Hommage à D. Michaux. Un scientifique ouvert et passionné par l’hypnose.


Drs BRIGITTE LUTZ et FRANÇOIS THIOLY.



Nous avons côtoyé Didier Michaux depuis nos tout premiers contacts avec l’hypnose, il y a de cela plus de trente ans : il était alors l’assistant de Léon Chertok, le médecin qui avait réintroduit l’hypnose en France après l’oubli sinon même la diabolisation pendant plus d’un demi-siècle des travaux de Janet ou de Richet. L’hypnose était alors complètement marginale en France mais le Docteur Chertok et Didier Michaux, qui l’avait très vite rejoint, étaient pourtant parvenus à monter quelques études cliniques dans la suite des travaux sur la psychosomatique, notamment avec le Docteur Frédérick Leboyer autour des premiers travaux sur l’accouchement sans douleur, ou encore dans le service des grands brûlés d’un hôpital parisien. Parallèlement au laboratoire où il faisait ses travaux de recherche, le Docteur Chertok avait monté une formation à l’hypnose au sein de l’Elan retrouvé, Institut Paul Sivadon, à Paris. Quelques médecins et psychologues y apprenaient chaque année le maniement de l’hypnose avec, ce qui était unique et formidable, la possibilité de s’entraîner à pratiquer l’hypnose avec des étudiants recrutés pour tenir le rôle de « patients ».

Didier assurait la majeure partie de ces cours, secondé par Marianne Gluge et Yves Halfon. A l’issue de cette formation, que nous avons suivie l’un et l’autre à quelque temps d’écart, nous avons pu participer à la consultation du Docteur Chertok et ensuite intégrer la consultation d’hypnothérapie de l’Elan retrouvé. Ces années ont été passionnantes car nous nous retrouvions chaque mercredi avec Didier et d’autres praticiens pour une réunion clinique où nous pouvions évoquer les problématiques techniques et théoriques et échanger sur nos patients respectifs. Tout au long de ces échanges, nous avons pu apprécier les qualités humaines de Didier, son sens clinique, sa modestie, son humour, son rafraîchissant bon sens. Nous avons eu beaucoup de chance de travailler dans ces conditions. Parce que c’est aussi sa personnalité, son refus des luttes de pouvoir, sa capacité à désamorcer les conflits, sa volonté de prendre en compte les différences comme des richesses qui ont fait l’IFH. Et, bien sûr, son admirable connaissance d’un sujet alors encore très méconnu : il avait travaillé aux Etats-Unis, à Boston et Philadelphie, dès 1972 auprès de grands noms de l’hypnose expérimentale : Theodore Barber, Ernest Hilgard...

Sa curiosité d’esprit le conduisit même en Afrique pour y étudier la possible convergence entre l’hypnose et certaines pratiques traditionnelles. Didier était un scientifique ouvert, passionné par l’hypnose depuis toujours, ce qui l’avait conduit à soutenir une thèse de doctorat en psychologie (1) à une époque (1982) où c’était une gageure de parler d’un tel sujet. On n’imagine pas aujourd’hui, où l’hypnose est devenue un outil incontournable dans le soin, à quel point on vilipendait ceux qui osaient ne serait-ce que prononcer ce mot. L’anathème jeté par Lacan en 1953 avait marqué les esprits alors tout empreints de l’idée que la psychanalyse était née de l’abandon de l’hypnose et que s’y référer ne pouvait être qu’un intolérable retour à l’obscurantisme. Didier avait retenu l’avertissement de Léon Chertok, qui mettait en garde contre le risque qu’une fois de plus, comme à la fin des deux siècles précédents, le discrédit ne vienne frapper des pratiques qui, après avoir été portées aux nues, se virent désavouées et rejetées comme douteuses, obscurantistes et dangereuses. Sa formation scientifique le prédisposait à privilégier une approche rigoureuse propre à prévenir un tel risque. Il garda ce cap et le titre de sa thèse, « Aspects expérimentaux et cliniques de l’hypnose », est resté une bonne définition de son axe de travail : expérimenter, mais aussi défendre et développer la clinique de l’hypnose.

