Hypnotiser... Que fait l’opérateur ?


Par le Dr Dominique MEGGLÉ, Psychiatre, Institut Milton H. Erickson Méditerranée de Toulon-Marseille
Revue Hypnose & Thérapies Brèves, Hors-Série n°9



Milton H. Erickson répétait volontiers qu’il fallait « toujours, dans l’hypnose, minimiser le rôle de l’opérateur et insister sur celui du sujet ». Le rôle des hypnotistes, disait-il encore, est juste de fournir « un climat, une ambiance propice » au développement des processus internes de leurs patients, dont ceux d’entrer en transe et de se servir de celle-ci pour atteindre leurs buts thérapeutiques. Nous sommes des « incubateurs ». Il est vrai qu’il faut souvent beaucoup d’entraînement, et parfois du talent, voire du génie, pour parvenir à fournir le bon « climat », à être le bon « incubateur », parce que chaque patient est unique, « aussi unique que ses empreintes digitales ». Une adaptation souple à chacun, dans son inédit et sa diversité, est requise du thérapeute, ce qui représente un exercice assez fatigant parce qu’il demande beaucoup d’efforts.

Fournir le cadre

La question doit donc être avant tout considérée du point de vue du sujet. Nous parlons, à la suite d’Erickson et de bien d’autres, d’« induction de transe ». Hypnotiser, c’est « induire » la transe pour permettre la thérapie qui va suivre, comme les anesthésistes « induisent » une anesthésie générale pour permettre l’intervention chirurgicale qui va suivre. L’image est parlante, car l’hypnotisation et le travail thérapeutique sont bien deux temps séparés, et l’importance de bien les différencier est capitale quand on utilise l’hypnose profonde ; cela dit, elle l’est moins à des degrés plus légers et plus courants de transe. Combien d’hypnotistes débutants se sont-ils dit : « Voilà, mon patient est en transe. Et maintenant, qu’est-ce que je fais ? » En réalité, dans un certain nombre de cas, il n’est pas nécessairede faire quelque chose de plus que l’induction : la survenue de la transe peut être une expérience de libération de ses limites telle qu’elle entraîne, à elle seule, le changement thérapeutique souhaité.

Cependant nous ne sommes pas des anesthésistes : nous ne poussons pas la seringue. Nous fournissons juste au sujet le cadre dans lequel il va pouvoir faire son hypnose à lui. Nous l’aidons à reconnaître et utiliser les moyens de son autohypnose, qu’il savait déjà réaliser bien avant qu’il ne nous connaisse mais il l’ignorait. Pour rappel, l’hypnose est un état naturel que nous traversons plusieurs fois par jour. Donc, en l’hypnotisant, nous ne faisons que lui faire reprendre contact avec son hypnose naturelle à lui.

Le coeur de la technique

Comment y parvenons-nous ? Ici est l’héritage le plus essentiel d’Erickson : « Meet the patient’s needs » ; en rencontrant les besoins du patient, lesquels sont purement individuels. Quand je rencontre ses besoins, qu’il se sent enfin compris, il entre en transe. Et plus profondément il se sent compris, plus sa transe sera profonde. Dès lors, il existe autant de manières d’hypnotiser que de sujets. Les protocoles standardisés d’hypnotisation, qui ont encore cours ici et là, sont des aberrations parce que l’hypnose révèle les richesses de l’individualité de chaque personne, leur permettant de s’exprimer. Erickson s’est longuement battu contre ces « protocoles ». Bien sûr, il existe quelques grandes lignes directrices qui apprennent au praticien à capter l’attention des sujets, à la focaliser et la diriger, par exemple des grilles d’entretien apprises dans les séminaires de formation ou les livres. Ces grilles lui servent de base solide pour s’entraîner ensuite à s’adapter de plus en plus souplement aux besoins de chacun. Après, avec l’expérience, il n’en aura plus l’utilité, mais il pourra toujours y revenir si besoin en était.

Une approche de base : truismes + suggestions

Ainsi une approche de base, très simple et qui rend de grands services, consiste à dérouler une suite de truismes sur l’environnement, la situation globale, la position du corps, les changements cardiorespiratoires, la détente musculaire et les mouvements des paupières. On lie chaque truisme (T), auquel le sujet ne peut que répondre « oui », à une suggestion (S) d’entrée en hypnose. La liaison de T avec S se fait avec une conjonction positive (et, parce que, pendant que, tout en) : T+S. Chaque [T+S] est à son tour lié au suivant par une nouvelle conjonction positive, si bien que tout le discours apparaît comme un flux continu, tranquille et harmonieux. L’entrée en transe devient alors aussi évidente pour le sujet que nos
lapalissades. Le plus souvent, moins d’une dizaine de [T+S] sont nécessaires pour obtenir l’hypnotisation. [T+S] est le module de base de toute la communication hypnotique.

