en fait… tout le temps… Il lui semblait être né avec cette question au fond de lui et il n’avait de cesse de vouloir trouver la réponse. Il n’en avait parlé à personne… Les autres ne pourraient pas comprendre… cette question était « pourquoi suis-je né ? » et il fallait bien trouver la réponse…

Justin avait entendu aussi, il ne se rappelait d’ailleurs plus ni quand, ni où, ni de qui, il avait entendu que celui qui n’avait de cesse de trouver la réponse à ses questions devait parcourir la terre entière s’il le fallait, mais que sa réponse se trouvait au bout du chemin… Alors il parcourait tous les chemins, courageusement dans l’espoir de trouver un jour la réponse au bout de l’un d’entre eux. Et il croyait très fort que pour cela, nul repos, nulle douceur possible tant que la réponse tant convoitée ne serait trouvée… Et il comptait bien sur sa voiture bleue magique pour y arriver… elle faisait partie de lui, c’était comme une seconde peau… il n’imaginait pas vivre sans elle. Et pourtant…

Un jour, et pourquoi ce jour-là, il ne le savait pas ni pourquoi pas le lendemain ou la veille, il ne le savait encore moins… Ce jourlà, donc, il sentit des vibrations sous son siège alors qu’il venait à peine de partir. Troublé, il ralentit un peu mais les vibrations s’amplifiaient sensiblement… et en même temps, la transparence de l’habitacle se ternissait progressivement… et Justin devait plisser ses yeux pour voir à l’extérieur… il décida de poursuivre quand même son chemin.

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“Entre observation et perception“. Par Sylvie Le Pelletier-Beaufond.

“Justin et l’engin magique“. Par Marie-Odile Soucaze des Soucaze.

“Hypnose du présent, hypnose de l’acceptation“. Par Alain Vallée.

“Hyperesthésie somnambulique, à propos d’un article de Bergson“. Par Bertrand Méheust.

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Rédigé le 02/08/2018 à 01:22 | Lu 588 fois | 0 commentaire(s) modifié le 02/08/2018




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