La métaphore, une communication intersubjective directe




« La métaphore n’est pas pour le vrai poète une figure de rhétorique, mais une image substituée qu’il place réellement devant ses yeux à la place d’une idée. » Friedrich Nietzsche

De la sensorialité à la mémoire autobiographique

L’enfant de 2 ans traverse une crise. Il devient tout sérieux. En entrant dans le domaine verbal et en accédant à la complexité conceptuelle, il vit la plus grande des dissociations. Il y aura soi et l’autre soi, bien plus soi que ce qu’on imagine être soi. Une part, immense, de son expérience reste en soi. Sa sensorialité est singulière, synesthésique, trans-modale, impossible de la partager. Jusqu’à 4 ou 5 ans, il va apprendre à organiser le récit de ses expériences selon une trame logique. Il va apprendre à établir des liens psychologiques entre les événements et raconter une histoire officielle qui constituera sa mémoire autobiographique. Cette histoire, il la raconte et il l’adapte aux valeurs de sa famille, de sa culture et de ses intérêts. Cette histoire n’est qu’un écrémage. Une pâle traduction de sa vie interne et de ses apprentissages. C’est le prix à payer pour accéder à la culture et aux échanges de savoir, à l’infinie richesse de la vie symbolique et à la complexité conceptuelle. C’est à partir de 6 ans, en général, que l’apprentissage de l’écriture et de la lecture révèle ses immenses capacités conceptuelles et associatives. Peu à peu, l’enfant apprendra à s’accommoder du fait que l’échange sémantique n’est qu’une série d’approximations, mais avant il devient grave et sérieux, comme écrasé par le poids, trop lourd, de sa trahison. La trahison de sa vie intérieure d’avant les mots. La poésie, la musique, la sculpture, la peinture et les films nous donnent l’occasion de retourner dans le monde d’avant le verbe. L’hypnose est de cette nature là.

Les métaphores en sont les clefs. Celles de l’accordage progressif, des plaisirs partagés dans l’immédiateté de l’expérience vécue, de l’empathie, du partage des intentions par des gestes ou des mimiques, des « je te cherche, tu me trouves ». Les clés données par la maîtrise de la suggestibilité et de la co-construction de valeurs communes, relatives à l’expérience partagée. Les clefs de la mise en route d’un espace temporel singulier et particulier, avec une rythmique, des variations et des écoulements qui lui sont propres.

C’est ce que Daniel Stern appelle le domaine de l’intersubjectivité.

Les mots pour dire les émotions

Le processus qui consiste à choisir les mots et à construire les phrases qui conviennent pour traduire les états internes, est un processus de sémantisation. C’est-à-dire, traduire une réalité interne, immensément complexe, en des concepts génériques, transmissibles et intelligibles. C’est-à-dire, passer du singulier au général. Le processus inverse est une désémantisation. L’induction hypnotique est une dé-sémantisation. Partir du souvenir généralisé des vacances. Pour passer aux souvenirs plus restreints des vacances à la mer. Pour arriver à la scène de lutte, contre la montée des eaux, du château de sable que j’ai construit, toute l’après-midi, avec ma pelle, en métal, bleue, écaillée. Je passe d’une mémoire sémantique et autobiographique à la mémoire procédurale. La scène, réveillée par un détail, entre dans la mémoire de travail immédiat. Dans cet espace neuronal de travail, je vais pouvoir la transformer. La pelle était, peut-être, rouge. A ce jeune garçon de 9 ans, je peux lui dire combien il peut être fier de sa construction et heureux d’entrer en lien avec les vagues et la Manche et les mers toutes entières. Je peux lui suggérer de choisir d’être un dauphin qui nage si vite qu’il peut découvrir l’immensité sous-marine, à la recherche de trésors insoupçonnés.

L’accordage est indispensable pour donner à la métaphore sa force relationnelle...

La métaphore soutient ce processus de dé-sémantisation. Elle est comme un retour dans le domaine intersubjectif direct. La largeur des concepts, les contrées évasives parcourues, l’indéterminisme, le refus de la rationalité psychologique, délimitent un espace immense à parcourir, libre, jusqu’au hasard des découvertes inattendues et imprévues. La prosodie, les modulations et les variations de la voix, les postures, les mouvements, tout le para et l’infra verbal a toute son importance pour construire l’accordage, affectif et cognitif. Cet accordage est indispensable pour donner à la métaphore sa force relationnelle. Ce lien est indispensable pour, dans le même temps et le même processus, construire, sur un isomorphisme et des analogies expérientielles, des perspectives immenses et incommensurables.