Lorsqu’il fonda l’Institut Français d’Hypnose en 1991, il nous proposa d’y contribuer en tant que formateurs ; honorés par la confiance qu’il nous témoignait, nous l’avons aussitôt suivi dans cette belle aventure. Et cette confiance n’a jamais été prise en défaut. Didier était un scientifique expérimentaliste alors que nous étions tous deux cliniciens, ayant de surcroît des orientations très différentes. Mais au lieu de chercher à nous imposer une conception uniformisée de l’hypnose, il privilégia au contraire dès l’origine de l’IFH la diversité des approches, pour autant qu’elles respectent ses exigences éthiques et s’inscrivent dans une conception rationnelle de l’hypnose. Dès le début, la formation a ainsi intégré l’hypnothérapie aux principaux courants thérapeutiques : l’approche TCC, ericksonienne, psycho-corporelle ont rejoint l’hypnoanalyse et les techniques plus classiques et ont grandement permis d’enrichir notre réflexion.

Beaucoup de chemin avait été parcouru depuis les années 1950 et le travail de pionnier de Léon Chertok, mais restait le fait que l’hypnose du début des années 1990 n’avait toujours pas acquis la reconnaissance ni la respectabilité qu’elle a gagnées depuis, en grande partie grâce à lui. Son statut était encore menacé par deux périls opposés : d’un côté, l’interdit que Lacan avait proféré à son encontre – mais qui n’empêcha pas nombre de psychanalystes de venir se former discrètement à l’IFH –, de l’autre son assimilation à l’hypnose de spectacle. Aujourd’hui encore celle-ci reste un objet de fascination et source de malentendus très préjudiciables à une bonne compréhension de l’usage thérapeutique de l’hypnose, tout particulièrement des attentes irréalistes de patients en quête d’une sorte de « chirurgie mentale », de transformations magiques s’opérant à l’instar de ce qu’ils voyaient au music-hall, c’est-à-dire sans aucune participation active de leur part. Didier a su habilement naviguer entre ces deux écueils et insuffler à l’institut qu’il avait créé un subtil mélange de rigueur et de diversité, qui continue d’ailleurs à ce jour de constituer la caractéristique distinctive de l’IFH. Parallèlement à l’IFH, nous avons collaboré avec lui au sein du GEAMH, le Groupement d’étude pour les applications médicales de l’hypnose, fondé par Léon Chertok et Jean de Verbizier, hébergé par l’Elan retrouvé tout comme l’IFH d’alors.

C’est dans le cadre du GEAMH que Didier organisa avec succès plusieurs colloques auxquels participèrent de grandes figures internationales de la discipline. Les actes ont été publiés par Imago : « La transe et l’hypnose », « Hypnose langage et communication », « Douleur et hypnose », « Hypnose et dissociation psychique » (2). Car comme l’avaient montré Léon Chertok et Isabelle Stengers dans un ouvrage très éclairant (Le coeur et la raison, l’hypnose en question, de Lavoisier à Lacan) (3), l’hypnose demeure aujourd’hui encore un objet aux limites conceptuelles floues. De la neuropsychologie soucieuse de mettre en évidence les corrélats anatomo- fonctionnels de la transe hypnotique (Faymonville) aux théories de la communication ou la philosophie constructiviste (Melchior), son acception oscille au gré de courants de pensée très divers. Didier en avait particulièrement conscience, lui qui avait édité le texte d’un des grands précurseurs de ce qu’aujourd’hui nous nommons « hypnose », les Mémoires pour servir à l’histoire et à l’établissement du magnétisme animal d’A.M.J. de Chastenet de Puységur (4).

