Hypnose et Neurosciences.


Dr Luc FARCY, Dr Adrien LORETTE.
Ce mois-ci, notre ami le Dr Luc Farcy, Psychiatre à Nîmes et conférencier de renom pour la CFHTB, a attiré tout particulièrement notre attention sur la notion de Neurosciences. Cet article est issu de la Revue Hypnose & Thérapies Brèves numéro 30



UN DIALOGUE FRUCTUEUX ET SÉCURISANT.

 

Fini le temps où le clinicien ne pouvait appréhender les neurosciences que sous l’angle d’une fascination bien souvent stérile et d’ailleurs généralement temporaire ou intermittente. Une nouvelle manière de voir est présentée ici, où le clinicien peut trouver dans les résultats des chercheurs des résonances de sa pratique quotidienne qui vont le rassurer et stimuler sa créativité.

De la tradition magico-religieuse, l’hypnose garde la suggestibilité et le jeu thérapeutique sur l’état de « transe ». En français, « état d’hypnose » me semble préférable à « transe » qui prend une connotation trop spirituelle. Ce terme d’« hypnose », aujourd’hui, recouvre à la fois un mouvement de pratiques thérapeutiques et un processus relationnel et psychique. 

P. Rainville et M.E. Faymonville, dans leurs recherches sur le traitement des informations douloureuses, ont actualisé les connaissances universitaires sur l’hypnose. Cette reconnaissance académique contribue à nous faire travailler dans une plus grande sécurité. Elle a permis un essor extraordinaire de l’utilisation de l’hypnose en anesthésie. 

 

Nous, pratiquants non-universitaires de l’hypnose thérapeutique, notre spécificité est la pratique et son extraordinaire complexité. C’est elle que nous avons à transmettre. Les neurosciences prenant une place importante dans les recherches psychiques, il nous semble utile de tenir compte de ce qu’elles révèlent pour proposer des axes de recherche à venir qui soutiendront notre pratique. 

 

LA CONSCIENCE PHÉNOMÉNOLOGIQUE

 

Selon J. P. Changeux2 et S. Dehaene3, trois conditions se réunissent pour un traitement conscient d’une information : 

- un niveau de vigilance adéquat, 

- une activation ascendante des aires sensorielles primaires et secondaires et 

- une activation des cortex associatifs (grâce à des neurones aux longs axones qui créent une résonance entre assemblées neuronales distantes). 

 

Si le signal est trop faible, le traitement de l’information reste localisé dans un processus inconscient et se dissipe rapidement (état subliminal). 

 

Si l’activation est assez forte pour se répandre dans plusieurs régions sensorimotrices spécialisées, mais que l’attention n’est pas orientée vers ces stimuli, alors l’information demeure inaccessible à la conscience (état préconscient). Cette information deviendra consciente si elle subit une amplification descendante, suffisante, par captation de l’attention. Cette activation atteint plusieurs aires associatives richement interconnectées. L’information est alors disponible pour un temps beaucoup plus long. Elle mobilise plusieurs systèmes cérébraux spécialisés. 

 

L’attention est le processus discriminant. L’hypnose est induite par l’orientation de l’attention. Une attention orientée sur des phénomènes préconscients, voire subliminaux, leur permet d’accéder au statut d’informations auto amplifiées, donc potentiellement conscientes : « Portez votre attention sur comment votre circulation circule, sur comment votre respiration respire, sur ce que l’oreille droite perçoit et ce qu’elle éveille en vous comme souvenir ou comme image, sur ce que votre regard perçoit jusqu’à ce qu’il se fixe et vous permette de remarquer ce qu’habituellement la rétine vous cache…». Ceci aurait pour conséquence un élargissement de l’espace de travail neuronal conscient et une mobilisation, inhabituelle mais probablement dispendieuse, de ressources cérébrales. L’hypnose pourrait être le résultat d’un détournement des capacités d’attention. Une activation multifocale de la conscience pourrait conduire au phénomène appelé dissociation. 

