Comment imaginer rendre hommage à Alain Vallée, qui nous a quittés dernièrement, sans faire résonner une nouvelle fois sa parole, sa pensée, ses idées... Il nous est donc apparu essentiel de publier dans les pages d’« Hypnose & Thérapies brèves » un article consacré à la conversation d’engagement dans un cas de dépression.
QUELQUES RAPPELS SUR LES ÉLÉMENTS PSYCHOGÉNÉTIQUES DE LA DÉPRESSION
Dans la dépression, le patient se sent victime des autres, du monde, ou de ses illusions ; tout ce qu’il essaie de faire pour remettre de l’ordre dans sa relation aux autres, au monde, ou à lui-même, est vain et ne conduit qu’au désespoir. Il essaie de corriger par des tentatives de solution : éviter de penser au futur et à l’effondrement, contrôler encore plus lui-même, le monde et les aut res. L’échec va le mener au désespoir. A la fin, il ne lui reste plus qu’à « laisser tomber ».
UN PARADOXE
Depuis que je suis amené à suivre des patients dépressifs ou « burnout », je me suis senti bloqué par un paradoxe. La dépression est-elle une réaction passive ou bien un comportement actif ? S’agit-il de bloquer un ensemble de conduites automatiques pathologiques ou bien s’agit-il de mettre fin aux conséquences dramatiques d’un choix délétère ?
Pour Giorgio Nardone, la réaction de défense principale de la dépression est le « give up » que l’on traduit généralement par « laisser tomber ». Toutefois cette traduction ne met pas suffisamment en évidence ce côté actif du « give up » (différent du « give in » passif). L’impuissance et le désespoir amènent les dépressifs à avoir une attitude constante : ils laissent tomber (« give up »), ce qui les amène à jouer le rôle de la victime et, conséquemment, à prendre l’entourage en otage. Il apparaît donc justifié d’entraîner cette personne à abandonner le fait de jouer la victime et à casser le cercle vicieux de prise d’otage de l’entourage. Avec « up » il s’agit d’abandonner, de laisser tomber, de rendre, de sacrifier quelque chose : c’est une action. Ainsi, si le patient laisse tomber la lutte, c’est un choix actif, beaucoup plus délibéré qu’il n’y paraît, un moyen de défense actif. Pourtant nos patients dépressifs donnent l’impression que tout leur est tombé sur le dos, tout a totalement dépassé leurs capacités, si bien que le comportement dépressif leur apparaît comme une pure réaction sur laquelle ils n’ont aucune prise.
COMMENT LES AMENER À PENSER QU’ILS N’ONT PAS CAPITULÉ MAIS QUE, AU CONTRAIRE, ILS ONT SUSPENDU LE COMBAT D’UNE MANIÈRE DÉLIBÉRÉE ?
Vous imaginez bien que si votre patient dépressif prend en compte l’aspect actif de son système de défense, c’est toute sa représentation de lui-même qui va basculer du mode passif au mode actif. Sa propension à coopérer activement dans le soin augmentera d’une façon très importante. Peut-être même que, au lieu de se contenter de céder à la pression des autres pour faire telle ou telle activité, au lieu d’appeler à son aide : « il faut que... », il lui sera plus facile de repérer des moments à l’occasion desquels il a pu dire : « je fais cela ou j’ai fait cela ». Dans ce renversement de sa posture, tous les moyens de défense utilisés apparaîtront actifs. C’est ainsi que les plaintes, les ruminations, les comparaisons, les efforts, les évitements lui apparaîtront comme des stratégies délibérées de protection, vis-à-vis desquelles il peut envisager un espace de liberté suffisant pour pouvoir les modifier ou même les arrêter. En effet, vous savez tous que se plaindre, ruminer, se comparer aux autres, faire des efforts ou bien évoquer les « il faut que », éviter toutes sortes de situations, sont des tentatives de solutions inefficaces qui ne servent qu’à entretenir le problème. Parmi celles-ci, certaines sont devenues automatiques, que ce soient les ruminations, les constructions de scenarii négatifs, la perte des intérêts, l’incapacité d’anticiper. Elles sont tellement devenues automatiques qu’elles sont devenues des symptômes caractéristiques de l’état de maladie.