Les congrès du GEAMH se devaient donc d’évoquer l’hypnose selon ses multiples facettes avec cette exigence de rigueur qui en préserve la respectabilité pour éviter le risque d’une troisième répudiation. Mais chez Didier, la rigueur ne fut jamais synonyme de rigidité. C’est ainsi qu’il accepta que le GEAMH organise un colloque au thème pour lui quelque peu sulfureux, « Hypnose et pensée magique », colloque qui fut d’ailleurs un grand succès auquel contribuèrent des sommités venant de multiples horizons. Didier y fournit lui-même une contribution, « L’hypnose entre approche rationnelle et irrationnelle de la transe » (4), où il retraçait l’évolution historique de cet étrange objet. Il y rappelait que l’hypnose avait donné lieu à « de nombreuses recherches d’une grande qualité méthodologique, ce qui aurait dû logiquement amener à sa requalification au sein du domaine scientifique ». Cette citation situe clairement sa préférence. On peut la rapprocher de la profession de foi d’un illustre prédécesseur, Wilhelm Wundt qui, devant l’étrangeté dérangeante des expériences de Richet, exprimait une préférence similaire en 1893 : « Les savants (...) ont de bonnes raisons de ne pas s’aventurer sur le terrain de la phénoménologie paranormale (…) Supposons que toutes les expériences décrites dans cet ouvrage (Richet) aient eu un résultat positif, (…) que toutes ces absurdités et bien d’autres soient exactes, peut-on admettre qu’un naturaliste et un psychologue, exempt de préjugé et libre de son choix, ne donne pas la préférence à l’univers grandiose dont l’ordonnancement repose sur des lois immuables, plutôt qu’à ce petit monde de médiums hystériques ? » (5). Mais Didier n’imposa jamais cette préférence au détriment d’approches plus en lien avec la pratique clinique, et donc inévitablement plus intuitives : la richesse des possibilités thérapeutiques de l’hypnose était pour lui l’axe à défendre. Sa sensibilité aux apports des sciences humaines attestait de son ouverture d’esprit, tout comme sa finesse clinique que nous avons tant appréciée tout au long des années où nous nous retrouvions pour nos réunions hebdomadaires du service d’hypnothérapie de l’Elan.

C’est dans cet esprit d’ouverture qu’il a fondé l’IFH, avec le souci de proposer aux professionnels de santé une formation aussi rigoureuse qu’éclectique. Tous les champs de la pratique de l’hypnose y ont trouvé leur place. Il s’y est entouré d’enseignants venant d’horizons divers, chercheurs et praticiens, chacun avec ses propres références théoriques et ses axes de recherche. Mais tous ouverts à la nécessité d’accueillir et de reconnaître la pertinence et la légitimité des autres. C’est ainsi que dans le champ de la psychothérapie, il a toujours refusé que des modules de formation soient individualisés autour d’une seule pratique. Il tenait à ce que les étudiants reçoivent une formation plurielle, estimant que chacun trouverait matière à enrichir sa pratique et sa réflexion en se confrontant à des approches différentes et complémentaires. Et si l’IFH non seulement lui survit, mais continue à se développer aujourd’hui, c’est grâce à la manière dont il a su tenir ce cap tout au long de tant d’années, et discerner en Ronan Le Saout le successeur qui aura su se montrer à la hauteur de cette exigence pour poursuivre et développer son oeuvre avec un dynamisme fédérateur.


BRIGITTE LUTZ

Psychiatre, psychanalyste. Etudes de médecine à Paris XII, internat de psychiatrie à Paris. Pratique libérale à Paris. Formation aux thérapies psychocorporelles entre 1985 et 1988. Formation à l’hypnose entre 1986 et 1988 auprès de Léon Chertok et Didier Michaux. Praticien attaché à l’Institut Paul Sivadon, service d’Hypnothérapie, entre 1993 et 2003. Praticien attaché au centre de la douleur de l’hôpital Saint-Antoine à Paris entre 2007 et 2020. Responsable médicale de l’Institut Français d’Hypnose.

FRANÇOIS THIOLY
Psychiatre originaire de Bâle (Suisse). Etudes de médecine à Paris, interne des hôpitaux psychiatriques de la Seine. CES de psychiatrie à la Pitié-Salpêtrière sous l’égide du professeur Daniel Widlöcher. Formation à l’hypnose entre 1989 et 1991 auprès de Léon Chertok et Didier Michaux, Patrick Bellet et Jean Godin. Formateur à l’IFH depuis 1991. Pratique libérale et institutionnelle à Paris jusqu’en 2014 puis en Suisse depuis 2015. Membre de l’AFTCC et de la SMSH.

