On peut parler de la douleur chronique comme d’un univers à part entière. La douleur s’impose partout dans la vie de celui qui la subit, comme un nouveau dieu, omnisciente et omniprésente.
Le matin, Samuel se lève et pense à comment et combien il aura mal dans la journée. Il s’y prépare, il l’anticipe, comme le rituel d’un guerrier avant le combat. Sauf que dans le cas présent, c’est une bataille pour chaque jour qu’il faut livrer. Hélas, se préparer à cette bataille, c’est aussi l’attirer inéluctablement vers soi, s’attirer la foudre, comme on dit. La douleur viendra forcément, et par surprise. Si seulement l’ennemi disait à Samuel quand il va frapper et sur quel mode, Samuel pourrait alors maîtriser un peu mieux sa vie.
Ça y est, l’ennemi a attaqué, sur un front inattendu. L’important, maintenant, c’est d’encaisser les coups convenablement. Se positionner différemment, riposter de front, rien n’y fait, l’ennemi est trop fort et trop vicieux. Mais il se fatigue par moments ; la douleur donne du répit à Samuel, qui, loin d’être soulagé, pense déjà à la prochaine offensive. Pour autant, la vie quotidienne est là qui attend son tour. Il faut aller au travail, rencontrer du monde toute la journée et faire bonne figure. La douleur est un parasite qui ne se remarque pas sur celui qui la porte. Samuel n’aurait donc aucune légitimité à se plaindre. Au nom de quoi ? Il n’a pas l’air handicapé : il a deux bras, deux jambes, qui fonctionnent, comme tout le monde. Il parle sans difficulté. Certes, on le sent un peu « au ralenti » parfois. Mais quand même, pas de quoi en faire une maladie ! Et si, pourtant, Samuel est malade. Que cela provienne de sa tête ou de son corps, le résultat est là : il souffre le martyr. Mais sans cause valide, et il n’en est jamais dans la douleur chronique, pas de passeport pour la plainte ; il faut serrer les dents. Cela fait bien longtemps que ses proches n’écoutent plus ses jérémiades. Quelque part, Samuel les comprend. Que répondre à quelqu’un qui souffre et pour qui l’on ne peut rien ? Quelqu’un qui préfère rester seul pour souffrir, qui plus est, pour mieux se concentrer pour lutter.
Le matin, Samuel se lève et pense à comment et combien il aura mal dans la journée. Il s’y prépare, il l’anticipe, comme le rituel d’un guerrier avant le combat. Sauf que dans le cas présent, c’est une bataille pour chaque jour qu’il faut livrer. Hélas, se préparer à cette bataille, c’est aussi l’attirer inéluctablement vers soi, s’attirer la foudre, comme on dit. La douleur viendra forcément, et par surprise. Si seulement l’ennemi disait à Samuel quand il va frapper et sur quel mode, Samuel pourrait alors maîtriser un peu mieux sa vie.
Ça y est, l’ennemi a attaqué, sur un front inattendu. L’important, maintenant, c’est d’encaisser les coups convenablement. Se positionner différemment, riposter de front, rien n’y fait, l’ennemi est trop fort et trop vicieux. Mais il se fatigue par moments ; la douleur donne du répit à Samuel, qui, loin d’être soulagé, pense déjà à la prochaine offensive. Pour autant, la vie quotidienne est là qui attend son tour. Il faut aller au travail, rencontrer du monde toute la journée et faire bonne figure. La douleur est un parasite qui ne se remarque pas sur celui qui la porte. Samuel n’aurait donc aucune légitimité à se plaindre. Au nom de quoi ? Il n’a pas l’air handicapé : il a deux bras, deux jambes, qui fonctionnent, comme tout le monde. Il parle sans difficulté. Certes, on le sent un peu « au ralenti » parfois. Mais quand même, pas de quoi en faire une maladie ! Et si, pourtant, Samuel est malade. Que cela provienne de sa tête ou de son corps, le résultat est là : il souffre le martyr. Mais sans cause valide, et il n’en est jamais dans la douleur chronique, pas de passeport pour la plainte ; il faut serrer les dents. Cela fait bien longtemps que ses proches n’écoutent plus ses jérémiades. Quelque part, Samuel les comprend. Que répondre à quelqu’un qui souffre et pour qui l’on ne peut rien ? Quelqu’un qui préfère rester seul pour souffrir, qui plus est, pour mieux se concentrer pour lutter.
