La créativité du patient face à l'immobilité du thérapeute


Revue Hypnose & Thérapies Brèves, Hors-Série n°2
Par Yves DOUTRELUGNE  Médecin, psychothérapeute en Belgique (Tournai), chargé de conférence à l’Université de Lille II et à l’Université Libre de Bruxelles, dirige l’Espace du Possible asbl, centre de Formation à la thérapie systémique brève Modèle Palo Alto.



Les thérapies brèves et l’hypnothérapie sont intimement mêlées : le nom même de notre Confédération y fait allusion. 

En thérapie, il y a deux parties en présence : le patient et le thérapeute. Que se passe-t-il quand  l’un ou l’autre ou les deux sont actifs, c’est à dire se mettent en mouvement ? Le sujet est moins simple qu’il n’y paraît… Reprenons brièvement quelques caractéristiques de nos thérapies.

1°L’ACTIVITÉ DU THÉRAPEUTE 

Dans le courant des thérapies brèves (la  résolution de problèmes du BTC de Palo Alto, Erickson et ses thérapies stratégiques, les solutionnistes  derrière Steve de Shazer…), loin de  la neutralité bienveillante prônée par d’autres,  l’influence a été très tôt affirmée et justifiée. L’Ecole de Palo Alto annonce comme axiomes  de la communication : on ne peut pas ne pas communiquer  ; toute communication exerce une influence  à double courant.  Classiquement aussi, l’histoire de l’hypnose fut mêlée à celle de la suggestion.  Nous gardons la bienveillance mais quittons  la « neutralité » ! Le thérapeute peut donc être  actif, mais il y a pour lui différentes façons de  le faire, à des moments différents et avec des résultats  différents sur l’activité plus ou moins créatrice  du patient.

2°ÊTRE THÉRAPEUTE, C’EST ÊTRE UNE  OCCASION DE CHANGEMENT 

C’est ainsi qu’Erickson le définissait… Remarquons  qu’une deuxième condition est nécessaire  au changement, c’est que le patient saisisse  cette occasion de changement. Mais le thérapeute,  quelque soit l’école de thérapie à laquelle il se réfère, peut être une occasion de non-changement  et finalement faire partie du problème plutôt que  de la solution. Son travail a beau être actif, créatif…  il peut ne pas offrir d’occasion de changer.  A Palo Alto on dira qu’il fait « plus de la même  chose ». Steve de Shazer parlera «d’une différence  qui ne fait pas de différence ».  Toute la progression qu’un thérapeute peut  espérer de son expérience en thérapie tiendrait  elle à cela : devenir de plus en plus souvent une  occasion de changement durable ?

3°LES THÉRAPIES BRÈVES SE VEULENT  « TERMINABLES » 

Certaines insisteront plus que d’autres sur la  définition très précoce d’un objectif : « Aquoi verrez-  vous que nous pourrons mettre fin à notre travail  ? » Cette question définit d’emblée les critères  de l’objectif atteint. La Question du Miracle  fait la même chose chez les solutionnistes. D’autres,  tout aussi déterminés à une rencontre « terminable  », se garderont cependant bien d’en préciser  à l’avance les critères de fin… François  Roustang dira même « Il n’y a pas de relation thérapeutique  en ce sens que, dès son commencement,  elle est marquée par le signe de sa disparition. »

4°AVEC QUI TRAVAILLONS NOUS ? 

La systémique brève a clairement opté de travailler  avec « Celui qui se plaint » et non avec  « Celui dont on se plaint ». D’autres voient les  choses sous un autre angle. Parfois les deux parties  se sentiront concernées et réaliseront un travail  plus ou moins contractuel entre elles.

5°QU’ALLONS NOUS FAIRE DE CETTE THÉRAPIE ? 

Nous partirons de la souffrance, de la plainte  exprimée. Parfois il n’y a pas de plainte exprimée.  Dans son dernier livre « Traiter les cas difficiles  », Dick Fisch dira « Pas de plainte, pas de  thérapie ». D’autres tenteront avec le « Touriste »  (comme nous l’appellerons plus loin), de profiter  de sa présence dans notre cabinet pour lui tendre  des perches… qui l’amèneront peut-être à exprimer  une souffrance voire à prendre la décision  de changer. Mais, même quand il y a souffrance  exprimée, le patient veut-il réellement ce qu’il  demande ? L’histoire nous le dira peut-être …  Un certain nombre de patients expriment  une souffrance sans pour autant être actifs à la  résolution de leur problème : ils s’en plaignent  d’abondance mais n’imaginent pas que le changement  puisse venir d’eux. Ils sont « victimes »  et, comme le disait Yvonne Dolan « Etre victime,  c’est un choix de carrière ».  Roustang écrit : « Les humains tiennent d’ailleurs  plus à leurs souffrances qu’à leur bonheur  et ils sont capables des plus subtiles inventions  pour les entretenir. Pourquoi le thérapeute devrait-  il vouloir des succès auxquels ses patients  ne tiennent guère ? »  Face à cette souffrance apportée, mise sur la  table, plusieurs positions sont envisageables  pour le thérapeute. Va-t-il tenter une « relation  d’aide » ? Ou pourrait-il « ne rien faire » ? La  première hypothèse est assez répandue au point  qu’elle pourrait faire passer la seconde pour inhumaine,  inimaginable : on ne va quand même pas  rester les bras croisés face à quelqu’un qui souffre…  ! Cela paraît être le plus élémentaire bon  sens… S’engouffrer dans la plainte du patient,  dans cette porte ouverte, nous l’avons tous fait,  avec plus ou moins de bonheur…  Parfois, accidentellement ou délibérément,  nous avons fait peu, ou moins, ou « rien ». Avec  plus ou moins de bonheur…