Encore plus simple : utiliser le spontané

Il y a encore plus simple. Comme l’hypnose est un état naturel spontanément traversé par tout le monde plusieurs fois par jour, il est relativement fréquent qu’à un moment de l’entretien le patient soit en transe, sans aucune intervention de notre part. Quand le clinicien le détecte, il lui suffit de dire : « Continuez juste comme ça. » La transe est déjà là : pas besoin d’en faire plus. Mais, paradoxalement, il n’est pas toujours aisé de repérer la présence de la transe spontanée. En revanche, ce qu’il faut toujours évaluer, c’est le degré de « disponibilité à répondre » du sujet, la fameuse « response attentiveness » chère à Erickson. S’il a le visage détendu, la bouche entrouverte, les pupilles en mydriase, qu’il paraît confortablement installé dans son fauteuil, il est prêt à coopérer, il est « disponible pour répondre » aux suggestions. Il est en pré-hypnose. Trois ou quatre [T+S] achèvent l’hypno tisation très rapidement.Si le sujet est penché en avant, les pupilles en myosis, les muscles contractés, les jambes et les bras croisés, il n’est pas prêt à coopérer et il faut l’y amener. C’est là que travailler à rencontrer ses besoins prend toute son importance.

Ratifier en recadrant

La ratification est un puissant outil pour qu’il commence à s’ouvrir à la coopération. Elle capte efficacement son attention. Le déprimé, l’anxieux, le douloureux se sent seul au monde dans sa souffrance et incompris de tous. Le thérapeute ratifie sa plainte en la reprenant en écho et, surtout, en l’amplifiant : « C’est vraiment terrible ! Il n’y a rien de plus horrible que ce que vous vivez ! On n’a plus envie de vivre, on ne ressent plus rien pour ceux qu’on aime, la vie ne vaut plus rien et on se sent si nul qu’on pense, très logiquement, qu’il vaut mieux disparaître, et personne ne s’en rend compte, et tous ces bons conseils qu’ils vous donnent ! Ah ! On voit qu’ils n’y sont pas, dans cette solitude atroce ! C’est un très gros chantier, tout ça, et on va voir ensemble comment on va s’y prendre. »

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““Hors série n°9 de la revue Hypnose & Thérapies brèves. Mars 2015.
“ C'est un numéro double de 196 pages.
““Thème : “Hypnotiser: techniques d'induction"

Hypnotiser, c’est « induire » la transe pour permettre la thérapie qui va suivre. L’hypnotisation et le travail thérapeutique sont bien deux temps séparés. Certains patients souhaitent inconsciemment la transe parce qu’ils savent en avoir besoin, mais leur esprit conscient s’y oppose. Ils vivent un conflit aigu entre leurs deux esprits. C’est notamment à ce type de sujets que s’adressent les techniques éricksoniennes de choc et de surprise, de confusion et de doubles liens. Grâce à elles, la transe apparaît rapidement.

Ce hors-série n°9 traite des multiples techniques qui permettent l’entrée en hypnose. Ses auteurs sont des hypnothérapeutes expérimentés : Yves Halfon, psychologue clinicien, Dominique Megglé, psychiatre, Thierry Servillat, psychiatre, Luc Farcy, psychiatre, Gaston Brosseau, psychologue, Delphine Provost, médecin anesthésiste, Christine Guilloux, psychothérapeute, Jean-Pierre Courtial, chercheur en psychologie, Pierre-Henri Garnier, psychologue clinicien, Laurent Gross, psychothérapeute, Isabelle Ignace, psychologue clinicienne, Kenton Kaiser, chirurgien dentiste, Xavier Penin, docteur en chirurgie dentaire, Francis Gajan, médecin généraliste.

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Rédigé le 09/08/2018 à 20:47 | Lu 384 fois | 0 commentaire(s) modifié le 23/09/2018




Présidente de France EMDR-IMO, Psychologue, Psychothérapeute, Hypnothérapeute et Formatrice en… En savoir plus sur cet auteur
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