Fanny Nusbaum
La douleur isole. Elle transforme jusqu’à la manière de penser, de réagir, de se comporter au quotidien. Ce serait dû à la plasticité neuronale, selon les scientifiques : cette capacité du cerveau à s’adapter à des situations nouvelles en créant de nouveaux « chemin neuronaux ». En découlent alors des schémas de pensée et des comportements en adéquation totale avec ce nouveau contexte psychosomatique. Depuis ses toutes premières douleurs, Samuel a remarqué qu’il avait spontanément changé ses postures habituelles. Il a, très vite, adopté des postures de défense, de compensation ou d’exclusion. C’est comme si tout son équilibre postural avait changé, muté, en à peine 72 heures. Autrefois, quand il n’avait pas mal – parce que oui, ce temps a existé, bien que Samuel ait peine à s’en souvenir -, il sentait tout son corps vivre à l’unisson avec lui-même. De façon tout à fait normale, Samuel « était dans son corps ». Il l’habitait complètement. Aujourd’hui, c’est comme si une partie de son corps ne lui appartenait plus.
Son espace mental pour penser son corps s’est si bien adapté pour faire face à la douleur de Samuel qu’il en oublie certaines zones ainsi que certaines attitudes « communes ». Il éprouve par exemple des difficultés à passer de la position assise à la position debout, simplement parce que son système neuronal a oublié le chemin à force de le pratiquer moins. Et quand Samuel reste trop longtemps dans une position, même si c’est une position dite « de confort », il commence très rapidement à sentir son dos se durcir comme de la pierre et s’imposer comme un corps étranger, qui se présenterait comme un petit pois permanent dans le dos de la Princesse au Petit Pois. De la même manière, Samuel montre une certaine raideur dans le dos quand il marche, comme un robot désarticulé. Ceci parce que son dos ne fait plus partie de lui et que Samuel ne parvient plus à l’intégrer dans son schéma corporel. C’est ce que l’on appelle « l’exclusion segmentaire ». C’est la raison pour laquelle Samuel ne sait pas bien décrire la localisation de départ de sa douleur. Il sait qu’elle vient toujours par derrière, dans le dos. Mais, son dos ne faisant plus partie de son système somatique, Samuel se voit incapable de discriminer davantage les sensations provenant de cette zone. C’est comme s’il y avait, à l’endroit de la douleur, un magma confus et impénétrable, qui sait pourtant se faire sentir.
Les deux seuls moments où Samuel sent à nouveau son dos comme intégré à son corps et non pas comme un intrus, c’est quand il porte un corset ou encore quand son masseur- kinésithérapeute le masse. Grâce à ces différentes stimulations répétées, le cerveau de Samuel peut, pendant une courte phase et petit à petit, retrouver les chemins neuronaux anciens de la « normalité ». Mais la douleur a la peau dure et le schéma d’adaptation à l’univers « souffrance » qu’elle a mis en place se révèle puissant et doté d’un domaine d’action en chaîne et très étendu. La douleur sait reprendre ses droits et remplir ses devoirs.
DOULEUR ET EXCLUSION SEGMENTAIRE : THÉORIE MÉDICALE
La vie est un équilibre. L’organisme fonctionne de manière équilibrée grâce à la permanence d’informations (mécaniques : barorécepteurs et mécanorécepteurs ; chimiques : glycémie, les hormones et les ions ; électriques : réception et transmission des informations des nerfs périphériques et fonctionnement du cerveau et de la moelle ; sensorielles : vue/ouïe/odorat/positionnement dans l’espace...) et de capteurs recevant ces informations, permettant une homéostasie qui se veut la plus harmonieuse et la plus économe possible.
Ainsi, lorsque nous recevons une information douloureuse (« je marche sur une punaise », « je retire mon pied » ; « j’approche ma main de la porte du four », « je retire ma main car j’ai la sensation de chaud »), pas besoin de penser à éviter une nouvelle stimulation inconfortable, on le fait naturellement. Nous nous protégeons spontanément car nous savons où nous nous situons, où nous allons et comment organiser notre fonctionnement corporel pour pouvoir faire sans se défaire.