IMAGINONS, TRÈS CLASSIQUEMENT,  LA PREMIÈRE HYPOTHÈSE 

Nous utilisons notre « boîte à outils » de thérapeute…  Selon que l’on aborde la situation en termes de  « résolution de problème » ou en termes d’« orientation  vers les solutions », et il y a 1000 autres façons  de l’aborder, notre thérapie s’orientera différemment.  Par exemple, Nicholas Cummings,  qui dirigea pendant deux ans le M.R.I de Palo Alto,  a formulé ce célèbre paradoxe « Je ne vous abandonnerai  jamais…si vous faites tout pour me rendre  inutile aussi vite que possible », que l’on peut  renverser en « Je vous abandonnerai sûrement si  vous ne faites pas tout pour me rendre inutile aussi  vite que possible ». Ce propos doit d’emblée être  nuancé du fait qu’il est des moments de souffrance  telles que le patient est une plaie vivante : un pansement  est nécessaire, le changement n’est pas encore  possible. Mais la phrase de Cummings sonne  comme une exigence du thérapeute pour une activité  maximale du patient pour arriver à son objectif.  Et qui plus est, elle est linéaire plutôt que  circulaire : c’est le patient qui est LA cause du nonchangement.  Et sous cet angle au moins, elle est  largement contestable… Par contre, quand il poursuit  en disant « Il y a deux thérapeutes ici et le principal  c’est vous ! », je le rejoins davantage.  Personnellement, je crois important de distinguer  très tôt, dès la première séance si possible,  si le patient est « Touriste », « Plaignant » ou  « Client ». C’était d’ailleurs le sujet de mon intervention  lors de notre dernier Forum à St Malo.  Un « Touriste » est là, devant nous, est là parce  qu’on lui a dit de venir (un juge, un parent, une  autorité quelconque) mais il dit ne pas avoir de  problème.  Un « Plaignant » se plaint mais attribue son  problème à l’extérieur : il est « victime » d’un  autre (conjoint, enfant, collègue… ou les événements  de vie, la société, etc) : pourquoi changerait-  il, lui, alors que c’est « l’autre », l’extérieur  qui doit changer.  Un « Client » - c’est ainsi qu’on le nommera à  Palo Alto – se plaint lui aussi. Il pense qu’une partie  au moins de son problème dépend de lui. Il est  prêt à être acteur de son changement sur ce point.  John Weakland disait : « Si tous nos patients  étaient des « Clients », nous finirions nos semaines  le mercredi midi. Et s’ils connaissaient leur  « problème », nous la finirions le lundi midi ! »  La question de François Roustang était donc :  « Pourquoi les thérapeutes devraient-ils vouloir  des succès auxquels leurs patients ne tiennent  guère ? » Une réponse possible serait de tabler  sur un désir implicite du patient, en lien avec  son ambivalence. (cfr Milton Erickson)  Si nous souhaitons amener ce plaignant à se positionner  en « Client » alors que cela ne semble pas  être sa demande explicite, une position possible  pour le thérapeute pourrait être, par exemple, de :

1. Lui attribuer la propriété de son problème : c’est  votre problème. Ce sera votre solution, vos bénéfices  (même dans l’aide contrainte).

2. Exiger la réciprocité, le partenariat : “Je ne vous  abandonnerai jamais si.... vous faites tout pour  me rendre inutile aussi vite que possible. Ceci  veut dire que je tomberai “en panne” si vous ne  faites pas tout pour me rendre inutile aussi vite  que possible !

3. Lui donner la première place : “Vous êtes le  moteur de votre changement.  Le tandem en est une métaphore: “Vous devant,  moi derrière”. C’est vous qui donner la direction,  moi je regarde si vous pédalez. Peut-être  pédalerai-je avec vous, à vous de me convaincre.  Et d’autres types de réponses pourraient être  crées ou pratiquées dans un style actif, tentant  de « convaincre » le patient, de façon directe ou  indirecte, de réduire sa souffrance.

LES EXCEPTIONS ET LES RESSOURCES

Les exceptions 

La grille d’intervention en 5 points du M.R.I  de Palo Alto relevait déjà l’existence d’exceptions,  c’est à dire de circonstances dans lesquelles le  patient avait déjà trouvé des solutions efficaces.  S’il les avait pratiquées plus longtemps, peut-être  ne serait-il plus dans la souffrance de son problème.  Pour des raisons diverses, il les a disqualifiées  et ignorées. Il y a aussi les solutions qui  se sont révélées efficaces pour d’autres membres  du système et qu’il a, ou non, utilisées pour lui.






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Rédigé le 22/07/2018 à 00:44 | Lu 396 fois | 0 commentaire(s) modifié le 22/07/2018




Sophie Tournouër, Psychologue clinicienne, Hypnothérapeute et Thérapeute Familiale. praticienne… En savoir plus sur cet auteur
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