Lorsque vous aurez montré à votre patient combien une seule de ses stratégies est active et délibérée, il sera beaucoup plus enclin à reconsidérer l’ensemble de ses moyens de défense et, petit à petit, à prendre en compte combien chacun de ces comportements, même s’il est devenu automatique avec le temps, a été au début un comportement décidé ou une action délibérée. Alors, me direz-vous, comment faites-vous ?
L’HYPNOSE
Déjà, vous savez tous amener ce processus. Par exemple, imaginons que vous installez pour lui un bon souvenir. Cette expérience engendre, maintenant, un état de bien-être calme qui fait que, juste à ce moment-là, ni avant ni après, le patient suspend ses tentatives de solutions inefficaces vis-à-vis de lui-même et également vis-à-vis de son interlocuteur, lequel renonce lui-même à son envie de donner des bons conseils ou des exhortations.
Le risque principal a lieu juste après la transe, lorsque votre patient retrouve avec vous son monde ordinaire et qu’il est fréquemment amené à vous dire : « Docteur, c’était agréable votre relaxation, mais après ? » C’est justement à ce point précis que, quelquefois, vous ne savez pas trop quoi répondre et que vous désespérez vous-même, votre proposition d’une expérience confortable d’hypnose vous apparaissant alors comme une tentative de solution insuffisante et inefficace contre le mur trop haut de la dépression.
C’est à ce moment-là qu’il est important, pour continuer le processus thérapeutique, d’initier une conversation d’engagement pour lui faire percevoir que ses modalités habituelles de fonctionnement sont beaucoup plus actives et délibérées qu’il ne le croit.
VIGNETTE CLINIQUE : JUSTE APRÈS LE BON SOUVENIR
-Thérapeute : « Comment vous sentezvous, maintenant ?
- Patient : Bien.
- Th. : Pouvez-vous, avec votre main, me montrer le centre de ce “se sentir bien” ?
- P. : C’est là. Il pose alors sa main sur le haut du thorax.
- Th. : Que diriez-vous : plus léger, soulagé, quoi d’autre ?
- P. : Soulagé.
- Th. : OK. Maintenant, comment voyezvous la suite ? Est-ce que, à votre avis, vous allez sortir guéri, ou bien allez-vous recommencer à ruminer, à broyer du noir, ou bien tout ce que vous êtes amené à faire d’habitude ?
- P. : Ouais, ça va recommencer.
- Th. : Est-ce que vous pouvez me dire quand ça va recommencer ? Est-ce que ce sera parce que vous allez retrouver votre oppression dans la respiration, est-ce que ce sera parce que vous allez recommencer à imaginer le mur noir qui est devant vous, est-ce que ça va être parce que vous allez voir devant vous la liste de tous les “il faut que” qui vous attendent, ou bien n’importe quoi d’autre ?
- P. : Oui, c’est un peu tout cela.
- Th. : Si je comprends bien, vous allez vous dire : c’est plus fort que moi, je ne peux pas affronter cela et je préfère laisser tomber.
- P. : Exactement !
- Th. : Donc, si je comprends bien, en sortant d’ici, ou bien même avant, vous savez que vous allez décider de laisser tomber dans le but de vous protéger de ce que vous envisagez comme pire ?
- P. (hésitation...) : Oui.
