La douleur chronique. Le corps en mouvement.


La douleur chronique est un véritable défi pour les thérapeutes. Travailler avec un patient installé dans un processus de douleur chronique peut être rapidement décourageant.
Dr Bruno Dubos.



Les efforts et la créativité sont rarement récompensés et les stratégies habituelles, dans lesquelles l’hypnose prend sa place, sont souvent d’une efficacité limitée.
Cela tient, en totalité ou en partie, à la nature même du défi symptomatique que représente la douleur chronique et le patient qui en souffre. Toute douleur chronique s’installe dans les suites d’une douleur aiguë. Considérer qu’il est possible d’aborder la douleur chronique comme une douleur aiguë est une gageure. Cela tient à la nature de la douleur chronique, aux spécificités de l’état du patient qui porte ce symptôme, et aux particularités du processus chronique.
La douleur chronique dure dans le temps. Elle s’installe et occupe de plus en plus de place dans le champ sensoriel, émotionnel, mais aussi relationnel du patient. Nous sommes confrontés à une situation radicalement différente des contextes aigus : la situation « chaotique » induit par une douleur aiguë est simple d’approche pour les thérapeutes.

Les patients sont certes en désordre sensoriel et émotionnel, mais ils gardent leur richesse personnelle, à savoir leurs ressources et leurs apprentissages. Tout cela est immédiatement disponible, pour peu que le thérapeute sache créer un contexte favorable pour mobiliser ce que les patients ont à leur disposition. Je reste convaincu, par la force de l’expérience, qu’une douleur chronique est une douleur aiguë qui dure. Par un ensemble de phénomènes complexes (la logique de la nature et de la biologie n’est pas linéaire mais bien complexe), la douleur aiguë vient prendre sa place dans l’évolution et les cycles de vie du patient.

Elle vient en quelque sorte valider une impossibilité d’évolution personnelle. Souvent, elle devient source d’enjeux relationnels multiples pour le patient, dans ses relations avec son conjoint, sa famille, etc. Imperceptiblement, la douleur aiguë s’installe dans le temps, et elle devient chronique. Les enjeux autour de l’homéostasie du système relationnel du patient est un défi pour les thérapeutes car ils sont source de résistance au changement.

Intéressons-nous un instant à l’état du patient douloureux chronique. La plainte douloureuse est tellement présente qu’elle représente un risque pour le thérapeute de se faire « hypnotiser ». Il va alors réduire le champ de sa créativité pour s’intéresser uniquement au symptôme douloureux. Il va mobiliser des outils hypnotiques dont l’efficacité a fait ses preuves dans la douleur aiguë. Ces outils s’avèrent bien souvent difficiles à mettre en œuvre dans ce contexte chronique.

Contacter l’état du patient douloureux chronique est fondamental. Quelle que soit l’expression symptomatique de la douleur chronique, tous nos patients ont en commun un « état d’être » particulier, qu’il convient de prendre en compte. Cet état fait appel à des composantes corporelles (sensorielles et motrices) et à des composantes émotionnelles. La prise en compte de l’état de nos patients comme préalable à toute stratégie hypnotique n’est pas spécifique au contexte de la douleur chronique. Cependant, compte tenu des enjeux, son observation et son utilisation dans la thérapie peuvent être d’un apport considérable. La douleur induit une focalisation de l’attention du sujet. Cette focalisation est soutenue et dure dans le temps. Elle provoque ce que nous connaissons bien : un état de transe hypnotique négative, mais chronique. Cet état particulier rend beaucoup plus difficile pour le patient d’utiliser une compétence naturelle qui est la ré-association. C’est cette fluidité naturelle qui nous fait passer en permanence et de façon souple d’un état de dissociation à un état de ré-association. Cette fluidité disparaît pour le douloureux chronique. Cette « incompétence » est alimentée par un état « d’anesthésie sensorielle ». Cette focalisation douloureuse, en quelque sorte, vide toute la richesse sensorielle du patient. Qu’il s’agisse de douleurs localisées ou diffuses, les patients perdent leur subtilité sensorielle. Cette composante de l’état de douleur chronique est déterminante : le naturel et le bien-être passent par cette richesse de la palette sensorielle.