 

La des-association serait un terme plus juste. La des-association traduit la perte du caractère unitaire, univoque, labile et exclusif du traitement conscient des informations. Plusieurs circuits habituellement liés se délieraient. Chacun pourrait s’installer dans une certaine autonomie de fonctionnement. L’automaticité hypnotique (lévitation, catalepsie, signaling…) pourrait traduire ce phénomène. Plusieurs scènes psychiques se maintiennent disponibles, de façon équivalente, à la focalisation attentionnelle. Une forme de ralentissement du déroulement du temps apparaît, jusqu’à devenir suffisamment « visqueux » pour figer une scène intérieure assez distante des informations sensorielles présentes. 

 

Peut-on évoquer l’ouverture d’espaces neuronaux autonomes pré-conscients ? Plus en avant, pouvons-nous imaginer l’ouverture d’espaces neuronaux subliminaux stables ? Où chaque boucle corticale resterait « active », ne nécessitant qu’un quantum restreint d’attention pour être un peu plus « éclairée » ? Il est alors possible, par exemple, de voir la rétine et ses vaisseaux, de suivre, amusé, le lent parcours d’une sensation douloureuse, d’observer un muscle lisse répondre à une commande mystérieuse. 

 

Une activation très intense de quelques processus préconscients produirait le même « détournement attentionnel » : « Soyez attentif à observer comme vous souffrez profondément ; soyez aussi attentif à observer cette douleur de votre dos, plus particulièrement cette zone la plus intensément douloureuse ». Une amnésie se produit, naturelle et facile, de toutes ces informations qui n’avaient pas suffisamment de valeur pour entrer dans un processus de mémorisation. 

 

Il advient une forme de vulnérabilité. Cette vulnérabilité doit être sécurisée. Elle est à manier avec prudence. L’hypnose thérapeutique a pour objet, d’abord, un état pathologique puis les ressources qui s’y associent plus ou moins librement. C’est la fonction de la suggestion d’augmenter les chances de voir apparaître les ressources efficaces, actives et productives de changements, de transformations. 

 

Selon Gerald Edelman4, la conscience primaire (conscience de notre corps et de notre environnement immédiat) fait appel à une mémoire à court terme qui rend possible le « présent remémoré ». Un système de « cartes neuronales », chacune responsable de nos différentes possibilités perceptuelles, qui sont issues d’un processus de construction sélectif appelé « Darwinisme neuronal ». La conscience primaire naîtrait de l’interaction de différentes assemblées neuronales codant pour différentes propriétés d’un objet. Interaction qui se ferait surtout par l’entremise de connexions réciproques formant des boucles qui peuvent unir des groupes de neurones parfois très éloignés dans le cerveau. La conscience primaire dépendrait à chaque instant de l’activité parallèle et récursive des boucles thalamo-corticales. 

 

La conscience d’ordre supérieur (conscience réflexive de soi) dépendrait elle aussi de ces « boucles réentrantes » entre des assemblées de neurones. Mais à plus grande échelle, en particulier entre les aires corticales associées au langage et celles associées aux concepts abstraits. L’explosion des capacités sémantiques qui s’ensuit permettrait alors l’émergence du concept de soi, et donc la considération de la conscience primaire à la lumière du passé et du futur. L’émergence d’une con - science réflexive. 

 

L’hypnose serait le résultat d’une orientation de l’attention vers les perceptions et l’état de fonctionnement psychique et physiologique, présent, ici et maintenant : « Portez votre attention sur votre respiration telle qu’elle respire, sur votre ventre tel qu’il digère le repas de ce midi… Sur le bruit de la ventilation… Sur la cible sur laquelle votre regard semble s’être posé… ». Il s’en suivrait : 

- une rupture du processus d’amplification sémantique par désengagement de certaines capacités conceptuelles ;

- un accès à un état de conscience primaire (un présent remémoré) avec la perte momentanée de la capacité d’être conscient de sa propre conscience ; 

- une réduction de l’image de soi ;

- un accès à un état susceptible de mieux tenir compte des valeurs physiologiques vitales ; 

- un état capable de créer de profonds rééquilibrages. Une prise d’indépendance à l’égard de contraintes psychiques aliénantes ? L’état de conscience primaire serait alors une traduction moderne du « magnétisme animal ». Comment en illustrer les bienfaits ? Rodolfo Llinas5 a observé des oscillations en phase qui parcourent le cortex de sa partie antérieure à sa partie postérieure, environ 40 fois par seconde. Il a mis en évidence un double système intégratif : 

- Le système de projections thalamo-corticales diffus qui oscille à 40 Hz, fournirait un « contexte » à la perception consciente. – Le système, qui relie les noyaux thalamiques spécifiques à ceux des aires corticales spécialisées correspondantes, contribuerait à la liaison des différents attributs d’un même objet constituant du contexte.

