Après la torture, une hypnose hors du commun.


Par le Dr Emmanuel HÉAU, Médecin tropicaliste et généraliste à Malakoff (92). Hypnothérapeute formé à L’IFH.
La douleur peut être liée à une expérience violente et objective, faisant partie de l’histoire des hommes. Ainsi la torture, déjà évoquée au Forum de Sanary, et qui est abordée ici par un praticien expérimenté dans l’aide à ces patients très particuliers. Malheureusement, un champ aussi pour l’hypnothérapie.



De nombreux patients que j’ai suivis pendant deux ans dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile politiques, qui avaient tous subis des violences extrêmes (tortures, viols, ou autres exactions), ont pu profiter d’un travail hypnothérapeutique régulier, toutes les trois semaines en moyenne, et de façon plus rapproché au départ, (toutes les semaines, s’il le fallait), selon leur urgence psychique et leur possibilité à venir consulter. L’intérêt de ce travail est constant, car l’hypnose est vite apaisante dans ces états post traumatiques. Il faut souligner par ailleurs que cet événement, venir à la consultation, doit être considéré dans de nombreux cas comme un exploit. On ne mesure jamais assez toute son importance du fait des risques de contrôle, des errances, des réactivations émotionnelles, des illusions de reviviscences, des grandes distances parcourues, des conditions d’accueil, etc. Mais toutes ces difficultés vont aussi renforcer le lien thérapeutique, quand la régularité du soin va s’instaurer.

UN PRÉ-RÉQUIS : LE LANGAGE

Cette formidable psychothérapie nécessite cependant un pré-requis souvent difficile à obtenir dans cette population de diverses origines : le langage (même s’il n’est pas toujours indispensable). Quelques fois, avec eux, j’ai du l’inventer, lors des séances, en utilisant des métaphores verbales ou en créant des liens métaphoriques par des chansons, des gestes ou des objets (bracelets, pendentifs, pierres, etc.). Tout ceci a pour seul but de créer des imagos protecteurs, même très au-delà du sens des mots, au voisinage du symbolique. Cela est complexe et nécessite de solliciter son imaginaire : l’hypnothérapeute doit ainsi se glisser dans le processus inconscient du patient afin de puiser des associations émotionnelles quelque part chez l’autre, dans ses représentations pressenties. Etablir ce que je nommerai un « pont sensoriel » qui se construit progressivement lors des rencontres.

LES ENTRETIENS

Une fois ce pré-requis établi, les entretiens, source de connaissances cliniques, nécessitent du temps (1 heure le plus souvent), beaucoup d’écoute et d’empathie, et une présence forte et permanente pour ramener constamment celui ou celle qui consulte dans la réalité, nécessité liée à leur état pseudo psychotique post traumatique. Ces consultations, au-delà de leurs technicités apprises et réfléchies, sont souvent facilitées, paradoxalement, par le mécanisme traumatique lui même, qui a fait découvrir au patient, durant son extrême souffrance, l’expérience de la dissociation protectrice spontanée, si proche de celle l’hypnose qui est employée comme thérapeutique. Ce travail est toujours bénéfique, car il est rapidement apaisant et protecteur, ce qui encourage le patient et l’amène à croire en son avenir. Il lui permet, séance après séance, de se retrouver par suggestion dans un espace de sécurité où, avec l’hypnothérapeute, il découvrira un monde rassurant qu’il va faire sien et qu’il pourra maîtriser et contrôler par la suite de plus en plus. Cette représentation hypnotique, où le patient peut ainsi se protéger des agressions extérieures - comme les yeux du bourreau - permet progressivement le retour à la quiétude. Voilà pourquoi elle est urgente et primordiale, dans ce contexte de violences extrêmes faites d’intrusions horriblement destructrices et dissociantes.

UNE RELANCE DYNAMIQUE

Décider, retrouver le pouvoir de créer, de faire, et de ressentir, est à la base de la relance dynamique de la trajectoire de vie personnelle. Se tourner vers l’avenir, s’y projeter, reprendre en main les rênes de son destin, sont les clefs ericksoniennes de sa convalescence et de son mieux être. Il s’agit donc d’organiser toute la stratégie thérapeutique vers ce souffle vital. Ce qui est d’autant plus remarquable, dans le travail des patients, est la possibilité de reproduire facilement et régulièrement, par des exercices d’autohypnose, plusieurs fois par jours pour certains, le « bien-être » déjà ressenti et qui ne fait que s’accentuer avec la pratique. Plus mes patients (clients comme diraient nos amis d’Amérique du nord) vont travailler, plus leur tranquillité va se dé velopper et, comme hypnothérapeute, nous le savons bien. Ils vont littéralement s’y installer et ainsi mettre à distance, séance après séance, le phénomène de reviviscence, en affaiblissant son intensité et en le vidant par suite, de sa haute toxicité. Car, en effet, se pencher sur soi, se ressentir, reprendre possession de son corps, leur permettront de redevenir acteurs de leur propre vie, de se la réapproprier progressivement et en y retrouvant sa continuité.

AFFRONTER LE PSYCHOTRAUMA

Dans ce but, une autre étape clef pour ces patients sera d’affronter leur psychotraumatisme en explorant une partie de leurs images traumatiques. L’hypnothérapeute proposera alors prudemment, lors des séances, d’utiliser des outils pour détruire l’obsédante toxicité des re « présentations » des bourreaux. Il pourrait ainsi s’agir de l’abréaction silencieuse (Helen Watkins) ou de l’emploi d’un double écran (David Spiegel), ou bien d’autres choses d’inspiration éricksonienne. Le résultat se fait rarement attendre. Mais les séances sont difficiles et éprouvantes pour le patient tout comme pour le soignant ! Elles nécessitent des connaissances cliniques et une expérience professionnelle afin de s’approcher au plus prés de son patient pour le protéger de tout déferlement abréactif et pour l’amener, par séances progressives, à faire face à son trauma et sortir de sa torpeur figeante.

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Ce hors-série traite des multiples visages de la douleur et explore les ressources créatives des patients et des thérapeutes.
Edito :“Mille douleurs“ Thierry Servillat
“Aide à l’accouchement“. Une hypnose extemporanée. Yves Halfon.
“Urgences en souffrances“. Les sphères de l’antalgie. Franck Garden-Brèche
“L’hypnose du dentiste“. D’abord pour le soignant ! Kenton Kaiser
“Après la torture“. Une hypnose hors du commun. Emmanuel Héau.
“Chirurgie carcinologique du sein“. Bénéfices hypnotiques. Fabienne Roelants et Christine Watremez
“En mode existentiel“. Témoignage auto-hypnotique. Sophie Cohen
“Douleur chronique“. Une ignorance qui structure. Antoine Bioy
Hypno-photomontage. Pierre-Henri Garnier
Coïncidences : “Les madeleines ou le secret du monde“ Jean-Pierre Meyzer
Humeur : “Avant de partir pour Terra Hypnosia“ Imelda Schwartz Haehnel

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Rédigé le 05/08/2018 à 16:11 | Lu 729 fois | 0 commentaire(s) modifié le 05/08/2018




- Formateur en Hypnose Médicale, Ericksonienne et EMDR - IMO au CHTIP Collège Hypnose Thérapies… En savoir plus sur cet auteur
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