Hypnose: stupeur et effondrement. Dr Patrick Bellet


Par le Dr Patrick BELLET, rédacteur en chef de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
Président de l'Institut Milton Erickson d'Avignon (Vaison La Romaine)



Les galets oubliés de Vaison-la-Romaine
Cela commence comme une nouvelle du temps jadis, dans l'âpre Provence de Jean Giono. Mais, un mauvais jour de l'automne 1992, Patrick Bellet est, comme tous les habitants de la belle ville de Vaison-la-Romaine, brutalement ramené au présent. Il fallait qu'il nous raconte.

Adrien, ce jour-là, s’était levé à 5 heures comme d’habitude, un jour comme les autres… le 21 août 1616. Après avoir attelé la charrue, il se dirige vers les basses terres, celles près de la rivière, l’Ouvèze. D’un accès plus aisé, limoneuses et caillouteuses, elles donnent le meilleur rendement, mais au prix d’un travail besogneux. La charrue trace des sillons inégaux parmi les galets que les crues précédentes ont laissés.

Dans la lumière desséchée du calcaire, Paco, le cheval, peine avec vaillance et résignation. Cependant, ce mois d’août est lourd, une atmosphère épaisse et moite rend nerveux hommes et bêtes. Mireille, sa femme, s’agace pour un rien. Les soldats qui cantonnent au Grand Mas, oisifs et jouisseurs, commencent à se montrer rebelles à la discipline. Même les lézards d’ordinaire si placides semblaient chercher, fébriles, quelque abri tranquille.

Ce jour ne s’annonce pas comme les autres.

Au détour du verger d’amandiers, près de la chapelle Saint-Vincent, Robert, assis sur le muret, est inquiet. Indécis, il hésite à descendre vers la rivière. Une tension confuse peu à peu s’immisce.

Menaçante.

Soudain, un craquement étrange, minéral, suivi d’un roulement sourd, fracasse la vallée. Les gouttes comme des fruits denses et flasques bombardent le sol croûteux.

Très vite, Adrien comprend que cet orage n’est pas ordinaire ; il est près de la berge, trop près peut-être et une demi-lieue de caillasses le sépare du chemin.

Au moment où il comprend le danger, une image étrange s’impose : les ondulations immobiles des collines de Séguret, de Rasteau, de Sablet semblent s’animer, comme si elles rampaient. D’une reptation monstrueuse, bouillonnante, dévorante.

Les moindres ruisseaux deviennent torrents dans lesquels s’abîment arbres et rochers, béliers à l’assaut des pauvres cabanons qui ont le malheur de se croire refuges. Ce flot inouï dévale de partout. Paco trébuche, ses fers glissent sur les galets qui eux-mêmes roulent les uns sur les autres si vite qu’ils semblent flotter. Le ciel sanglote.

Pauvre Paco ! Adrien court et s’accroche in extremis à un vieux chêne noueux. Mais que peut faire Adrien pour son cheval ? Hélas ! Paco est englouti, entravé par la charrue. Les enfants qui gardent les chèvres près du moulin disparaissent eux aussi à jamais ; également les filles de Gabriel et leur cueillette de figues sombrent dans les tourbillons. L’orage a frappé ! Par surprise. Beaucoup moururent ce jour-là.

Adrien, inconsolable, ne pense plus qu’à son cheval qu’il n’a pu sauver. Jour et nuit il entend ses hennissements d’agonie.

Le temps s’est arrêté ce jour-là, 21 août 1616, dans la vallée de l’Ouvèze, près de Vaison. Il ne reste que quelques traces, quelques cailloux plus nombreux à blanchir au creux de certains méandres. Des galets dans les vignes. Qui se souviendra de ce déferlement ? Qui se souvient de ces orages où les nuages plissent les montagnes ?

Ce matin-là, le 22 septembre 1992, Vaison s’apprête à l’automne : promotions commerciales, rentrée scolaire et autres préoccupations du monde et du temps. Vaison dort dans le lit de sa rivière, l’Ouvèze, et croit l’avoir soumise à ses désirs.

Ce jour-là, les nuages se rassemblent, ils viennent de toutes parts à ce rendez-vous barbare de noces sauvages. Le ciel est laiteux, d’un ton de craie déjà sale. De déjà vu ! Plus de trois siècles plus tard…

Vaison-la-Romaine a oublié de regarder les signes. Les augures minéraux dispersés entre les ceps. Vaison ne tient pas compte du temps qui fait, qui passe.

L’évidence de ses lits anciens d’hybridation prodigieuse, l’abrasion tumultueuse de ses berges et de ses cailloux roulés au creux des vignes sont comme autant de balises d’une fécondation titanesque. A midi, au zénith, la lumière s’éclipse et les montagnes versent leurs trop-pleins. Par surprise ! Encore ! Bientôt l’eau s’accumule en amont du pont, encercle le camping et l’avale. Cet étranglement forcé propulse le flot à travers la ville, emporte la cantine, cerne l’école et noie le lotissement bâti dans son cours. A 18 heures tout est dit.

L’Ouvèze a regagné son étiage habituel comme si de rien n’était… Pour beaucoup la vie s’est arrêtée. Et pas seulement pour les morts. Ce pont que l’on qualifiera de « brave » enjambe la rivière à dix-sept mètres de haut. Ce n’est pas un hasard. Le décapage, dû à ce flux, mit en évidence les restes de quais antiques, témoins d’une activité fluviale intense. Amnésie. Oui, amnésie ancienne. Distorsion du temps, croire à de petites échelles de temps. Croire que notre temps humain est LE temps. Une sidération mentale, inintelligibilité de l’événement, par une violente dissociation crée une distorsion d’échelle ! La cause d’un tel désastre est dans l’oubli de l’enseignement de la nature. Et de bâtir dans le lit de la rivière comme dans l’axe d’un couloir d’avalanche. Dérisoire et funeste observation du profit immédiat ! Beaucoup de patients ont dans des proportions variables souffert d’asthénie, de troubles du sommeil, de culpabilité, de dépréciation de soi. Dépression ou autre diagnostic ? Celui de névrose post-traumatique peut être évoqué sur les critères diagnostiques suivants :

• Victime ou témoin direct d’un traumatisme brutal (guerre, viol, agression physique et/ou psychique, accident, catastrophe, etc.).