Tout est métaphore potentielle. Souvent les personnes rencontrées en psychothérapie ont construit des croyance limitantes. Ce processus ressemble à l’inverse de la métaphore, une infra-phore. L’enfermement d’une expérience dans une restriction conceptuelle et sémantique. A l’extrême, le sujet n’est plus que l’expression d’une plainte, n’est plus qu’une souffrance. Dans le récit qui suit, nous allons illustrer comment déconstruire ce type de métaphore morbide.

Les mots qui tuent…

Une annonce difficile : « Bonjour, je dois vous dire la vérité. Vous en avez pour six mois. Non, je n’ai pas dit que vous aviez un pied dans la tombe ! » Je rencontre ce patient, neuf mois plus tard, à la demande de son radiothérapeute qui observe une anxiété inhabituelle, lors des séances, et un état dépressif préoccupant. Lui décrit un phénomène étrange. Chaque jour, en attendant l’ambulancier qui doit l’amener en radiothérapie, il est mal. Il tremble. Sa gorge est serrée. Il ressent une agitation, interne, qui le pousse à entrer et à sortir dans son jardin, sans pouvoir se poser. Je l’interroge : « La première fois que vous avez observé cette sensation ? » Il raconte l’annonce telle qu’il la répète souvent : « Le médecin m’a dit que j’allais mourir. Dites-moi qu’est ce qu’il y a après la mort ? Mon pneumologue dit qu’il ne faut pas dire ça ! » Je demande : « Excusez-moi. Je n’arrive pas à bien imaginer la scène. Votre médecin vous a dit ?…» Il répète.

LUC FARCY est maintenant PH à temps partiel au CHU de Nîmes, en Oncologie, et Psychiatre libéral dans cette même ville de Nîmes..


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“Hors série n°10 de la revue Hypnose & Thérapies brèves. Mars 2016.
“ C'est un numéro double de 196 pages.
“Thème : “Les métaphores". Utilisation de la pensée symbolique" 

Construites ou filées, développées ou succinctes, universelles ou personnelles, les métaphores constituent une boîte à outils à l’immense portée thérapeutique. Comment les construire, comment les utiliser, c’est ce qu’explique avec de nombreux exemples ce hors-série n°10 de la revue Hypnose & Thérapies brèves. 


- Hypnose et Thérapies Brèves. Leçon d’humilité…
Histoire courte, conte, légende universelle, tableau de maître, ou simple image, la métaphore existe depuis la nuit des temps et inspire notre vie quotidienne. 
- De la métaphore dans la maladie et le soin. Yves HALFON «En matière de métaphore, les apparences sont tout, sauf trompeuses.» 
- Métaphores sur Grand Ecran : utilisation des films en thérapie narrative avec les toxicomanes
- Le poète, le patient et l’hypnothérapeute
 - Les métaphores: Définitions. La métaphore, du grecμεταφορα (« metaphorá »= transport), est une figure de style fondée sur l’analogie. Un terme est substitué à un autre, issu d’un champ lexical différent, parce qu’il lui ressemble ou partage avec celui-ci une qualité essentielle. 
- L’heure du changement: Deux images métaphoriques me servent « d’accroche » quand les patients les remarquent dans mon cabinet de consultations.
- L’enchantement hypnotique des métaphores. Joyce C. MILLS, Ph.D.
- Fier d’être « un pot fêlé ». Il y a bien longtemps, un soignant m’envoya ce conte hindou. Je ne me souviens plus du nom du soignant... 
- La métaphore, une communication intersubjective directe 
- Henri le Hérisson. Céline BENHARROCH LEININGER
- Création et utilisation de contes métaphoriques en hypnose
- Les histoires de grand-père. Marco KLOP 
- Le nez fin. Camille ROCHE-DJEFFEL
- La réification. Yves HALFON
- L’énigme de la Perle Noire. Métaphore de la rencontre du « Comte de Brosseau » Ou une métaphore qui en cache une autre.

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Rédigé le 10/09/2018 à 00:09 | Lu 503 fois | 0 commentaire(s) modifié le 23/09/2018




Présidente de France EMDR-IMO, Psychologue, Psychothérapeute, Hypnothérapeute et Formatrice en… En savoir plus sur cet auteur
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