Pour tout cela, la perception correcte du corps est indispensable. Cette représentation est le fruit du mélange de multiples informations : positionnement du corps dans l’espace (oreille interne) ; recueil des informations des mécano et baro-récepteurs périphériques en provenance des articulations, des tendons, des muscles ; recueil des informations tactiles épicritiques (mon enveloppe corporelle) ; recueil et screaning de ces informations avec ce que l’espace cortical a déjà comme informations, etc.
Ainsi pour marcher, nous avons besoin de sentir notre corps placé en position érigée, les membres inférieurs en extension et verrouillés pour ne pas tomber. Le mouvement créé est en permanence corrigé par rapport à la verticale, grâce à tous les capteurs mis en place par la nature pour informer le décodeur central (le cortex moteur et le cortex sensitif) de ce qui se passe et/ou de ce qui risque de se passer si le mouvement n’est pas contrôlé. Pour être efficace et performant en permanence, ce système parfait a besoin de s’entraîner, de répéter continuellement pour maintenir son niveau de performance et d’excellence. Sans ce rappel pluriquotidien, nous perdons l’habitude « de » : marcher, manger, courir, monter et descendre les escaliers, etc.
Nous le savons tous, après une période d’alitement prolongé (chirurgie, maladie...), nous avons du mal à refaire les choses de la vie courante et en particulier marcher. C’est d’ailleurs un problème de santé publique avec les personnes âgées qui se retrouvent alitées souvent à cause d’un traumatisme bénin (fracture du col du fémur) et qui perdent leur autonomie de marche par « oubli ».
FANNY NUSBAUM Psychologue clinicienne conceptrice, thérapeute familiale d'approche systémique, hypnothérapeute, sophrologue - Doctorante, Laboratoire "Santé, Individu, Société", Université Lyon 2 - Consultante, enseignante, formatrice.
PIERRE VOLKMANN Ancien assistant- chef de clinique. Ancien médecin des hôpitaux. Spécialiste de Médecine physique et réadaptation. Algologue. Enseignant associé de médecine physique à la faculté de médecine LAENNEC LYON. Directeur médical des centres de médecine physique IRIS de la Générale de Santé. Responsable de la prise en charge de la douleur au sein de la Générale de Santé. Co-Auteur du livre avec le Pr Gilles Rode, Handicap- Médecine Physique et réadaptation, guide pratique. Éd. Xavier Montauban.
La douleur isole. Elle transforme jusqu’à la manière de penser, de réagir, de se comporter au quotidien. Ce serait dû à la plasticité neuronale, selon les scientifiques : cette capacité du cerveau à s’adapter à des situations nouvelles en créant de nouveaux « chemin neuronaux ». En découlent alors des schémas de pensée et des comportements en adéquation totale avec ce nouveau contexte psychosomatique. Depuis ses toutes premières douleurs, Samuel a remarqué qu’il avait spontanément changé ses postures habituelles. Il a, très vite, adopté des postures de défense, de compensation ou d’exclusion. C’est comme si tout son équilibre postural avait changé, muté, en à peine 72 heures. Autrefois, quand il n’avait pas mal – parce que oui, ce temps a existé, bien que Samuel ait peine à s’en souvenir -, il sentait tout son corps vivre à l’unisson avec lui-même. De façon tout à fait normale, Samuel « était dans son corps ». Il l’habitait complètement. Aujourd’hui, c’est comme si une partie de son corps ne lui appartenait plus.
Son espace mental pour penser son corps s’est si bien adapté pour faire face à la douleur de Samuel qu’il en oublie certaines zones ainsi que certaines attitudes « communes ». Il éprouve par exemple des difficultés à passer de la position assise à la position debout, simplement parce que son système neuronal a oublié le chemin à force de le pratiquer moins. Et quand Samuel reste trop longtemps dans une position, même si c’est une position dite « de confort », il commence très rapidement à sentir son dos se durcir comme de la pierre et s’imposer comme un corps étranger, qui se présenterait comme un petit pois permanent dans le dos de la Princesse au Petit Pois. De la même manière, Samuel montre une certaine raideur dans le dos quand il marche, comme un robot désarticulé. Ceci parce que son dos ne fait plus partie de lui et que Samuel ne parvient plus à l’intégrer dans son schéma corporel. C’est ce que l’on appelle « l’exclusion segmentaire ». C’est la raison pour laquelle Samuel ne sait pas bien décrire la localisation de départ de sa douleur. Il sait qu’elle vient toujours par derrière, dans le dos. Mais, son dos ne faisant plus partie de son système somatique, Samuel se voit incapable de discriminer davantage les sensations provenant de cette zone. C’est comme s’il y avait, à l’endroit de la douleur, un magma confus et impénétrable, qui sait pourtant se faire sentir.