- Th. : Dites-moi, imaginez que vous avez une conversation avec une personne de votre connaissance qui vit le même enfer que vous. Imaginez que cette personne vous dise qu’elle est allée voir un thérapeute, qu’elle s’est sentie mieux et que, ensuite, plutôt que d’en profiter pour augmenter ses efforts, elle a préféré laisser tomber tout de suite plutôt que de continuer à faire des efforts comme d’habitude. Qu’est-ce que vous penseriez à propos de cette personne ?…
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QUELQUES RAPPELS SUR LES ÉLÉMENTS PSYCHOGÉNÉTIQUES DE LA DÉPRESSION
Dans la dépression, le patient se sent victime des autres, du monde, ou de ses illusions ; tout ce qu’il essaie de faire pour remettre de l’ordre dans sa relation aux autres, au monde, ou à lui-même, est vain et ne conduit qu’au désespoir. Il essaie de corriger par des tentatives de solution : éviter de penser au futur et à l’effondrement, contrôler encore plus lui-même, le monde et les aut res. L’échec va le mener au désespoir. A la fin, il ne lui reste plus qu’à « laisser tomber ».
UN PARADOXE
Depuis que je suis amené à suivre des patients dépressifs ou « burnout », je me suis senti bloqué par un paradoxe. La dépression est-elle une réaction passive ou bien un comportement actif ? S’agit-il de bloquer un ensemble de conduites automatiques pathologiques ou bien s’agit-il de mettre fin aux conséquences dramatiques d’un choix délétère ?
Pour Giorgio Nardone, la réaction de défense principale de la dépression est le « give up » que l’on traduit généralement par « laisser tomber ». Toutefois cette traduction ne met pas suffisamment en évidence ce côté actif du « give up » (différent du « give in » passif). L’impuissance et le désespoir amènent les dépressifs à avoir une attitude constante : ils laissent tomber (« give up »), ce qui les amène à jouer le rôle de la victime et, conséquemment, à prendre l’entourage en otage. Il apparaît donc justifié d’entraîner cette personne à abandonner le fait de jouer la victime et à casser le cercle vicieux de prise d’otage de l’entourage. Avec « up » il s’agit d’abandonner, de laisser tomber, de rendre, de sacrifier quelque chose : c’est une action. Ainsi, si le patient laisse tomber la lutte, c’est un choix actif, beaucoup plus délibéré qu’il n’y paraît, un moyen de défense actif. Pourtant nos patients dépressifs donnent l’impression que tout leur est tombé sur le dos, tout a totalement dépassé leurs capacités, si bien que le comportement dépressif leur apparaît comme une pure réaction sur laquelle ils n’ont aucune prise.
COMMENT LES AMENER À PENSER QU’ILS N’ONT PAS CAPITULÉ MAIS QUE, AU CONTRAIRE, ILS ONT SUSPENDU LE COMBAT D’UNE MANIÈRE DÉLIBÉRÉE ?
Vous imaginez bien que si votre patient dépressif prend en compte l’aspect actif de son système de défense, c’est toute sa représentation de lui-même qui va basculer du mode passif au mode actif. Sa propension à coopérer activement dans le soin augmentera d’une façon très importante. Peut-être même que, au lieu de se contenter de céder à la pression des autres pour faire telle ou telle activité, au lieu d’appeler à son aide : « il faut que... », il lui sera plus facile de repérer des moments à l’occasion desquels il a pu dire : « je fais cela ou j’ai fait cela ». Dans ce renversement de sa posture, tous les moyens de défense utilisés apparaîtront actifs. C’est ainsi que les plaintes, les ruminations, les comparaisons, les efforts, les évitements lui apparaîtront comme des stratégies délibérées de protection, vis-à-vis desquelles il peut envisager un espace de liberté suffisant pour pouvoir les modifier ou même les arrêter. En effet, vous savez tous que se plaindre, ruminer, se comparer aux autres, faire des efforts ou bien évoquer les « il faut que », éviter toutes sortes de situations, sont des tentatives de solutions inefficaces qui ne servent qu’à entretenir le problème. Parmi celles-ci, certaines sont devenues automatiques, que ce soient les ruminations, les constructions de scenarii négatifs, la perte des intérêts, l’incapacité d’anticiper. Elles sont tellement devenues automatiques qu’elles sont devenues des symptômes caractéristiques de l’état de maladie.
