On doit à Henri Bergson une des expériences les plus troublantes qui aient été tentées à la fin du siècle sur l'hyperesthésie des somnambules.
Bergson, alors professeur à Clermont-Ferrand, est invité à participer à une séance de suggestion hypnotique. L’opérateur a pour sujets un groupe de jeunes de quinze à dix-sept ans. Ces derniers sont allongés sur un canapé situé à plusieurs mètres. Le magnétiseur se tient debout devant eux et ouvre un livre dont ils ne peuvent voir que la couverture.
Or l’un des sujets parvient à lire des lignes entières du texte. Faut-il incriminer la transmission de pensée ? L’expérience tentée par Bergson a pour but de répondre à cette question. La séance se déroule au domicile du philosophe. Un des sujets est endormi, placé en face de lui à quatre mètres. Bergson ouvre un livre au hasard et le tient verticalement à dix centimètres environ de ses yeux, mais légèrement en dessous, de manière à pouvoir en même temps fixer par le regard le sujet endormi. Or, surprise, ce dernier parvient effectivement à lire les numéros des pages et les titres des chapitres, et cela à plusieurs reprises :
Si je demande à l’un quelconque de ces quatre sujets comment il s’y prend pour deviner le nombre et le mot, il répond invariablement : ”Je le vois”. “Où le voyez-vous ?” “Là.” Et, passant un doigt sous le titre, de manière à pouvoir toucher la page que je regarde, il le pose avec une étonnante précision sur le numéro ou le titre qu’il s’agissait de deviner (...). Bref, à l’en croire, c’est devant ses yeux que le livre est ouvert, et non devant les miens ; il s’imagine naturellement lire.
Mais il subsiste une bizarrerie dans les résultats “Tout se passait, constate Bergson, comme si le sujet endormi lisait pour de bon, mais lisait dans un miroir, où il eût aperçu les images symétriques des objets réels.” Bergson forme alors l’hypothèse suivante : le sujet lit les images inversées du texte sur la cornée de l’expérimentateur. Contre-expérience : le philosophe tient le livre devant lui mais ferme les yeux ; et le sujet ne parvient plus à lire. C’est donc l’hypothèse la plus économique. Mais cette hypothèse implique une exacerbation considérable de la vue ; un calcul effectué donne des lettres dont la hauteur est inférieure à 0,1 millimètre. Le sujet hypnotisé était donc capable, a minima, de lire à quatre mètres de distance, des lettres de 0,1 millimètre qui se reflétaient sur la cornée de l’expérimentateur.
Mais le tour de force ne s’arrête pas là : le mécanisme réel de cette perception est gommé à la conscience du sujet, et ce qui y émerge n’est qu’une visualisation simplifiée d’un processus autrement complexe. Bergson conclut que l’on ne peut mettre en doute la bonne foi des sujets : “le sujet hypnotisé n’est donc pas précisément un simulateur, mais tout se passe comme si c’était à un simulateur qu’on avait affaire.” J’ai tiré ce passage du tome I de mon ouvrage Somnambulisme et médiumnité4, sans rien en changer, dans le but de poser aux lecteurs de Voir une question très simple.
Bergson, alors professeur à Clermont-Ferrand, est invité à participer à une séance de suggestion hypnotique. L’opérateur a pour sujets un groupe de jeunes de quinze à dix-sept ans. Ces derniers sont allongés sur un canapé situé à plusieurs mètres. Le magnétiseur se tient debout devant eux et ouvre un livre dont ils ne peuvent voir que la couverture.
Or l’un des sujets parvient à lire des lignes entières du texte. Faut-il incriminer la transmission de pensée ? L’expérience tentée par Bergson a pour but de répondre à cette question. La séance se déroule au domicile du philosophe. Un des sujets est endormi, placé en face de lui à quatre mètres. Bergson ouvre un livre au hasard et le tient verticalement à dix centimètres environ de ses yeux, mais légèrement en dessous, de manière à pouvoir en même temps fixer par le regard le sujet endormi. Or, surprise, ce dernier parvient effectivement à lire les numéros des pages et les titres des chapitres, et cela à plusieurs reprises :
Si je demande à l’un quelconque de ces quatre sujets comment il s’y prend pour deviner le nombre et le mot, il répond invariablement : ”Je le vois”. “Où le voyez-vous ?” “Là.” Et, passant un doigt sous le titre, de manière à pouvoir toucher la page que je regarde, il le pose avec une étonnante précision sur le numéro ou le titre qu’il s’agissait de deviner (...). Bref, à l’en croire, c’est devant ses yeux que le livre est ouvert, et non devant les miens ; il s’imagine naturellement lire.
Mais il subsiste une bizarrerie dans les résultats “Tout se passait, constate Bergson, comme si le sujet endormi lisait pour de bon, mais lisait dans un miroir, où il eût aperçu les images symétriques des objets réels.” Bergson forme alors l’hypothèse suivante : le sujet lit les images inversées du texte sur la cornée de l’expérimentateur. Contre-expérience : le philosophe tient le livre devant lui mais ferme les yeux ; et le sujet ne parvient plus à lire. C’est donc l’hypothèse la plus économique. Mais cette hypothèse implique une exacerbation considérable de la vue ; un calcul effectué donne des lettres dont la hauteur est inférieure à 0,1 millimètre. Le sujet hypnotisé était donc capable, a minima, de lire à quatre mètres de distance, des lettres de 0,1 millimètre qui se reflétaient sur la cornée de l’expérimentateur.
Mais le tour de force ne s’arrête pas là : le mécanisme réel de cette perception est gommé à la conscience du sujet, et ce qui y émerge n’est qu’une visualisation simplifiée d’un processus autrement complexe. Bergson conclut que l’on ne peut mettre en doute la bonne foi des sujets : “le sujet hypnotisé n’est donc pas précisément un simulateur, mais tout se passe comme si c’était à un simulateur qu’on avait affaire.” J’ai tiré ce passage du tome I de mon ouvrage Somnambulisme et médiumnité4, sans rien en changer, dans le but de poser aux lecteurs de Voir une question très simple.
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Au-delà de la technique… L’intuition ? Par Patrick Bellet.
“L’intuition peut-elle s’apprendre ?“ Par Aurélie Mainguet.
“Qui influence qui ? La relation thérapeutique revisitée. Par Irène Bouaziz.
“Entre observation et perception“. Par Sylvie Le Pelletier-Beaufond.
“Justin et l’engin magique“. Par Marie-Odile Soucaze des Soucaze.
“Hypnose du présent, hypnose de l’acceptation“. Par Alain Vallée.
“Hyperesthésie somnambulique, à propos d’un article de Bergson“. Par Bertrand Méheust.
“De l’intuition à la lucidité“. Par Djohar Si Ahmed.
“Le sens interne“. Par Bertrand Méheust. “Consultation du lundi 1er février 2010“. Par Claude Virot.
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