Histoire de l'hypnose. Avec Didier MICHAUX


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N°67 : Novembre / Décembre 2022 / Janvier 2023

- Dans un très beau texte, drôle et subtil, Virginie Lagrée rend hommage à la créativité et à l’éthique des familles d’accueil thérapeutique adultes. Elle nous montre, à partir de nombreux exemples, toutes les stratégies développées par ces familles, en lien avec une fine observation des relations tissées au fil de la vie quotidienne. Connaissant bien la pratique de l’accueil familial, devant la qualité de la prise en charge de tous ces patients, pour la plupart psychotiques, on peut s’étonner du peu de services de cette nature dans la psychiatrie publique. Un joli moment d’émotion et de réflexion sur la capacité de chacun à faire confiance à son inconscient.

- Julien Betbèze : Edito : Didier Michaux, chercheur et passeur de l’hypnose

- Quel plaisir d’accueillir dans ce n°67 la réflexion de Dominique Megglé sur la manière de comprendre la psychopathologie à partir de l’hypnose. Il décrit dans les peurs névrotiques le rôle majeur de la peur de l’oubli, de la peur de la nouveauté, et le rôle de l’hypnose profonde pour les traverser. Il souligne l’importance de la ratification et de la qualité relationnelle et développe une hypnopathologie passionnante sur la compréhension de ces différents troubles psychiatriques.

- Michel Ruel nous fait part de son expérience sur le travail avec les endeuillés. Il souligne l’inventivité des hypnothérapeutes français pour retrouver un lien avec les personnes disparues, lien indispensable pour faire un travail de deuil et favoriser un nouveau départ.

- Bogdan Pavlovici nous fait découvrir une approche novatrice en pédopsychiatrie pour rentrer en contact et faire lien avec tous ces enfants réticents qui peinent à s’investir dans une dynamique de soins. A travers l’histoire de Nicolas, 9 ans, il décrit le rôle de la transe hypnotique dans l’écriture des lettres envoyées par le thérapeute, et leur effet thérapeutique en retour chez l’enfant et sa famille.

En couverture : Lisa Bellavoine : Créer le regard

Espace Douleur douceur
. Gérard Ostermann : Edito : Les arbres de l’infinie douleur
. Dans « Douleur d’amputation », Véronique Betbèze détaille les deux séances d’hypnose qui lui ont permis de remettre en mouvement un patient amputé.
. Magali Farrugia nous explique comment l’hypnose peut compléter l’accompagnement d’une patiente en soins palliatifs et détaille les séances avec une patiente atteinte d’un cancer de l’estomac. Un chemin vers les étoiles.
- David Ogez et Maryse Aubin nous invitent à pratiquer l’autohypnose. A travers le récit de Maryse, patiente en clinique de gestion de la douleur au Québec, nous apprenons comment un programme d’entraînement à l’autohypnose qui vise à réduire les douleurs chroniques des patients et réduire la prise en charge de médication opioïde est mis en place.
. Un hommage à Didier Michaud, chercheur et passeur de l’hypnose qui vient de nous quitter. Isabelle Ignace, Yves Halfon, Jean-Marc Benhaiem, Brigitte Lutz, François Thioly, Gaston Brosseau, Sophie Cohen.

Rubriques :
. Quiproquo : Stefano Colombo et Mohand Chérif Si Ahmed : Le deuil

Culture du monde :
. Nicolas D’Inca : Se libérer du paradoxe – Du zen à l’école de Palo Alto
. Bonjour et après : Sophie Cohen : Le poids du couple… gagner en légèreté

Les grands entretiens : Rubin Battino interviewé par Gérard Fitoussi

Crédit Photos © Lise Bellavoine



Rédigé le 18/08/2023 à 22:05 | Lu 6923 fois | 0 commentaire(s) modifié le 18/08/2023




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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