Lorsque vous aurez montré à votre patient combien une seule de ses stratégies est active et délibérée, il sera beaucoup plus enclin à reconsidérer l’ensemble de ses moyens de défense et, petit à petit, à prendre en compte combien chacun de ces comportements, même s’il est devenu automatique avec le temps, a été au début un comportement décidé ou une action délibérée. Alors, me direz-vous, comment faites-vous ?
L’HYPNOSE
Déjà, vous savez tous amener ce processus. Par exemple, imaginons que vous installez pour lui un bon souvenir. Cette expérience engendre, maintenant, un état de bien-être calme qui fait que, juste à ce moment-là, ni avant ni après, le patient suspend ses tentatives de solutions inefficaces vis-à-vis de lui-même et également vis-à-vis de son interlocuteur, lequel renonce lui-même à son envie de donner des bons conseils ou des exhortations.
Le risque principal a lieu juste après la transe, lorsque votre patient retrouve avec vous son monde ordinaire et qu’il est fréquemment amené à vous dire : « Docteur, c’était agréable votre relaxation, mais après ? » C’est justement à ce point précis que, quelquefois, vous ne savez pas trop quoi répondre et que vous désespérez vous-même, votre proposition d’une expérience confortable d’hypnose vous apparaissant alors comme une tentative de solution insuffisante et inefficace contre le mur trop haut de la dépression.
C’est à ce moment-là qu’il est important, pour continuer le processus thérapeutique, d’initier une conversation d’engagement pour lui faire percevoir que ses modalités habituelles de fonctionnement sont beaucoup plus actives et délibérées qu’il ne le croit.
VIGNETTE CLINIQUE : JUSTE APRÈS LE BON SOUVENIR
-Thérapeute : « Comment vous sentezvous, maintenant ?
- Patient : Bien.
- Th. : Pouvez-vous, avec votre main, me montrer le centre de ce “se sentir bien” ?
- P. : C’est là. Il pose alors sa main sur le haut du thorax.
- Th. : Que diriez-vous : plus léger, soulagé, quoi d’autre ?
- P. : Soulagé.
- Th. : OK. Maintenant, comment voyezvous la suite ? Est-ce que, à votre avis, vous allez sortir guéri, ou bien allez-vous recommencer à ruminer, à broyer du noir, ou bien tout ce que vous êtes amené à faire d’habitude ?
- P. : Ouais, ça va recommencer.
- Th. : Est-ce que vous pouvez me dire quand ça va recommencer ? Est-ce que ce sera parce que vous allez retrouver votre oppression dans la respiration, est-ce que ce sera parce que vous allez recommencer à imaginer le mur noir qui est devant vous, est-ce que ça va être parce que vous allez voir devant vous la liste de tous les “il faut que” qui vous attendent, ou bien n’importe quoi d’autre ?
- P. : Oui, c’est un peu tout cela.
- Th. : Si je comprends bien, vous allez vous dire : c’est plus fort que moi, je ne peux pas affronter cela et je préfère laisser tomber.
- P. : Exactement !
- Th. : Donc, si je comprends bien, en sortant d’ici, ou bien même avant, vous savez que vous allez décider de laisser tomber dans le but de vous protéger de ce que vous envisagez comme pire ?
- P. (hésitation...) : Oui.
- Th. : Dites-moi, imaginez que vous avez une conversation avec une personne de votre connaissance qui vit le même enfer que vous. Imaginez que cette personne vous dise qu’elle est allée voir un thérapeute, qu’elle s’est sentie mieux et que, ensuite, plutôt que d’en profiter pour augmenter ses efforts, elle a préféré laisser tomber tout de suite plutôt que de continuer à faire des efforts comme d’habitude. Qu’est-ce que vous penseriez à propos de cette personne ?…
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Dr Alain Vallée
Après une carrière de psychiatre hospitalier, il a exercé comme psychothérapeute. A enseigné l’hypnose et les thérapies brèves dans plusieurs DU ainsi que dans divers instituts français et étrangers. Auteur de nombreux articles et d’un livre paru en 2017 : « Nouveau cours de TOS, dialogues et récits », éditions Satas, Bruxelles. Président de l’AREPTA - Institut Milton Erickson de Nantes.