Cet état de dissociation chronique, cette « pauvreté » sensorielle est à l’origine de la diminution des ressources intérieures, chères aux hypnothérapeutes. Qu’est-ce qui est sous-tendu par ce terme de ressource si souvent employé ? Les dernières recherches sur la conscience humaine nous donnent un éclairage particulier : je peux définir une ressource comme une « chaîne d’expériences » installée dans notre intérieur et qui peut, à tout moment, être mobilisable dans notre espace de travail, comme le décrit Stanislas Dehaene (« Le Code de la conscience », Odile Jacob). Cette chaîne d’expériences prend appui sur des stimuli sensori-moteurs, c’est-à-dire des mouvements corporels et des sensations. Ces mouvements et ces sensations sont la base indispensable à la mobilisation émotionnelle : il ne peut y avoir d’émotion sans sensations. Cette chaîne d’expériences émotionnelle et sensorielle « circule dans les deux sens ». Les mouvements mobilisent les sensations, les sensations mobilisent les émotions et inversement. Ces chaînes d’expériences que nous installons très précocement dans notre existence sont bien évidemment utilisées par nos systèmes de pensée, nos représentations et nos référentiels culturels, sociaux et familiaux. Chacune de ces chaînes est autant de ressource potentielle. Leur diversité, leur multiplicité, leur disponibilité à tout moment dans notre « espace de travail » contribuent à notre bien-être physique et psychologique. C’est comme si nous avions à notre disponibilité une palette infinie de couleurs pour peindre un tableau. Dans la douleur chronique, ces chaînes d’expériences ne sont plus mobilisables, du fait de l’état de dissociation et de l’appauvrissement sensoriel. Les patients doivent peindre un tableau avec juste une ou deux couleurs, ce qui demande un certain talent et beaucoup d’efforts... La créativité peut être vue comme la capacité à mobiliser ces chaînes d’expériences, des plus simples aux plus complexes, ainsi que les modes de pensée et les représentations que nous y associons. Elle fait cruellement défaut dans les contextes de douleur chronique.

Enfin la douleur chronique induit un ralentissement global du sujet. La gestuelle, les mouvements spontanés et volontaires diminuent. Ce ralentissement participe au processus d’arrêt, autant que ce processus d’arrêt permet à cet état de ralentissement de perdurer. L’état influence les processus et inversement.
Il reste à aborder la question du processus chronique. Un processus peut être vu comme un ensemble de faits et d’événements qui, combinés ensemble, produisent un résultat. A ce titre, les processus qui amènent à la chronicité sont très différents des processus pathologiques aigus.
Les processus chroniques, qui ne concernent d’ailleurs pas que la douleur, se caractérisent par un arrêt de l’évolution de vie et des cycles de vie du patient. Certes, un processus aigu induit un arrêt. Mais celui- ci est temporaire. Lorsque la chronicité s’installe, cet arrêt est durable. Nos patients, lorsqu’ils consultent, sont souvent en situation de blocage de leur évolution personnelle depuis parfois des années. Cet arrêt se manifeste, pour nos patients, par l’absence de projets personnels, pour le couple ou pour la famille. Les initiatives personnelles susceptibles d’alimenter cette dynamique évolutive se concentrent sur les recherches de solutions antalgiques, bien souvent inefficaces. Il est frappant de constater combien ce processus d’arrêt « contamine » le conjoint, la famille... Le deuxième aspect des processus chroniques est celui de la stabilité. Les processus chroniques sont d’une extraordinaire stabilité, à condition de les aborder sur une échelle de temps plus longue : à court terme, probablement, le thérapeute pourrait voir dans la succession des rechutes, des accalmies et des paroxysmes douloureux une évolution chaotique et instable. Sur une échelle de temps un peu plus longue, l’état des patients ne change pas. Cette stabilité concerne tout le système relationnel du patient. Cette stabilité est, à mon sens, un des défis majeurs du travail avec les processus chroniques. Le retour à l’instabilité est le propre de la vie et est bien sûr promoteur de changement. L’équilibre est dans l’alternance de moments de stabilité et d’instabilité. C’est le propre du fonctionnement biologique, relationnel et psychologique. Les solutions du passage de l’instabilité à la stabilité sont le mouvement et la fluidité. Je pourrais citer deux exemples. Le premier est celui du funambule sur sa corde. Son instabilité permanente et sa souplesse adaptative le font tenir en équilibre. Qu’il se raidisse et c’est la chute. Le deuxième exemple est celui du cycliste. Rester en équilibre sur son vélo, à l’arrêt et sans prendre appui sur le sol, est un défi qui demande beaucoup d’effort et de pratique. Il suffit d’imprimer un tout petit mouvement et tout devient plus facile.

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Dr BRUNO DUBOS
Médecin psychiatre à Rennes, Bruno Dubos travaille avec l’hypnose ericksonienne, les thérapies brèves et les thérapies systémiques depuis 1991. Formateur superviseur, il développe des stratégies thérapeutiques concernant les troubles des conduites alimentaires depuis plus de quinze ans. Ses travaux ont fait l’objet de plusieurs communications dans les congrès européens, ainsi que des publications dans des revues spécialisées. Il est l’auteur d’un livre sur les troubles des conduites alimentaires. Il travaille en collaboration avec des établissements hospitaliers dans le cadre du suivi de patients souffrant de troubles des conduites alimentaires ainsi qu’en post-chirurgie bariatrique..

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Rédigé le 12/01/2020 à 20:15 | Lu 620 fois | 0 commentaire(s) modifié le 15/01/2020




Sophie Tournouër, Psychologue clinicienne, Hypnothérapeute et Thérapeute Familiale. praticienne… En savoir plus sur cet auteur
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