 

Les assemblées de neurones qui correspondent à un contenu conscient sont celles qui oscillent en phase non seulement entre elles pour lier ensemble les différentes caractéristiques d’un objet, mais qui oscillent en plus en phase avec le balayage oscillatoire non spécifique. Elles surviennent continuellement durant l’éveil et le rêve mais pas durant le sommeil profond. Durant l’éveil, les deux familles d’oscillateurs sont donc couplées, et les circuits spécifiques répondent aux signaux externes. Durant le rêve, ils sont couplés, mais les noyaux spécifiques ne répondent pratiquement pas aux signaux externes. Les contenus conscients proviennent des souvenirs emmagasinés, des apprentissages, des informations internes immédiates.

 

Durant le sommeil profond, les deux familles d’oscillateurs sont découplées et il n’y a pas de contenus conscients. L’hypnose serait un processus particulier avec: 

- Maintien de l’état psychique à traiter (une angoisse, une douleur…) dans le système des relations thalamo-corticales d’éveil: « Observez attentivement votre anxiété. Observez comment votre ventre réagit à cette anxiété, comment les muscles de l’avant-bras droit, dans leur partie externe, réagissent à cette anxiété…»; 

- Indifférence aux stimuli externes et inhibition motrice; 

- Activité psychique intense centrée sur les ressources internes ; sur des réseaux internes spécifiques centrés sur les mémoires, les apprentissages, l’imagination, en phases avec l’état douloureux. 

- Des-association des circuits spécifiques et aspécifiques ; rupture des liens entre les différents éléments constituant l’objet de l’attention ; 

- Activité intense maintenue jusqu’à la résolution, le réagencement des attributs de l’objet interne, la vérification et la consolidation des changements constatés.

- Recalage conscient avec le contexte de vie présent et réappropriation des moyens ordinaires d’intégration consciente des informations externes : la ré-association. 

- La sortie de l’hypnose. Ça expliquerait le « sommeil nerveux » (décrit par J. Braid) qui correspondrait notamment à l’activation inhibitrice des noyaux réticulaires du thalamus et à un ralentissement des mouvements d’échanges thalamo-corticaux, aboutissant au filtrage des apports sensoriels et à l’inhibition motrice. 

 

Le V.A.K.O.G. (attention portée sur les perceptions visuelles, auditives, kinesthésiques, olfactives et gustatives) serait une manière d’éteindre une à une les entrées sensorielles. Ce processus aurait pour propriété de lier et délier des représentations internes complexes. Notre pratique vise à rendre les nouveaux liens plus « écologiques ». Comment mettre en évidence ces variations de fréquence et de couplage des ondes thalamocorticales ?

 

Dr LUC FARCY Psychiatre voyageur. Après la Bretagne, les Antilles et la Touraine : le CHU de Nîmes (mitemps dans un service de soins aux adolescents et mi-temps en cancérologie).

 

Dr ADRIEN LORETTE Psychiatre au CHRU de Tours (37). Membre de l'Institut Milton Erickson de Touraine.



LANCER LES NÉCESSAIRES DÉBATS - Dr Thierry Servillat
Ça y est, les temps ont changé : l’hypnose – au moins la chirurgicale – entre dans tous les hôpitaux ou presque, et de nombreuses cliniques s’y mettent. Et en « ville », comme on dit, de plus en plus de thérapeutes brefs utilisent l’hypnose, consciemment ou non. Une sorte de consensus s’installe, renforcé par l’avis plutôt favorable récemment émis par l’Académie de Médecine. 