Les deux seuls moments où Samuel sent à nouveau son dos comme intégré à son corps et non pas comme un intrus, c’est quand il porte un corset ou encore quand son masseur- kinésithérapeute le masse. Grâce à ces différentes stimulations répétées, le cerveau de Samuel peut, pendant une courte phase et petit à petit, retrouver les chemins neuronaux anciens de la « normalité ». Mais la douleur a la peau dure et le schéma d’adaptation à l’univers « souffrance » qu’elle a mis en place se révèle puissant et doté d’un domaine d’action en chaîne et très étendu. La douleur sait reprendre ses droits et remplir ses devoirs.
DOULEUR ET EXCLUSION SEGMENTAIRE : THÉORIE MÉDICALE
La vie est un équilibre. L’organisme fonctionne de manière équilibrée grâce à la permanence d’informations (mécaniques : barorécepteurs et mécanorécepteurs ; chimiques : glycémie, les hormones et les ions ; électriques : réception et transmission des informations des nerfs périphériques et fonctionnement du cerveau et de la moelle ; sensorielles : vue/ouïe/odorat/positionnement dans l’espace...) et de capteurs recevant ces informations, permettant une homéostasie qui se veut la plus harmonieuse et la plus économe possible.
Ainsi, lorsque nous recevons une information douloureuse (« je marche sur une punaise », « je retire mon pied » ; « j’approche ma main de la porte du four », « je retire ma main car j’ai la sensation de chaud »), pas besoin de penser à éviter une nouvelle stimulation inconfortable, on le fait naturellement. Nous nous protégeons spontanément car nous savons où nous nous situons, où nous allons et comment organiser notre fonctionnement corporel pour pouvoir faire sans se défaire.
Pour tout cela, la perception correcte du corps est indispensable. Cette représentation est le fruit du mélange de multiples informations : positionnement du corps dans l’espace (oreille interne) ; recueil des informations des mécano et baro-récepteurs périphériques en provenance des articulations, des tendons, des muscles ; recueil des informations tactiles épicritiques (mon enveloppe corporelle) ; recueil et screaning de ces informations avec ce que l’espace cortical a déjà comme informations, etc.
Ainsi pour marcher, nous avons besoin de sentir notre corps placé en position érigée, les membres inférieurs en extension et verrouillés pour ne pas tomber. Le mouvement créé est en permanence corrigé par rapport à la verticale, grâce à tous les capteurs mis en place par la nature pour informer le décodeur central (le cortex moteur et le cortex sensitif) de ce qui se passe et/ou de ce qui risque de se passer si le mouvement n’est pas contrôlé. Pour être efficace et performant en permanence, ce système parfait a besoin de s’entraîner, de répéter continuellement pour maintenir son niveau de performance et d’excellence. Sans ce rappel pluriquotidien, nous perdons l’habitude « de » : marcher, manger, courir, monter et descendre les escaliers, etc.
Nous le savons tous, après une période d’alitement prolongé (chirurgie, maladie...), nous avons du mal à refaire les choses de la vie courante et en particulier marcher. C’est d’ailleurs un problème de santé publique avec les personnes âgées qui se retrouvent alitées souvent à cause d’un traumatisme bénin (fracture du col du fémur) et qui perdent leur autonomie de marche par « oubli ».
FANNY NUSBAUM Psychologue clinicienne conceptrice, thérapeute familiale d'approche systémique, hypnothérapeute, sophrologue - Doctorante, Laboratoire "Santé, Individu, Société", Université Lyon 2 - Consultante, enseignante, formatrice.
PIERRE VOLKMANN Ancien assistant- chef de clinique. Ancien médecin des hôpitaux. Spécialiste de Médecine physique et réadaptation. Algologue. Enseignant associé de médecine physique à la faculté de médecine LAENNEC LYON. Directeur médical des centres de médecine physique IRIS de la Générale de Santé. Responsable de la prise en charge de la douleur au sein de la Générale de Santé. Co-Auteur du livre avec le Pr Gilles Rode, Handicap- Médecine Physique et réadaptation, guide pratique. Éd. Xavier Montauban.