• Reviviscence de l’événement traumatique, notamment sous la forme de cauchemars.

• Évitement et émoussement des émotions jusqu’à une insensibilité émotionnelle, repli sur soi-même et fuite de ses proches.

• État d’hyperexcitabilité, de qui-vive ; impression de danger imminent.

• Apparition des troubles après une période de latence asymptomatique.

Certains signes de l’état de stress post-traumatique s’apparentent, de manière analogique, à un état hypnotique. La reviviscence de l’événement traumatique correspond à ce que nous appelons une distorsion subjective du temps. La surprise, l’effroi opèrent une dépotentialisation de la conscience qui imprime l’expérience traumatique hors de toute atteinte volontaire de la personne, une fois qu’elle est revenue à son état habituel de la conscience (Megglé, 1989). Nous décrivons dans l’état de stress post-traumatique une modification subjective de l’écoulement du temps : le patient est figé dans le passé, un passé restreint à l’événement traumatique avec toutes les composantes sensorielles qui accompagnaient le traumatisme. Le temps est arrêté. Cette reviviscence permanente, comme un film qui tourne sans arrêt, isole la personne de l’« ici et maintenant ». Le traitement sera axé sur les dimensions temporelles, de façon à interrompre les processus envahissants. Erickson enseignait que l’apprentissage le plus important portait sur le niveau inconscient, et c’est l’un des avantages de l’hypnose que d’agir sur ce plan dans lequel la métaphore est une technique de choix, bien sûr, accompagnée d’autres modalités rhétoriques pour la rendre thérapeutique. Le 22 septembre 1992, une inondation historique dévasta la vallée de l’Ouvèze et, particulièrement, la ville de Vaison-la- Romaine.

Cette catastrophe survint avec une soudaineté et une violence telles que la montée des eaux tua trente-sept personnes et entraîna d’importantes conséquences sur le plan émotionnel, psychologique et matériel. Cette catastrophe nous a contraints à trouver des stratégies thérapeutiques adaptées à la situation d’un point de vue général, puis avec quelques cas cliniques. Parmi ces stratégies, la mise en route d’une dynamique de prévention des retentissements psychologiques par un groupe de professionnels de santé sur une durée d’une année lors d’une catastrophe est, à notre connaissance, la seule expérience de ce type en France. Nous avons organisé, dans les trois semaines qui ont suivi la catastrophe, une réunion destinée à tous les professionnels de santé (médecins, infirmières, psychologues, orthophonistes, etc.) des secteurs privé et public de Vaison-la-Romaine et des environs.

Le but de cette réunion, principalement animée par nos confrères alors en poste à HIA Desgenettes de Lyon, les Drs Maurice Reitter et Philippe Villien, et Jean-François Roy, psychologue, était d’informer et de sensibiliser ce public professionnel à la pathologie des états de stress. Lors de cette soirée un questionnaire a été distribué dans lequel étaient décrits les signes pathognomoniques de l’état de stress. Ce questionnaire avait plusieurs fonctions : être à la fois une sorte de fiche diagnostique et une occasion de trier, parmi les patients rencontrés, ceux qui pouvaient présenter, déjà, des signes évocateurs de stress post-traumatique. Il pouvait soit être gardé, soit rendu à la fin de la réunion pour participer à un groupe de travail. Ce groupe, dont l’effectif a varié entre quinze et vingt-trois personnes, coanimé avec le Dr Jean-Claude Espinosa, s’est réuni approximativement toutes les six semaines jusqu’à la date anniversaire de la catastrophe.

Notre travail a consisté à partager des informations sur l’évolution psychologique de nos patients touchés par la catastrophe et d’envisager des dispositions pratiques de prise en charge thérapeutique.

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“Dépression et après ?“ Edito de Patrick Bellet.
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“Lorsque la dépression paraît… Premiers soins maternels“. Armelle Touyarot
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“De la couleur avant toute chose. Sept modèles de changement dans la dépression“. Claude Virot
“Comment ne plus déprimer. De la loyauté à la dépression“. Bruno Dubos
“Ex libris “ la bibliothèque des lecteurs. Les livres qui ont compté pour nos lecteurs.
“L’avenir de la psychothérapie en hypnose“. La rubrique Humeur de ce n° a été confiée à Stephen Lankton, rédacteur en chef de l’American Journal of Clinical Hypnosis. Il nous interroge sur « la preuve scientifique » et « le bon sens » dans le domaine de l’hypnose. Traduction d’Armelle Touyarot.

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Dr Patrick BELLET
Hypnothérapeute, Médecin Généraliste.
Président de l’Institut Milton Erickson Avignon
Conférencier International
Ancien Rédacteur en chef de la Revue Hypnose et Thérapies Brèves.
Past-Président de la CFHTB, Confédération Francophone d’Hypnose et Thérapies Brèves
Enseignant dans le D.U. de Sexualité Humaine de la Faculté de Médecine Paris XIII-Bobigny et dans le D.U. d’Hypnose médicale de la Faculté de Médecine de Montpellier.
Enseigne l’hypnose à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg…



Rédigé le 02/08/2018 à 23:13 | Lu 848 fois | 0 commentaire(s) modifié le 03/08/2018




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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