TERRA HYPNOSIA - Dr Dominique MEGGLÉ Conférence donnée au VIII° Forum de la CFHTB à Strasbourg le 18 mai 2013
LES VIEILLES CARTES SONT PRÉCIEUSES
 
Dans un style de plus en plus affirmé, Dominique Megglé proclame ses convictions sur ce qui lui paraît essentiel de l’hypnose thérapeutique. En reparcourant le travail d’Erickson qu’il vit lui-même dans son propre voyage vital. Avec lui, HYPNOSE & Thérapies brèves est heureuse de lancer le débat! 

LA BELLE ET LA BÊTE - Marilia BAKER
S’IMPLIQUER À DEUX. Conte d’origine française, La Belle et la Bête est très connu outre Atlantique. Marilia Baker, thérapeute brésilienne vivant en Arizona, nous montre comment il peut être richement utilisé en thérapie de couple.


ÊTRE THÉRAPEUTE - Jean-Philippe VERON
UN FILM D’ERREURS EN 3D Ostéopathe devenu psychologue, Jean-Philippe Veron aborde sous trois angles comment l’erreur fait partie intégrante de la vie de thérapeute. Sur le mode de l’humour, une question éthique centrale est posée. Un texte publié avec l’accord de l’association Paradoxes.


LES COULEURS DU PLAISIR - Joëlle MIGNOT
PORTES VERS LE SUBLIME Fine connaisseuse de l’utilisation de l’hypnose en sexologie, Joëlle Mignot développe les connexions intimes entre couleurs et accès à l’un des grands plaisirs de la vie. Pour une hypnose subtile qui nous redit que le sexe est une relation créative.



Petites poucettes - Dr Thierry SERVILLAT
Printemps 2013, France, un jeune philosophe de 83 ans est en tête des ventes avec un essai1 écrit pour « ce nouvel écolier, cette jeune étudiante » d’aujourd’hui, qui – c’est « une des plus fortes ruptures de l’histoire depuis le néolithique »- habitent la ville tout en s’efforçant de ne pas polluer, vivent dans un « monde plein » de presque 7 milliards d’individus, et qui peuvent en moyenne espérer atteindre l’âge de 80 ans. A peu près l’âge de l’auteur justement. 


« Encore heureux ! » Dr Stefano COLOMBO
Frédéric ne possède ni voiture, ni moto. Encore heureux d’avoir un vélo, se console t-il en l’enfourchant pour se diriger vers la forêt toute proche. Il a une profonde envie de se remplir les poumons des parfums des arbres et du sous-bois. 


Avancées et limites - Antoine Bioy
Nous commençons cette rubrique par deux jolies publications françaises. Citons d’abord celle de Patrick Catoire et al. qui étudient le transfert d’embryons avec une préparation incluant l’hypnose par rapport à une préparation standard (médicament et relaxation). Ils montrent l’absence de différence tant sur le niveau d’anxiété, que sur le ratio de naissance. 



Hypnose musicale DE BACH À DEBUSSY - Dr Stephane OTTIN PECCHIO
En présentant aux congrès de Brème et de Strasbourg les processus hypnotiques que l’on trouve dans les oeuvres de Bach et Debussy, j’ai associé deux compositeurs qui, à première vue, s’opposent. 
La musique de J-S. Bach, comme toute la musique baroque, exerce un effet apaisant. 


Le Certificat d'Hypnose Clinique - Dr Patrick BELLET
UN ENJEU PROFESSIONNEL POUR LA CFHTB !

Nous sommes à un moment clé de notre développement. Le 8ème Forum à Strasbourg a marqué une évolution européenne de notre travail, 2015 à Paris verra son exposition internationale. 
En 1996, la CFHTB s’est créée à partir d’une prise en considération de notre identité et de sa spécificité. Simple, simplissime même ! 
Les différents « acteurs » francophones étaient dispersés, sans contacts les uns avec les autres, aucune structure ne les réunissait et pourtant les potentialités existaient. Isolées. 



Rédigé le 11/11/2016 à 23:24 | Lu 1958 fois | 0 commentaire(s) modifié le 16/07/2018




Ostéopathe, Hypnothérapeute et praticienne EMDR - IMO à Paris 12 et 16 ainsi qu'à Vincennes,… En savoir plus sur cet auteur
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